La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/03/2022 | FRANCE | N°21NT01099

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 11 mars 2022, 21NT01099


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. F... E... alias A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2020 par lequel le préfet du Morbihan a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé la Russie comme pays de destination et l'a obligé à remettre l'original de son passeport contre un récépissé de remise et à se présenter deux fois par semaine, le mardi et le jeudi à 10h00 au commissariat de Lorien

t.

Mme B... D..., épouse E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. F... E... alias A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2020 par lequel le préfet du Morbihan a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé la Russie comme pays de destination et l'a obligé à remettre l'original de son passeport contre un récépissé de remise et à se présenter deux fois par semaine, le mardi et le jeudi à 10h00 au commissariat de Lorient.

Mme B... D..., épouse E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2020 par lequel le préfet du Morbihan a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé la Russie comme pays de destination et l'a obligée à remettre l'original de son passeport contre un récépissé de remise et à se présenter deux fois par semaine, le mardi et le jeudi à 10h00 au commissariat de Lorient.

Par un jugement nos 2100127, 2100128 du 2 février 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes, après avoir renvoyé à une formation collégiale du tribunal, les conclusions de la requête tendant à l'annulation du refus de délivrance de titre de séjour, a rejeté le surplus de leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 avril 2021, M. F... E... alias A... C... et Mme B... D..., épouse E..., représentés par Me Roilette, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 février 2021 ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet du Morbihan du 9 novembre 2020 en tant qu'ils leur font obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixent le pays de destination, les obligent à remettre l'original de leur passeport contre un récépissé de remise et à se présenter au commissariat de Lorient ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet du Morbihan de leur délivrer un titre de séjour temporaire à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer leur situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cet arrêt en leur délivrant une autorisation provisoire de séjour durant cet examen ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 500 euros, à verser à leur conseil, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable ; en particulier, elle n'est pas tardive ;

En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :

- elles sont entachées d'insuffisance de motivation et d'une absence d'examen particulier de leur situation ;

- compte tenu de la procédure qui a été suivie devant la Cour nationale du droit d'asile, elles sont entachées d'un vice de procédure pour méconnaître le droit au procès équitable et le droit à un recours effectif en violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de cette même convention ainsi que le paragraphe 4 de l'article 12 et l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- elles méconnaissent les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

En ce qui concerne les décisions fixant la Russie comme pays de destination :

- elles sont entachées d'insuffisance de motivation et d'une absence d'examen particulier de leur situation ;

- elles méconnaissent le principe de non-refoulement défini aux articles L. 513-2 et L. 523-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 33 de la Convention de Genève de 1951, du premier paragraphe de l'article 78 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et du 2ème paragraphe de l'article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation en portant une atteinte à l'intérêt supérieur de leurs enfants ;

En ce qui concerne les décisions portant obligation de pointage :

- elles sont entachées d'insuffisance de motivation et d'une absence d'examen particulier de leur situation ;

- elles sont illégales du fait de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2022, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Mme B... D..., épouse E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juillet 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 78 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

- la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée à New York le 10 décembre 1984 ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration et le public ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. L'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... E... alias A... C... et Mme B... D..., son épouse, de nationalité russe, sont entrés irrégulièrement en France respectivement le 30 décembre 2013 et le 28 décembre 2013. Ils séjournent en France avec leurs cinq enfants nés les 9 décembre 2008, 5 décembre 2010, 3 novembre 2012, 28 janvier 2014 et 10 août 2015. Leurs demandes de reconnaissance de la qualité de réfugié ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), par des décisions respectivement du 11 août 2015 et 21 juin 2016. A la suite d'une demande de réexamen de leur situation, la CNDA leur a reconnu le statut de réfugié par des décisions du 12 août 2018. Sur un recours en révision formé par l'OFPRA sur le fondement des articles L. 711-5 et R. 733-36 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la CNDA a déclaré, le 28 juin 2019, ses décisions du 12 août 2018 nulles et non avenues. Le pourvoi en cassation formé contre cette dernière décision a été rejeté par une décision du Conseil d'Etat du 23 mars 2020. Les requérants ont sollicité, le 11 juin 2020, du préfet du Morbihan la régularisation de leur situation administrative à titre exceptionnel. Le 9 novembre 2020, le préfet a pris à l'encontre de chacun d'eux un arrêté refusant de leur délivrer un titre de séjour, les obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant la Russie comme pays de destination. Ces arrêtés les obligent également à remettre l'original de leur passeport contre un récépissé de remise et à se présenter deux fois par semaine, le mardi et le jeudi à 10 h 00 au commissariat de Lorient. Par un jugement du 2 février 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes, après avoir renvoyé les conclusions tendant à l'annulation du refus de délivrance de titre de séjour à une formation collégiale du tribunal, a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés en tant qu'elles sont dirigées contre les décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination, les obligeant à remettre l'original de leur passeport contre un récépissé de remise et à se présenter au commissariat de Lorient. M. et Mme E... relèvent appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; / (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées que la motivation de l'obligation de quitter le territoire français se confond avec celle du refus de titre dont elle découle nécessairement et n'implique pas, par conséquent, dès lors que ce refus est lui-même motivé, de mention spécifique. Les arrêtés contestés visent les conventions internationales et les dispositions légales dont il est fait application, comportent des éléments de faits relatifs à la situation de M. et Mme E... et exposent avec précision les raisons pour lesquelles le préfet du Morbihan a refusé de délivrer le titre de séjour qu'ils sollicitaient. Les requérants ne contestent pas, ni même n'allèguent que les arrêtés en tant qu'ils portent refus d'un titre de séjour seraient insuffisamment motivés, ce qui, au demeurant, ne résulte pas de leur énonciation eu égard à ce qu'il vient d'être dit. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions portant obligation de quitter le territoire doit être écarté.

