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12/07/2022 | FRANCE | N°21NT03018

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 12 juillet 2022, 21NT03018


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler les arrêtés du 23 septembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités espagnoles et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve pour ledit conseil d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler les arrêtés du 23 septembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités espagnoles et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve pour ledit conseil de renoncer à la part contributive de l'Etat versée au titre de l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n° 2110881 du 4 octobre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 octobre 2021, 24 décembre 2021 et 24 février 2022, Mme B..., représentée par Me Roulleau demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 4 octobre 2021 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 23 septembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités espagnoles et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

S'agissant de l'arrêté de transfert :

- les dispositions de l'article 3 Par. 2 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ont été méconnues ; elle est en couple et réside en Vendée avec un compatriote séjournant régulièrement en France, M. A... C..., qui est le père de son enfant qu'il a reconnu ; elle était enceinte de près de quatre mois à la date de la décision de transfert contestée du 23 septembre 2021 ; l'enfant est né le 14 février 2022 à Fontenay-le-Comte ; elle vers aux débats de nombreuses pièces attestant de la réalité de cette situation ;

- l'arrêté de transfert est, pour les mêmes motifs, entaché d'une erreur de fait et méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté de transfert est également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 pour les mêmes considérations.

S'agissant de l'arrêté d'assignation à résidence :

- cet arrêté est illégal du fait de l'illégalité de l'arrêté de transfert ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante ivoirienne née le 13 septembre 2002, est entrée irrégulièrement en France le 25 mai 2021. Sa demande d'asile a été enregistrée le 13 juillet 2021 par les services de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du système Eurodac a révélé que ses empreintes digitales ont été relevées par les autorités espagnoles le 4 avril 2021 et qu'elle avait déposé une première demande d'asile dans ce pays. Consécutivement à leur saisine le 21 juillet 2021, les autorités espagnoles ont, le 22 septembre 2021, expressément accepté de reprendre en charge l'intéressée. Par deux arrêtés du 23 septembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de Mme B... aux autorités espagnoles et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B... a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés. Elle relève appel du jugement du 4 octobre 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur l'arrêté de transfert,

2. Aux termes, d'une part, de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3. Aux termes, d'autre part, de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

4. Mme B... a soutenu devant les premiers juges qu'elle menait une vie commune avec un compatriote séjournant régulièrement en France, M. A... C..., demeurait avec lui à La Chataigneraie en Vendée et était enceinte de ses œuvres depuis près de quatre mois à la date de la décision de transfert contestée du 23 septembre 2021, situation de grossesse alors établie par le rapport d'examen prénatal versé aux débats. Il ressort effectivement des éléments qui étaient produits au dossier - attestation d'hébergement, déclaration de vie commune du couple, acte de reconnaissance prénatal établi le 17 septembre 2021 par M. C... - ainsi que de nouvelles attestations dont le caractère probant n'est pas contestable, l'existence entre ces deux personnes d'une communauté de vie effective. La réalité de cette situation a d'ailleurs conduit, à la suite de la démarche initiée par Mme B..., à l'arrêt du versement de l'aide au demandeur d'asile (ADA) qui lui était accordée par l'OFII, après prise en compte des revenus de M. C.... La requérante a versé de plus aux débats, le 24 février 2022, la copie intégrale de l'acte de naissance de l'enfant Ismaël, né le 14 février 2022 à Fontenay-le-Comte, acte établi à la mairie de La Chataigneraie, qui mentionne que l'enfant a été reconnu par sa mère, Mme B..., et son père, M. A... C..., à la mairie le 17 septembre 2021. Enfin, il est également justifié en appel que Mme B... suit, à raison d'une séance hebdomadaire depuis le début du mois de septembre 2021, des cours individuels de langue française et participe à des ateliers sur les valeurs de la République, témoignant des efforts d'intégration entrepris. Dans ces conditions, doit être accueilli le moyen tiré par Mme B... de ce que le préfet de Maine-et-Loire a, en ordonnant son transfert aux autorités espagnoles par l'arrêté du 23 septembre 2021, entaché cet arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Sur l'arrêté d'assignation à résidence :

5. Il résulte de ce qui vient d'être dit que Mme B... est fondée à soutenir que l'arrêté l'assignant à résidence, pris sur le fondement de la décision illégale de transfert aux autorités espagnoles, est en conséquence elle-même entachée d'illégalité.

6. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions dirigées contre les arrêtés du 23 septembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant de le transférer aux autorités espagnoles et l'assignant à résidence.

Sur les frais d'instance :

7. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, qui succombe dans la présente instance, la somme de 1500 euros que Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, à verser à Me Roulleau, à condition que ce dernier renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2110881 du 4 octobre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes et les arrêtés du 23 septembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant du transfert de Mme B... aux autorités espagnoles et l'assignant à résidence sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1500 euros Me Roulleau, à condition que ce dernier renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle conformément aux dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2022.

Le rapporteur,

O. D...Le président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03018
Date de la décision : 12/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : ROULLEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-12;21nt03018 ?
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