Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Orys a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 25 février 2019 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale d'Eure-et-Loir de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Centre-Val de Loire a accordé l'autorisation de transfert du contrat de travail de M. B... A... au sein de la société Orys.
Par un jugement n° 1901505 du 19 février 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 mai 2020 et 25 février 2021, la société Orys, représentée par Me Moatti, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 25 février 2019 est insuffisamment motivée en l'absence de précisions sur les moyens corporels fournis principalement par EDF et les matériels fournis par la société Konecranes à ses salariés pour le travail hors zone contrôlée ;
- l'enquête menée par l'inspecteur du travail n'a pas respecté le principe du contradictoire en l'absence de recueil des observations de la société EDF et de la société Orys ;
- c'est à tort que l'inspecteur du travail a retenu le transfert d'une entité économique autonome au sens et pour l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail dès lors que les moyens matériels fournis par EDF ne représentent qu'une partie du matériel nécessaire à la réalisation des prestations de marché, que la société Orys a refusé de procéder au rachat du matériel propre de la société Konecranes et que la perte d'un marché générant un chiffre d'affaires de 300 000 euros par an sans recours à un encadrement ne peut être assimilé à une entité économique autonome ;
- aucune obligation de reprise du personnel n'est prévue dans le cadre du marché conclu avec EDF de sorte que l'article L. 1224-1 du code du travail n'avait pas à s'appliquer de plein droit.
Par deux mémoires, enregistrés les 20 août 2020 et 12 mars 2021, la société Konecranes France SAS, représentée par Mes Tarasewicz et Leger, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société Orys une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Orys ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 27 janvier 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle s'en remet à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Malingue,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me Brule, substituant Mes Tarasewicz et Leger, représentant la société Konecranes France SAS.
Considérant ce qui suit :
1. La société Konecranes France SAS employait, depuis le 1er mars 1995, M. A..., qui exerçait des fonctions de technicien de maintenance sur le site de la centrale nucléaire de production d'électricité de Dampierre-en-Burly (Loiret), dans le cadre d'un marché relatif aux prestations de maintenance préventive, corrective et d'assistance aux contrôles réglementaires des équipements et accessoires de levage de la centrale nucléaire de Dampierre, conclu pour une durée de cinq ans à compter du 1er janvier 2014 entre la SAS Konecranes et la société Electricité de France (EDF). M. A... détenait par ailleurs le mandat de membre titulaire du comité d'entreprise. Après un nouvel appel d'offres d'EDF, la société Orys a été attributaire, à compter du 1er janvier 2019 et pour une durée de cinq ans, du marché pour la maintenance des moyens de levage de certaines centrales nucléaires de production d'électricité dont celle de Dampierre. La SAS Konecranes a sollicité auprès de l'inspecteur du travail, par lettre du 21 décembre 2018, l'autorisation de procéder au transfert du contrat de travail de M. A... au sein de la société Orys, en application de l'article L. 2414-1 du code du travail. L'inspecteur du travail a autorisé ce transfert par une décision du 25 février 2019, dont la société Orys a demandé l'annulation au tribunal administratif d'Orléans. Cette dernière relève appel du jugement du 19 février 2020 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur la légalité externe de la décision du 25 février 2019 :
2. La société Orys se borne à reprendre en appel, sans apporter aucun élément nouveau de fait ou de droit, les moyens invoqués en première instance contre la décision du 25 février 2019 et tirés de l'insuffisance de sa motivation et de la méconnaissance du principe du contradictoire en l'absence de recueil par l'inspecteur du travail des observations de l'intéressée et de la société EDF. Il y a lieu, en conséquence, d'écarter ces moyens par adoption des motifs, retenus à bon droit par les premiers juges qui y ont suffisamment et justement répondu.
Sur la légalité interne de la décision du 25 février 2019 :
3. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. ". Aux termes de l'article L. 2414-1 du même code : " Le transfert d'un salarié compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article L. 1224-1 ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail lorsqu'il est investi de l'un des mandats suivants : / (...) / 2° Membre élu (...) de la délégation du personnel du comité social et économique (...) ". Aux termes de l'article L. 2421-9 de ce code : " Lorsque l'inspecteur du travail est saisi d'une demande d'autorisation de transfert, en application de l'article L. 2414-1, à l'occasion d'un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, il s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire. (...). ".
4. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés protégés bénéficient d'une protection exceptionnelle instituée dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, afin d'éviter que ces salariés ne fassent l'objet de mesures discriminatoires dans le cadre d'une procédure de licenciement ou d'un transfert partiel d'entreprise. Dans ce dernier cas, il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de transfert sur le fondement de l'article L. 2414-1 du code du travail, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier que sont remplies les conditions prévues à l'article L. 1224-1 du code du travail. Cette dernière disposition, interprétée à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, ne s'applique qu'en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise par le nouvel employeur. Constitue une entité économique autonome, un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif économique propre. Le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant.
5. Pour faire obstacle au transfert du contrat de travail de M. A... C... la société Konecranes à la société Orys, cette dernière soutient que les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ne trouvent pas à s'appliquer, en l'absence d'obligation conventionnelle de reprise du personnel et dans la mesure où, selon elle, il n'y a pas eu transfert d'une entité économique autonome et de transfert des éléments significatifs d'exploitation corporels ou incorporels.
6. En premier lieu, il est constant que l'activité de maintenance des équipements et accessoires de levage du site de Dampierre-en-Burly, confiée à la société Orys dans le cadre de l'exécution du marché conclu avec EDF à compter du 1er janvier 2019, est identique à celle réalisée par la société Konecranes dans le cadre du marché conclu avec EDF pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2018, de sorte que l'activité économique doit être regardée comme ayant conservé son identité et son objectif propre quant à la réalisation de cette mission.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que cette activité de maintenance était effectuée par une équipe placée sous la responsabilité d'un superviseur, qui n'était pas exclusivement affecté à ce site et n'a pas été transféré, et composée de cinq techniciens de maintenance, dont M. A..., entièrement dédiée et formée à l'exécution des prestations spécifiques du marché conclu avec EDF, incluant des compétences propres en lien avec la spécificité de l'activité en centrale nucléaire.
8. En troisième lieu, il ressort du cahier des clauses techniques particulières du marché que la société Orys exécutera ce marché en bénéficiant de la mise à disposition par EDF des moyens et matériels nécessaires à la réalisation de la prestation (eau, air comprimé, électricité, logistique tertiaire) et de la mise à disposition et conduite des moyens de levage et de " la délivrance des accès informatiques nécessaires à la réalisation de la prestation " ainsi que de la mise à disposition, en zone contrôlée, des outillages, des équipements de protection individuelle et du consommable tandis que le titulaire du marché ne conserve à sa charge, pour les travaux hors zone contrôlée, que l'outillage et les équipements nécessaires, comme les équipements de protection individuelle, l'outillage standard, l'outillage et les matériels spécifiques répondant aux exigences d'exécution des procédures applicables. Ainsi, quand bien même la société Orys n'a pas racheté le chariot élévateur et le conteneur de stockage qu'utilisait la société Konecranes, les moyens matériels mis à disposition par EDF, nullement résiduels comme le soutient la société Orys, mais significatifs et nécessaires à l'exécution de l'activité de maintenance des équipements et accessoires de levage du site de Dampierre-en-Burly, ont fait l'objet d'un transfert de mise à disposition au profit du nouvel exploitant pour exécuter sa mission.
9. Par suite, l'activité transférée constituait un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique poursuivant un objectif propre et donc, au sens des dispositions citées au point 3, une entité économique autonome qui a été transférée à la société Orys. Dès lors, les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail étant d'ordre public et trouvant clairement à s'appliquer, l'inspecteur du travail n'a pas n'en a pas fait une inexacte application en autorisant le transfert du contrat de travail de M. A... C... la société Konecranes à la société Orys.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Orys n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Orys tendant à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante, lui verse la somme de 3 000 euros à ce titre. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Orys une somme de 1 500 euros à verser à ce titre à la société Konecranes.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Orys est rejetée.
Article 2 : La société Orys versera une somme de 1 500 euros à la société Konecranes France SAS sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orys, à la société Konecranes France SAS, à M. B... A... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme Malingue, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2022.
La rapporteure,
F. MALINGUELe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01506 2
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