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27/09/2022 | FRANCE | N°21NT03577

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 27 septembre 2022, 21NT03577


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2019 par lequel le maire de Creully-sur-Seulles a rejeté sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie ainsi que la décision du 3 février 2020 rejetant son recours gracieux et d'enjoindre au maire de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie et de la placer en congé de maladie pour accident de service à compter du 30 juin 2017 ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de s

a demande, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2019 par lequel le maire de Creully-sur-Seulles a rejeté sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie ainsi que la décision du 3 février 2020 rejetant son recours gracieux et d'enjoindre au maire de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie et de la placer en congé de maladie pour accident de service à compter du 30 juin 2017 ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai.

Par une requête distincte, Mme C... a également demandé au tribunal administratif d'annuler l'arrêté du 31 janvier 2020 par lequel le maire de Creully-sur-Seulles a rejeté sa demande de placement en congé de longue maladie.

Par un jugement n° 2000702-2000734 du 15 octobre 2021, le tribunal administratif de Caen a annulé ces deux arrêtés et a enjoint au maire de la commune, sous réserve d'un changement dans la situation de Mme C..., de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie et de la placer en congé de maladie imputable au service à compter du 30 juin 2017, dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 décembre 2021 et 18 août 2022, la commune de Creully-sur-Seulles, représentée par Me Desert, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 15 octobre 2021 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté du 31 janvier 2020 n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que Mme C... présentait des symptômes dépressifs d'intensité moyenne et exerçait par ailleurs deux autres activités professionnelles ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la commission de réforme disposait d'éléments suffisants pour se prononcer lors de sa séance du 27 septembre 2019 et l'examen du dossier de l'intéressée ne justifiait pas la présence d'un spécialiste ;

- les pièces produites par Mme C... ne permettaient pas de remettre en cause tant le rapport de l'expert, que l'avis de la commission de réforme alors que l'intéressée présentait un état antérieur de nature à exclure tout lien direct, unique et certain entre sa pathologie et le service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2022, Mme C..., représentée par Me Gorand, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Creully-sur-Seulles sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-68 du 13 janvier 1986 ;

- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;

- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,

- les observations de Me Desert, représentant la commune de Creully-sur-Seulles,

- et les observations de Me Lerable, substituant Me Gorand, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., adjointe administrative territoriale, a été mutée en 1991 au sein des effectifs de la commune de Saint-Gabriel Brecy. Elle a accédé aux grades de rédactrice puis d'attachée territoriale respectivement en 2001 et 2008 et assurait les fonctions de secrétaire de mairie. Au 1er janvier 2017, cette commune a fusionné avec deux autres communes voisines, Creully et Villers-le-Sec, pour constituer la commune nouvelle de Creully-sur-Seulles. Le 29 juin 2017, Mme C..., qui a continué à exercer ses fonctions au sein de cette nouvelle collectivité, a été placée en congé de maladie ordinaire, prolongé jusqu'à sa mise à la retraite pour invalidité au 1er décembre 2021. Le 24 octobre 2017, elle a demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie et de ses arrêts de travail. Cette demande a été rejetée par un arrêté du 17 octobre 2019. Le recours gracieux présenté par Mme C... a également été rejeté par une décision du maire du 3 février 2020. Le 5 juin 2018, Mme C... a sollicité un congé de longue maladie, qui lui a été refusé le 31 janvier 2020. L'intéressée a été placée en disponibilité d'office pour raison de santé du 30 juin 2018 au 30 juin 2020. Mme C... a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de ces décisions. Par un jugement du 15 octobre 2021, le tribunal a annulé les arrêtés du maire de Creully-sur-Seulles pris les 17 octobre 2019 et 31 janvier 2020 et a enjoint à la commune de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie et de placer cet agent en congé de maladie imputable au service à compter du 30 juin 2017. La commune relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 17 octobre 2019 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " (...) Cette commission comprend : / 1. Deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, s'il y a lieu, pour l'examen des cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste qui participe aux débats mais ne prend pas part aux votes ; (...) ". Aux termes de l'article 17 du même arrêté : " La commission ne peut délibérer valablement que si au moins quatre de ses membres ayant voix délibérative assistent à la séance. / Deux praticiens, titulaires ou suppléants, doivent obligatoirement être présents. / Cependant, en cas d'absence d'un praticien de médecine générale, le médecin spécialiste a voix délibérative par dérogation au 1 de l'article 3 ".

3. Il ressort des pièces du dossier que la commission de réforme s'est réunie une première fois le 5 avril 2019 en présence d'un médecin généraliste et d'un psychiatre. Au cours de cette séance, la commission a estimé qu'elle manquait d'éléments pour se prononcer sur l'imputabilité au service de la pathologie dont souffre Mme C.... Le 27 septembre 2019, la commission, dans laquelle ne siégeait qu'un seul médecin généraliste, a émis un avis défavorable en indiquant qu'il n'existait pas de lien " unique, direct et certain " entre la pathologie de l'intéressée et ses fonctions. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la commission a disposé d'éléments complémentaires par rapport à ceux dont elle avait connaissance le 5 avril 2019. Par suite, le tribunal administratif a pu estimer que l'avis du 27 septembre 2019 avait été émis au terme d'une procédure irrégulière et avait privé Mme C... d'une garantie substantielle. La commune de Creully-sur-Seulles n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que la décision contestée a été annulée à raison de ce premier motif.