4. En deuxième lieu, les énonciations des arrêtés contestés, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent et alors qu'ils exposent la situation personnelle et familiale des requérants, révèlent que l'autorité administrative a procédé à un examen particulier de la situation des intéressés. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de leur situation doit être écarté.

5. En troisième lieu, il résulte de la combinaison des dispositions, alors en vigueur, de l'article L. 743-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du 6° de l'article L. 511-1, du I bis de l'article L. 512-1 et de l'article L. 512-3 du même code, qu'un ressortissant étranger dont la demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA, bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce que la CNDA ait statué sur son recours. Il peut, en outre, contester l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre, le recours présentant alors un caractère suspensif. Par ailleurs, s'ils contestent la procédure et le bien-fondé de la décision de la CNDA du 12 août 2018 déclarant nulles et non avenues ses décisions précédentes de reconnaissance du statut de réfugié, il ressort des pièces du dossier que M. et Mme E... ont pu se pourvoir en cassation contre cette décision et que leur recours a été rejeté par le Conseil d'Etat suivant une décision du 23 mars 2020. S'ils soutiennent enfin qu'ils n'ont pu bénéficier de l'aide juridictionnelle en première instance, il résulte du jugement attaqué ainsi que des pièces de première instance produites par les intéressés que M. et Mme E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du bureau d'aide juridictionnelle des 17 décembre 2020 et 7 janvier 2021. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les décisions contestées ont été prises en méconnaissance au droit au procès équitable et au droit à un recours effectif garantis par les articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Les requérants ne sauraient utilement faire état de leurs craintes en cas de retour dans leur pays d'origine dès lors que les décisions contestées portant obligation de quitter le territoire français n'ont ni pour objet ni pour effet de déterminer le pays de destination.

7. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Selon l'article 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. ".

8. Par ailleurs, aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

9. M. et Mme E... se prévalent de ce qu'ils sont arrivés en France en 2013 et qu'ils sont parents de cinq enfants dont deux nés en France, les trois autres y étant rentrés très jeunes. Ils indiquent également avoir participé à différentes formations et avoir bénéficié de l'allocation temporaire d'attente en qualité de demandeurs d'emploi. Ils soutiennent, enfin, qu'ils ne peuvent retourner dans leur pays d'origine où ils craignent des tortures en cas de retour alors que la France est le seul pays où ils ont réussi à s'installer durablement et à reprendre un cours de vie normale. Toutefois, alors qu'ils étaient âgés de 33 ans à la date de leur entrée en France, le séjour de M. et Mme E... sur le territoire national présente un caractère relativement récent et n'est consécutif qu'à l'instruction de leur demande d'asile, en définitive rejetée. Ils n'établissent pas, en outre, être dépourvus d'attaches familiales en Russie, où ils ont vécu la majeure partie de leur vie et où, ainsi qu'il résulte de la décision de la CNDA du 28 juin 2019, réside la famille de M. E.... Entrés irrégulièrement sur le territoire français pour y déposer une demande d'asile, ils ne pouvaient pas, de plus, ignorer la précarité de leur situation. Enfin, les requérants n'exercent aucune activité professionnelle, ni ne justifient de liens privés en France. Alors que les décisions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants de leur famille et qu'ils n'établissent pas les craintes alléguées en cas de retour dans leur pays d'origine ainsi qu'il est dit au point 15, les requérants ne font état d'aucun élément faisant obstacle à ce que la scolarité de leurs enfants puisse se poursuivre hors de France, notamment en Russie, de sorte qu'ils ne démontrent pas que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer dans leur pays d'origine ou dans tout autre pays où ils seraient légalement admissibles. Par suite, les décisions portant obligation de quitter le territoire français n'ont pas, dans les circonstances de l'espèce, porté au droit au respect de la vie privée et familiale des requérants une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis et n'ont donc méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques doit être écarté ainsi que celui tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.

