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14/06/2022 | FRANCE | N°21NT01658

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 14 juin 2022, 21NT01658


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 septembre 2017 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique présenté par M. B... C..., a annulé la décision du 11 janvier 2017 de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de ce salarié et a refusé de lui délivrer l'autorisation qu'elle sollicitait en vue de procéder à son licenciement.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 septembre 2017 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique présenté par M. B... C..., a annulé la décision du 11 janvier 2017 de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de ce salarié et a refusé de lui délivrer l'autorisation qu'elle sollicitait en vue de procéder à son licenciement.

Par un jugement n° 1710297 du 23 avril 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 juin 2021 et 5 mai 2022, la société D..., représentée par Me Eveno, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 avril 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 21 septembre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges, qui se sont abstenus d'apprécier l'un des griefs retenus contre M. C... et ont occulté les attestations de ses anciens collègues, ont insuffisamment motivé leur jugement ;

- le principe du contradictoire a été méconnu dès lors qu'elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour présenter ses observations et n'a pas été informée de la possibilité de se faire assister d'un conseil ou d'un mandataire de son choix ;

- les griefs formulés à l'encontre de M. C... sont matériellement établis et de nature à justifier son licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Sociétés D... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2022, M. C..., représenté par Me Floch, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société D... au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique ;

- les observations de Me Eveno, représentant la société D... ;

- et les observations de Me Floch, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a été recruté en contrat à durée indéterminée par la société (PSEUDO)D...(PSEUDO) spécialisée dans le commerce en gros de quincaillerie, pour exercer des fonctions de responsable de service. Par un courrier du 4 novembre 2016, l'intéressé, qui avait le statut de salarié protégé, a été convoqué à un entretien préalable. Après avis favorable de la délégation unique du personnel, la société D... a sollicité l'autorisation de procéder à son licenciement pour motif disciplinaire. Par une décision du 11 janvier 2017, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de ce salarié. Le 2 mars 2017, M. C... a contesté cette décision devant la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui, par une décision du 21 septembre 2017, a retiré le rejet implicite du recours présenté par l'intéressé, a annulé la décision du 11 janvier 2017 de l'inspecteur du travail et a refusé l'autorisation de procéder au licenciement de ce salarié. La société relève appel du jugement du 23 avril 2021, par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision contestée :

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Les griefs formulés à l'encontre de M. C... sont au nombre de six. Il lui est reproché d'avoir repris et remis en forme un courriel du directeur général de la société en lui donnant " un ton et une teneur incisifs " et d'avoir profité de la vulnérabilité d'une salariée pour l'inciter à rédiger le jour même, sous sa dictée et son contrôle, un courriel au même directeur, d'user de méthodes agressives et insistantes créant un climat de travail inadapté et anxiogène, ayant notamment conduit à la démission d'un salarié de l'entreprise, d'avoir supprimé plus de 600 mails de sa messagerie professionnelle après les avoir transférés sur sa messagerie personnelle, d'avoir un comportement déloyal et préjudiciable à la société et de méconnaître ses obligations contractuelles de discrétion et de loyauté.

4. Il ressort des pièces du dossier que si les deux premiers motifs se rapportant à la gestion des fournitures de la société sont établis, ils ne peuvent être regardés comme fautifs. Les deux derniers motifs touchant au comportement déloyal et préjudiciable à la société de M. C... ne sont par ailleurs pas établis dans la mesure où la société ne justifie d'aucune utilisation extérieure par l'intéressé de documents confidentiels transférés sur son ordinateur personnel.