4. En second lieu, une maladie contractée par un fonctionnaire doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Le tribunal administratif a également annulé l'arrêté du 17 octobre 2019 au motif qu'il était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Selon la commune, les pièces produites par Mme C... ne permettaient pas de remettre en cause le rapport de l'expert ainsi que l'avis de la commission de réforme. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'à compter du 1er janvier 2017, Mme C... a vu ses conditions de travail se dégrader. Alors qu'il n'est pas contesté qu'elle était la seule fonctionnaire de catégorie A de la commune nouvelle, l'intéressée a été nommée responsable de la communication et non directrice générale des services. En outre, elle justifie par la production des courriels échangés avec l'ancienne secrétaire de mairie de la commune de Creully, rédactrice territoriale, des difficultés rencontrées dans le cadre de ces nouvelles fonctions, et des liens de subordination qu'elle avait avec cet agent pourtant de grade inférieur. Mme C... a évoqué à l'occasion des diverses expertises médicales, une perte de responsabilité et une " placardisation ". Si la commune se prévaut de l'avis d'un expert psychiatre qui a considéré que la pathologie de l'intéressée n'était pas imputable au service, les conclusions du rapport de ce médecin apparaissent en totale contradiction avec les déclarations de la requérante qu'il a néanmoins rappelées avant de rendre son avis, qui semble fondé sur la seule circonstance que, selon lui, Mme C... ne décrivait pas une situation de harcèlement moral ou des traumatismes répétés, alors que cette condition n'est pas requise pour reconnaitre l'imputabilité au service d'une maladie. Il ressort, en revanche des autres avis médicaux produits, et notamment du rapport du médecin de prévention du 13 mars 2019, lequel a une connaissance précise du contexte de travail des agents et leurs conditions de travail, que Mme C... a été victime d'un " burn out professionnel " le 29 juin 2017, l'intéressée se disant " détruite " par un travail dans lequel elle s'était investie et éprouvant un sentiment d'incompréhension et d'injustice professionnelle. Si l'intéressée ne conteste pas qu'à la suite du décès de son père en 1996 et lors de l'incendie de sa maison en 2005, elle a connu des épisodes dépressifs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les troubles anxio-dépressifs dont elle a été victime au mois de juin 2017 présenteraient un lien direct et certain avec ces évènements antérieurs très anciens. Le psychiatre qui la suit indique d'ailleurs n'avoir revu cette patiente que le 29 juin 2017. Par suite, la commune de Creully-sur-Seulles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a estimé que la décision contestée était également entachée d'un vice de légalité interne de nature à fonder son annulation.

Sur la légalité de l'arrêté du 31 janvier 2020 :

5. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaires un traitement et des soins prolongés et présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que, lors de sa séance du 20 décembre 2019, le comité médical a émis un avis défavorable à l'octroi d'un congé de longue maladie à Mme C... au motif qu'il n'existait pas de caractère invalidant et de gravité confirmée de sa pathologie. Si cet avis a été émis en présence de deux médecins généralistes et d'un médecin spécialiste, plusieurs autres médecins attestent du caractère invalidant majeur de sa pathologie. Le médecin mandaté par le comité médical, qui a examiné l'intéressé le 25 mai 2018, précise en effet qu'elle poursuit son traitement antidépresseur et anxiolytique et présente toujours une symptomatologie anxio-dépressive indéniable. Son psychiatre fait état d'un état dépressif chronique sévère et majeur et un autre médecin spécialiste confirme un état très symptomatique sur le plan anxio-dépressif et des symptômes anxieux envahissants en dépit des traitements médicamenteux et d'un suivi psychologique mensuel. La commune tente de justifier sa décision en faisant valoir que l'intéressée exerçait deux autres activités susceptibles d'être à l'origine de ses troubles. Mme C... justifie toutefois qu'elle avait cessé tant la location de chambres d'hôte que l'hébergement d'enfant en difficultés lors de la décision contestée. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la décision rejetant la demande de congé de longue maladie présentée par Mme C... étaient entachée d'illégalité.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Creully-sur-Seulles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé les arrêtés litigieux et lui a enjoint de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme C... et de placer cet agent en congé de maladie imputable au service à compter du 30 juin 2017.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la commune de Creully-sur-Seulles de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune le versement à Mme C... d'une somme de 2 000 euros au titre des mêmes frais.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Creully-sur-Seulles est rejetée.

Article 2 : La commune de Creully-sur-Seulles versera à Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Creully-sur-Seulles et à Mme B... C....

Délibéré après l'audience du 9 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 septembre 2022.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

S.PIERODE

La République mande et ordonne à la ministre de la transformation et de la fonction publiques en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT03577


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03577
Date de la décision : 27/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : SELARL JURIADIS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-09-27;21nt03577 ?
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