10. En sixième lieu, le principe posé par les dispositions du dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes desquelles : " La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " ne s'impose à l'autorité administrative, en l'absence de précision suffisante, que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français. Par suite, M. et Mme E... ne sauraient utilement, pour critiquer la légalité des décisions contestées, invoquer ce principe indépendamment de ces dispositions.

11. En septième lieu, aux termes de l'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 : " Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays ".

12. Ainsi qu'il résulte de ce qui a été dit au point 9, et alors même que deux de leurs enfants sont nés sur le territoire français et les trois autres y sont rentrés jeunes, les requérants n'établissent pas de liens particuliers tels que la France puisse être regardée comme leur " propre pays " au sens de ces stipulations. Par suite, M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué porterait atteinte au droit de toute personne de quitter librement n'importe quel pays, y compris le sien, garanti par l'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966.

En ce qui concerne la légalité des décisions fixant le pays de destination :

13. En premier lieu, les arrêtés contestés visent notamment les stipulations de l'article

3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et mentionnent que les intéressés n'ont pas apporté d'éléments suffisants pour permettre d'établir des craintes en cas de retour dans leur pays d'origine. Par suite, les moyens tirés de ce que les décisions litigieuses seraient insuffisamment motivées et entachées d'un défaut d'examen particulier de la situation des requérants doivent être écartés.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " (...) Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu'il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : " 1. Aucun Etat partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. / 2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'Etat intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives "

15. Les requérants font valoir qu'ils sont tchétchènes originaires du Daghestan. Selon des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, certaines catégories de la population du Nord Caucase, notamment du Daghestan, sont considérés " à risque ", notamment les membres de la lutte armée de la résistance tchétchène, les personnes considérées par les autorités comme tels, leurs proches, les personnes les ayant assistés d'une manière ou d'une autre ou encore les personnes soupçonnées de faits de terrorisme. Selon des rapports internationaux, les pratiques de mauvais traitements et de tortures par les forces de l'ordre dans la région du Caucase du Nord sont répandues ainsi que la violation des droits de l'homme. En particulier, les réfugiés tchétchènes renvoyés par la France vers la Fédération de Russie font l'objet d'enlèvements et de tortures à leur arrivée en Russie.

16. Toutefois, si M. et Mme E... se prévalent des décisions de la CNDA du 12 février 2018 qui leur avaient reconnu le statut de réfugié, la commission nationale les a déclarées nulles et non avenues, par une autre décision du 28 juin 2019, qui a été confirmée par une décision du Conseil d'Etat du 13 mars 2020. Selon la décision du 28 juin 2019, la protection internationale accordée aux requérants avait été obtenue sur la foi de fausses déclarations ou de fausses pièces soumises dans l'intention d'induire la Cour en erreur et il était établi que ces éléments frauduleux avaient eu une influence directe et déterminante sur l'appréciation de la réalité du besoin de protection tel qu'il avait été reconnu dans les décisions octroyant la protection internationale aux intéressés. A ce titre, la CNDA a retenu que les requérants avaient sciemment introduit une première demande d'asile sous un faux état civil concernant M. E... et que des éléments significatifs des motifs de sa présence en France ont continué à être dissimulés au regard de la fiche portant inscription de ce dernier au fichier des personnes recherchées jointe au courrier du préfet du Morbihan du 16 mars 2018, dont la valeur probante ne pouvait être remise en cause et qui faisait état en des termes précis et circonstanciés de l'usage d'un troisième patronyme, " Khalid ", d'une affiliation à un groupe islamiste radical, et de l'organisation de réseaux de soutien logistique et financier en vue de préparer des actions terroristes. La CNDA a ensuite examiné si les intéressés apportaient des faits ou des éléments nouveaux se rapportant à leur situation personnelle ou à la situation dans leur pays d'origine, pour pouvoir prétendre à une protection internationale. Cette protection leur a été cependant refusée après que la Cour eût notamment constaté que les pièces produites par les intéressés pour justifier leurs craintes (attestation de " Mémorial " et différents témoignages) avaient été sollicitées par les requérants pour les besoins de la cause auprès de proches et rédigées en des termes convenus et que la véracité des récits attestée par l'organisation non gouvernementale (ONG) " Independant International HR Group " du 18 avril 2016 ", avait été démentie dans leur demande de réexamen. Dans la présente instance, les requérants n'apportent aucun élément nouveau tendant à établir qu'ils seraient personnellement exposés à des risques de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à l'article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à l'article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être que rejeté.