5. En revanche, la société D... se prévaut de nombreux témoignages de collaborateurs et collègues de M. C... attestant de son comportement manipulateur et provocateur à l'égard notamment de ses collaborateurs. Ils dénoncent unanimement son attitude blessante et sa mauvaise foi. La société produit également la lettre de démission, datée du 2 novembre 2016, d'un salarié qui décrit des pressions verbales, un manque d'écoute et un climat de travail difficile, ce que confirme le témoignage de six autres salariés du service qu'il dirigeait et dont l'impartialité ou le manque d'objectivité ne peut être remise en cause. A la suite de la décision ministérielle, ils ont en effet fait état de leurs inquiétudes à la direction de la société quant à une éventuelle réintégration de M. C.... Les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ont d'ailleurs relayé ces craintes lors des séances des 20 décembre 2017 et 15 novembre 2018. Les faits qui sont reprochés doivent ainsi être regardés comme établis. Ils méconnaissent notamment l'article 5 du règlement intérieur de la société D... en vertu duquel " il est notamment interdit de manquer de respect à un collègue (...) de tenir des propos excessifs, injurieux, diffamatoires (...) " et révèlent un comportement fautif.

6. En outre, il ressort de la décision de l'inspecteur du travail du 11 janvier 2017, que M. C... a reconnu qu'il s'était connecté avec son ordinateur personnel à sa messagerie professionnelle le dimanche suivant la réception de sa convocation à son entretien préalable, laquelle lui précisait que son licenciement " pour faute grave " était envisagé et qu'à compter du 7 novembre 2016 et durant toute la procédure, il était prié de ne pas se présenter dans l'entreprise. Selon les éléments communiqués par la société requérante, l'intéressé a transféré entre 15h09 et 23H18, plus de 600 courriels de sa messagerie professionnelle sur sa messagerie personnelle. Si M. C... nie les avoir supprimés de sa messagerie professionnelle, il indique dans le même temps qu'elle était saturée, ce qui au demeurant est précisément contredit par l'analyse du responsable du service informatique produite au dossier. Par suite, ces faits doivent être regardés comme établis. Si M. C... fait valoir en défense que l'article VII de la charte d'utilisation des moyens informatiques du groupe D... n'interdit pas l'usage des clés USB, il convient de noter qu'il lui est reproché d'avoir transféré ces courriels sur une adresse personnelle alors que le chapitre V de cette charte, qui fait partie intégrante du règlement intérieur de la société, prévoit que " les utilisateurs doivent notamment ne pas connecter un matériel sur le réseau sans autorisation ", " archiver (...) les données en utilisant les différents moyens de sauvegarde " et que " Les fichiers enregistrés sur les disques locaux des ordinateurs doivent être régulièrement recopiés sur les disques réseaux appropriés ". Le chapitre VI interdit également " Le détournement volontaire des informations propres à l'entreprise ". Enfin, aux termes du chapitre VII " le service informatique met à disposition des utilisateurs (...) un service de messagerie électronique (...). Seul ce service mis à disposition est autorisé (...) ce qui exclut l'utilisation de boîtes aux lettres personnelles distantes sauf cas exceptionnels formellement validés par la direction (...) La totalité des échanges avec l'extérieur doit impérativement et uniquement utiliser l'infrastructure de sécurité mise en place par le service informatique ". Par suite, et alors même que la société ne justifie d'aucun préjudice quant à l'utilisation frauduleuse des données confidentielles ainsi collectées, ces faits sont contraires à son règlement intérieur et constitutifs d'une faute professionnelle.

7. Il suit de ce qui vient d'être dit, que les faits reprochés à M. C... rappelés aux points 5 et 6, sont constitutifs d'un comportement fautif de la part de ce salarié récemment recruté par la société D.... Compte tenu de leur caractère cumulé dans un délai particulièrement bref, de la nature de l'activité de négoce de l'entreprise et des responsabilités d'encadrement exercées par l'intéressé, ils sont de nature à justifier son licenciement pour faute.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. C... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société D... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1710297 du tribunal administratif de Nantes en date du 23 avril 2021 ainsi que la décision du 21 septembre 2017 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion annulant la décision de l'inspecteur du travail du 11 janvier 2017 et rejetant la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de M. C... présentée par la société D... sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la société D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société D..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à M. B... C....

Délibéré après l'audience du 30 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 juin 2022.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01658


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01658
Date de la décision : 14/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : CABINET AetE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-06-14;21nt01658 ?
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