La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/01/2022 | FRANCE | N°20NT00349

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 28 janvier 2022, 20NT00349


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Goahel a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de l'imposition supplémentaire à l'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010.

Par un jugement n° 1704040 du 20 novembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à sa demande et prononcé la décharge sollicitée.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 3

1 janvier 2020, 3 février 2020, 9 juillet 2021 et 4 août 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été comm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Goahel a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de l'imposition supplémentaire à l'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010.

Par un jugement n° 1704040 du 20 novembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à sa demande et prononcé la décharge sollicitée.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 31 janvier 2020, 3 février 2020, 9 juillet 2021 et 4 août 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué en l'absence d'éléments nouveaux, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement et de remettre à la charge de la société la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010 ainsi que les pénalités correspondantes, soit

192 167 euros en droits et 24 597 euros d'intérêt de retard ;

2°) à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le bénéfice réalisé en 2010 resterait exclu du calcul de la valeur patrimoniale, de reconnaître néanmoins le caractère significatif de l'écart entre prix de cession et valeur vénale, et de remettre à la charge de la SAS Gohael un rappel d'impôt sur les sociétés d'un montant de 167 662 euros en droits, augmentés de

21 461 euros d'intérêt de retard.

Il soutient que :

- la procédure d'imposition est régulière ; la proposition de rectification adressée à la société était suffisamment motivée ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a considéré que la somme de 500 000 euros correspondant au résultat de l'exercice 2010 devait être exclue du calcul de la valeur patrimoniale ;

- c'est à tort que ce tribunal a estimé que l'écart entre la valeur vénale et le prix de cession n'était pas significatif ; à supposer même que la somme de 500 000 euros soit exclue du calcul de la valeur patrimoniale, l'écart entre la valeur vénale et le prix de cession demeure significatif.

Par des mémoires enregistrés les 27 avril 2020 et 21 juillet 2021 la SAS Goahel, représentée par Me Rocaboy, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Brasnu,

- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 30 décembre 2010, la SAS Goahel a cédé à la SAS Equinoxe 29 24 500 actions de la SAS Capic, société ayant pour activité la fabrication d'équipements pour grandes cuisines destinés à une clientèle de professionnels. Ces actions ont été acquises pour un prix de 2 094 000 euros, soit 85,47 euros par action. Au moment de la cession, M. B... C... détenait 51% des titres de la société vendeuse, la SAS Goahel. Sa fille, A... C..., détenait quant à elle 94% des parts de la société acquéreuse, la SAS Equinoxe 29. Elle détenait en outre 16,3% en nue-propriété de la SAS Goahel. La SAS Goahel a fait par la suite l'objet d'une vérification de comptabilité. A l'issue de ce contrôle, le vérificateur a estimé que le prix de cette cession était inférieur à la valeur vénale des parts cédées, qu'il a évaluée à 127 euros, et a procédé aux rectifications qui en découlent en matière d'impôt sur les sociétés. Au cours de la procédure contradictoire, le service a accepté de ramener le prix de la valeur vénale par action à 120 euros, puis 109 euros. La cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise en recouvrement le 20 décembre 2016 a été calculée sur la base de cette dernière valeur vénale. Après le rejet de sa réclamation, la SAS Goahel a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010. Par un jugement du 20 novembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à sa demande.

Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.

3. S'agissant de la cession d'un élément d'actif immobilisé, lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.

4. La valeur vénale des titres d'une société non admise à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, celle-ci peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives.

5. Il est constant qu'il n'existe pas de cession portant sur les titres de la SAS Capic ou d'une société comparable pouvant, compte tenu notamment de sa date, servir de terme de comparaison afin de vérifier le prix convenu lors de la cession en litige.

6. Pour déterminer la valeur vénale des titres de la société Capic, le service a déterminé une valeur patrimoniale (valeur mathématique), une valeur de rendement par capitalisation du bénéfice et une valeur de productivité par multiple de la marge brute d'autofinancement (MBA). Le service a alors calculé une valeur moyenne, s'établissant à

121 euros, et a ensuite appliqué une décote de 10% pour détention minoritaire, ramenant la valeur vénale du titre à 109 euros, soit un écart en pourcentage de la valeur vénale de 21,64%.

7. Ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, le service a à tort pris en compte, pour déterminer la valeur patrimoniale de la société, la somme de 500 000 euros correspondant au bénéfice prévisionnel de l'exercice clos le 31 décembre 2010, exercice qui n'était pas clos au moment de la cession, intervenue le 30 décembre 2010. En effet, eu égard au caractère approximatif et incertain de ce bénéfice, le service ne pouvait pas intégrer cette somme dans le calcul du patrimoine de la société cédée. Par conséquent, il convient de ramener la valeur patrimoniale totale de la SAS Capic à 5 358 885 euros. Compte tenu de ce que l'administration a, à tort, pris en compte le résultat prévisionnel de l'exercice en cours dans la détermination de la valeur patrimoniale, la valeur vénale retenue par l'administration doit ainsi être ramenée à 106,2 euros, soit un écart en pourcentage de la valeur vénale de 19,5%.