17. En troisième lieu, aux termes de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : " Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (...) ". Aux termes de l'article 78 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. L'Union développe une politique commune en matière d'asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d'un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement. Cette politique doit être conforme à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, ainsi qu'aux autres traités pertinents (...) "

18. Les requérants, à qui la reconnaissance du statut de réfugié a été définitivement refusée, ne saurait utilement se prévaloir de ces stipulations.

19. En quatrième, les requérants soutiennent que les décisions fixant le pays de destination sont illégales pour violer les droits de l'enfant en se bornant à faire valoir qu'ils seront renvoyés vers un pays où ils ont subi des tortures et risquent de nouvelles tortures et traitements inhumains et dégradants, de sorte que la préservation de l'unité familiale n'est pas garantie. Compte tenu de ce qui a été dit au point 16, ce moyen ne peut être qu'écarté.

En ce qui concerne la légalité des décisions portant sur la remise des passeports et la présentation au commissariat de police de Lorient :

20. Aux termes de l'article L. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur : " L'étranger auquel un délai de départ volontaire a été accordé en application du II de l'article L. 511-1 peut, dès la notification de l'obligation de quitter le territoire français, être astreint à se présenter à l'autorité administrative ou aux services de police ou aux unités de gendarmerie pour y indiquer ses diligences dans la préparation de son départ. (...) ".

21. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ne sont pas entachées d'illégalité. M. et Mme E... ne sont donc pas fondés à se prévaloir, par la voie de l'exception, de leur illégalité pour demander l'annulation des mesures de surveillance prises à leur encontre.

22. En deuxième lieu, si l'obligation de présentation à laquelle un étranger est susceptible d'être astreint sur le fondement de l'article L. 513-4 a le caractère d'une décision distincte de l'obligation de quitter le territoire français, cette décision, qui tend à assurer que l'étranger accomplit les diligences nécessaires à son départ dans le délai qui lui est imparti, concourt à la mise en œuvre de l'obligation de quitter le territoire français. Dans ces conditions, si l'article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration et le public impose que cette décision soit motivée au titre des mesures de police, cette motivation peut, outre la référence à l'article L. 513-4, se confondre avec celle de l'obligation de quitter le territoire français assortie d'un délai de départ volontaire.

23. Les arrêtés contestés, qui se fondent sur les articles L. 513-4 et R. 513-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, concourent à la mise en œuvre de la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Il résulte de ce qui a été dit au point 3, que les décisions portant obligation de quitter le territoire français sont suffisamment motivées. Les arrêtés précisent, en outre, qu'il est nécessaire que les intéressés se présentent au commissariat de police de Lorient afin d'éviter tout risque de fuite et qu'ils devront l'informer des diligences en vue de leur départ. Les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de ces décisions et de ce qu'elles seraient entachées d'un défaut d'examen particulier de leur situation doivent dès lors être écartés.

24. En troisième lieu, les requérants soutiennent que les décisions en litige seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaitraient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en se bornant à faire valoir que la remise de leur passeport et une présentation au commissariat deux fois par semaine, le mardi et le jeudi à 10 heures, seraient, pour eux, excessivement contraignantes. Toutefois, ils n'apportent au soutien de leur allégation aucun élément pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les modalités de cette mesure seraient disproportionnées dès lors qu'il ne s'agit pour l'administration que de s'assurer de l'accomplissement des préparatifs de leur départ. Par suite, le moyen doit être écarté.

25. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E... alias A... C..., à Mme B... D..., épouse E... et au ministre de l'intéreur.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :

- D. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. L'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 mars 2022.

Le rapporteur,

M. L'hirondel

Le président,

D. Salvi

La greffière,

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

2

N° 21NT01099


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01099
Date de la décision : 11/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET DGR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-03-11;21nt01099 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award