Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 15 juin 2021 par lequel le préfet du Finistère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé la République tchèque comme pays de renvoi et a prononcé une interdiction de circulation sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
Par un jugement n°2103164 du 22 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du préfet du Finistère du 15 juin 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 juillet 2021, le préfet du Finistère demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 22 juin 2021 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de rejeter la demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif de Rennes.
Il soutient que :
l'arrêté contesté n'a pas été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L.233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que M. E... n'a jamais apporté devant l'administration de justificatifs probants sur la nature et la durée de ses emplois en France, ni sur ses ressources qui doivent être suffisantes ;
ne remplissant pas les conditions prévues à l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. E... ne peut, dans ces conditions, invoquer les dispositions de l'article L.234-1 du même code ; en outre, il ne remplit pas les conditions de résidence prévues par ce dernier article ;
pour l'effet dévolutif de l'appel, les autres moyens présentés en première instance par M. E... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2021, M. B... E..., représenté par Me Mazouin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
la requête d'appel du préfet du Finistère est irrecevable faute de justifier de la délégation de signature de l'auteur de cette requête ;
aucun des moyens soulevés par le préfet du Finistère n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. L'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet du Finistère relève appel du jugement du 22 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 15 juin 2021 faisant obligation à M. B... E..., ressortissant tchèque né le 5 juin 1970, de quitter le territoire français sans délai, fixant la République tchèque comme pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. E... :
2. Par un arrêté du 9 février 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département du 12 février 2021, le préfet du Finistère a donné, à compter du 15 février 2021, délégation de signature à M. D... A..., en sa qualité de directeur de cabinet, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de M. Christophe Marx, secrétaire général, en toutes matières, tous les actes relevant des attributions du préfet à l'exclusion des arrêtés de délégation de signature et des évaluations des directeurs et chefs de service de l'Etat. M. E... n'établit ni même n'allègue que M. C... n'aurait pas été absent ou empêché à la date de la signature de la requête d'appel présentée par le préfet du Finistère. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'intimé, tirée de l'incompétence de l'auteur de la requête, doit être écartée.
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile inséré au titre V " Décision d'éloignement " du livre II " Dispositions applicables aux citoyens de l'Union européenne et aux membres de leur famille " : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ; ".
4. Il appartient à l'autorité administrative d'un État membre qui envisage de prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un ressortissant d'un autre État membre de ne pas se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, mais d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. L'ensemble de ces conditions doivent être appréciées en fonction de la situation individuelle de la personne, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-1 les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1. ". Aux termes de l'article L. 234-1 de ce code : " Les citoyens de l'Union européenne mentionnés à l'article L. 233-1 qui ont résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. (...) ".
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. E... a déclaré lors de son audition par les services de police, confirmée par ses écritures d'appel, être venu une première fois en France en 2011 puis être retourné en Tchéquie pour de nouveau revenir en France à compter d'octobre 2015 et y travailler à compter de décembre de la même année. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment de sa fiche pénale, qu'il a été écroué à compter du
30 août 2020 jusqu'au moins à la date de l'arrêté en litige et qu'il a été condamné par un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 26 janvier 2021 à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement dont cinq mois avec sursis probatoire et cinq ans ans d'interdiction de séjour dans le Morbihan pour des faits de violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. La période d'incarcération ne saurait être prise en compte dans le calcul de la durée de résidence légale et ininterrompue en France au sens des dispositions précitées.
Par suite, M. E... n'établissant pas, à la date de l'arrêté contesté, d'une telle résidence en France depuis au moins cinq années, il n'est pas fondé à se prévaloir d'un droit au séjour permanent.
7. En second lieu, M. E... soutient que la décision contestée serait disproportionnée dès lors qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public. Toutefois, outre les faits rappelés au point précédent et pour lesquels l'intéressé a été condamné par la cour d'appel de Rennes, il ressort des mentions issues du traitement des antécédents judiciaires que l'intéressé est défavorablement connu, notamment, pour des faits de violences volontaires commis le 4 décembre 2012 avec usage ou menace d'une arme avec incapacité temporaire de travail de moins de 8 jours, de viol et de violence sans incapacité commis du 1er février 2019 au 7 janvier 2020 par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, de violence commis du 30 novembre 2019 au
1er décembre 2019 par une personne en état d'ivresse manifeste suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours ainsi que pour des faits de violence suivie d'incapacité n'excédant pas 8 jours commis du 14 avril 2020 au 26 août 2020 par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Par ailleurs, il a enfreint, le 29 août 2020, l'interdiction du contrôle judiciaire prononcé à son encontre en prenant contact avec la victime. Selon l'arrêt précité de la cour d'appel de Rennes, le casier judiciaire tchèque de l'intimé est " chargé " pour comporter cinq condamnations, la dernière, prononcée le
10 décembre 2013, l'ayant condamné à la peine de quatre ans d'emprisonnement pour des dommages corporels graves et troubles à l'ordre public. L'intéressé est décrit, dans ce jugement, comme ayant une addiction à l'alcool et des comportements violents et être en désinsertion sociale et professionnelle. Le jugement retient également que les problèmes d'alcool de l'intéressé sont de nature à favoriser les passages à l'acte violent alors qu'il n'a pas été en mesure de respecter l'interdiction de contact avec la victime prévue au titre des obligations du contrôle judiciaire. Dans ces conditions, ces faits de violence répétés commis par M. E..., dont les derniers n'étaient pas anciens à la date de l'arrêté contesté, constituent une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société au sens des dispositions du 2° de l'article L.251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il suit de là, alors que l'intéressé est célibataire et sans enfant, sans profession, sans domicile, et sans attache autre que la victime dans le département du Morbihan, que le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en obligeant M. E... à quitter le territoire sur le fondement de ces dernières dispositions.
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté contesté pour méconnaissance des dispositions de l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. E..., tant en première instance qu'en appel
Sur les autres moyens invoqués par M. E... :
9. En premier lieu, l'arrêté contesté mentionne les textes dont le préfet du Finistère a fait application. Il précise dans ses huit premiers considérants la situation de M. E... qui justifie qu'une décision portant obligation de quitter le territoire français soit prise à son encontre. Il indique, ensuite, les motifs pour lesquels une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de trois ans a été prononcée. Cette motivation permet à l'intéressé de comprendre les motifs pour lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a pris l'arrêté contesté en toutes ses décisions. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cet arrêté doit être écarté.
10. En deuxième lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 6 et 7, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. "
12. Si M. E... allègue que l'arrêté contesté méconnaît ces dispositions compte tenu de la durée de son séjour en France alors qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public, il y a lieu d'écarter ce moyen par les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 6 et 7.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 15 juin 2021.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement, par application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à l'avocat de M. E... F... la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 22 juin 2021 est annulé.
Article 2 : La demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 20 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. L'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 février 2022.
Le rapporteur,
M. LHIRONDEL
Le président,
D. SALVI
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01827