8. Pour apprécier si un tel écart, légèrement inférieur à l'écart de 20% généralement admis, est significatif, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances propres au litige.

9. D'une part, il résulte de l'instruction que, sur la base d'une étude réalisée par le cabinet d'expertise comptable Blécon en mars 2009, la première évaluation réalisée par la société Goahel a abouti à un montant total de 7,4 millions d'euros, soit un prix par action de 148 euros. Pour déterminer le prix de ce cession pratiqué de 85,47 euros par titre, la société a actualisé l'étude réalisée par le cabinet Blecon avec les résultats des années 2009 et 2010 et, surtout, retranché la somme de 4,5 millions d'euros correspondant à une distribution de dividendes réalisée avant la vente, obtenant une valeur totale de 4 273 500 euros. Cependant, les méthodes d'évaluation fondées sur la rentabilité étant destinées à évaluer la capacité future de l'entreprise à dégager des liquidités, elles ne sauraient dépendre du versement effectif ou non de dividendes aux associés. La distribution de dividendes n'avait donc pas à être retranchée de cette évaluation. Par conséquent, l'étude du cabinet Blécon, actualisée avec les résultats de 2009 et 2010, aurait en réalité dû aboutir à une évaluation de 8,77 millions d'euros (4 273 500 + 4 500 000), soit une valeur par titre de 175,47.

10. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'en l'espèce l'administration fiscale a au cours des négociations précontentieuses fait preuve d'une grande souplesse, ramenant son évaluation de 141,12 euros à 120 euros lors de sa réponse aux observations du contribuable, et de 120 euros à 109 euros lors de l'interlocution départementale. En outre, elle a décidé, alors qu'elle n'y était pas tenue, d'appliquer par mesure de bienveillance une décôté de 10% pour détention minoritaire.

11. Des éléments exposés aux point 10 et 11 il résulte que le montant de

106,20 euros, déterminé à l'issue d'une évaluation particulièrement prudente et bienveillante, a néanmoins mis en évidence un écart en pourcentage de la valeur vénale de 19,5%. Dans les circonstances de l'espèce, cet écart doit donc être regardé comme présentant un caractère significatif. Il suit de là que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé la décharge totale des impositions en litige au motif que l'écart entre le prix convenu et la valeur vénale ne présentait pas de caractère significatif.

12. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Goahel devant le tribunal administratif et devant la cour.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

13. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) / Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée. ".

14. La proposition de rectification, adressée le 19 mars 2013 à la SAS Goahel mentionne l'imposition et l'année d'imposition concernées ainsi que la base d'imposition. L'administration a en outre détaillé les méthodes d'évaluation qu'elle a mises en œuvre pour déterminer la valeur vénale des actions de la société Capic ainsi que les raisons justifiant le choix des coefficients retenus. La société disposait ainsi d'éléments suffisants afin de présenter utilement ses observations. Par suite, la proposition de rectification était suffisamment motivée. La circonstance que l'administration a, par la suite, amendé ses évaluations afin de tenir compte de certaines remarques formulées par la société ne saurait ni révéler un défaut de motivation de la proposition de rectification, ni caractériser une atteinte au principe du débat oral et contradictoire.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a prononcé la décharge totale des impositions en litige et à demander que soit remise à la charge de la société une imposition supplémentaire à l'impôt sur les sociétés correspondant à une évaluation de la société de 106,2 euros par titre, ainsi que les intérêts de retard se rapportant à cette imposition.

Sur les frais liés au litige :

16. L'Etat n'étant pas la partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la SAS Goahel sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : L'imposition supplémentaire à l'impôt sur les sociétés correspondant à une évaluation de la valeur vénale des parts de la société Capic de 106,20 euros par titre ainsi que les intérêts de retard s'y rapportant sont remis à la charge de la SAS Goahel, soit un montant de 167 662 euros en droits, augmentés de 21 461 euros d'intérêt de retard.

Article 2 : Le jugement n° 1704040 du 20 novembre 2019 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la SAS Goahel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la SAS Goahel.

Délibéré après l'audience du 13 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, présidente de chambre,

- M. Geffray, président-assesseur,

- M. Brasnu, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2022.

Le rapporteur

H. BrasnuLa présidente

I. PerrotLa greffière

A. Marchais

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 20NT003492


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00349
Date de la décision : 28/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Harold BRASNU
Rapporteur public ?: Mme CHOLLET
Avocat(s) : LES CONSEILS D'ENTREPRISES (LCE QUIMPER)

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-01-28;20nt00349 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award