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17/12/2021 | FRANCE | N°20NT03787

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 décembre 2021, 20NT03787


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Nantes :

1°) de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 645 738, 09 euros au titre de l'indemnisation versée à Mme B... ;

2°) de condamner solidairement le CHU d'Angers et la SHAM à lui verser la somme de 700 euros

au titre des frais d'expertise amiable ;

3°) de condamner solidairement le CHU d'Ange...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Nantes :

1°) de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 645 738, 09 euros au titre de l'indemnisation versée à Mme B... ;

2°) de condamner solidairement le CHU d'Angers et la SHAM à lui verser la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise amiable ;

3°) de condamner solidairement le CHU d'Angers et la SHAM à lui verser la somme de 96 860,71 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

4°) de réserver la demande au titre de l'assistance par une tierce personne pour laquelle il sera amené à verser une rente à Mme B... à compter du 17 novembre 2015 ;

La CPAM de la Loire-Atlantique, agissant pour le compte de la CPAM de la Mayenne, a demandé à ce même tribunal de condamner le CHU d'Angers, d'une part, à payer à la CPAM de la Mayenne la somme de 380 207,27 euros représentant le montant des prestations servies au titre de l'assurance maladie à hauteur du taux de perte de chance de 75%, d'autre part, à payer l'indemnité forfaitaire de gestion pour un montant de 1 066 euros.

Par un jugement n° 1702864 du 7 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes :

- a condamné solidairement le CHU d'Angers et son assureur, la SHAM, à verser à l'ONIAM, une somme globale de 645 738,09 euros et une autre somme de 32 286,90 euros au titre du 5ème alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

- a condamné le CHU d'Angers, d'une part, à verser à la CPAM de la Mayenne, la somme de 194 992,75 euros et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et, d'autre part, à lui rembourser les débours des dépenses de santé à compter de la date du jugement, sur production de justificatifs, après application du taux de perte de chance retenu et dans la limite de la somme de 1 772,94 euros s'agissant du fauteuil roulant ;

- a mis à la charge du CHU d'Angers et de la SHAM, d'une part, les frais de l'expertise diligentée par la CCI des Pays de la Loire à hauteur de 700 euros, d'autre part, les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 500 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 décembre 2020, l8 janvier 2021, 22 janvier 2021 et 26 juillet 2021, le centre hospitalier universitaire d'Angers et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me Le Prado, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 ;

2°) de rejeter la demande de l'ONIAM et les conclusions de la CPAM de la

Loire-Atlantique présentées devant le tribunal administratif.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal a été saisi ;

- la prise en charge de la complication opératoire subie par Mme B... a été conforme aux règles de l'art et ne présentait pas un caractère fautif, la patiente ayant été victime d'un aléa thérapeutique ainsi qu'il résulte des conclusions du rapport d'expertise du Pr A... confirmées par le rapport critique du Dr D... ; le rapport d'expertise du Pr Tadié comprend, en revanche, des erreurs de nature à avoir faussé le raisonnement de l'expert ;

- à titre subsidiaire, c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que le retard fautif du centre hospitalier s'est traduit par une perte de chance de 75 % d'éviter l'apparition d'une tétraplégie ; subsidiairement, une nouvelle expertise pourra être ordonnée ;

- à titre infiniment subsidiaire, le tribunal administratif de Nantes a procédé à une évaluation excessive des préjudices subis en ce qui concerne l'assistance par une tierce personne et le déficit fonctionnel temporaire ;

- les demandes par voie d'appel incident de la caisse primaire d'assurance maladie consistant dans le remboursement, par capitalisation, des frais hospitaliers antérieurs au 31 mars 2008 et celui des frais futurs pour un fauteuil roulant électrique ne sont pas fondées ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a prononcé à son encontre la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique dès lors qu'il existait un doute sur sa responsabilité au regard des conclusions contradictoires des deux expertises qui avaient été diligentées.

Par un mémoire enregistré le 16 février 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Welsch, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à ce que le CHU d'Angers et la SHAM soient condamnés, solidairement, à lui payer la somme de 96 860,71 euros correspondant à 15% de l'indemnité totale de 645 738,09 euros qu'il a payée en lieu et place de la SHAM et à la réformation en ce sens du jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 ;

3°) à ce que soit mis à la charge solidaire du CHU d'Angers et de la SHAM le paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- le jugement attaqué du tribunal administratif devra être confirmé en ce qu'il retient le bien-fondé de son recours subrogatoire ainsi que la responsabilité du CHU d'Angers tenant en un retard fautif dans la réintervention de Mme B... réalisée le 20 février 2008 et a fixé le taux de perte de chance à 75 % ;

- s'agissant de la réparation du préjudice, le jugement attaqué sera confirmé sauf en tant qu'il limite à 5 % et non à 15 % l'indemnité due par le CHU d'Angers en application des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique dès lors que le refus d'indemnisation de l'établissement hospitalier n'était pas justifié au regard des conclusions du rapport d'expertise du Pr Tadié alors que même s'ils estimaient qu'aucune faute n'avait été commise, il convenait au CHU d'Angers et à son assureur d'indemniser la victime avant d'exercer un recours subrogatoire.

Par un mémoire enregistré le 18 mars 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique, agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne, représentée par Me Simon, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident :

1°) à titre principal, à la condamnation solidaire du CHU d'Angers et de la SHAM à lui verser la somme totale de 325 954,72 euros après application d'un taux de perte de chance de 75 % ;

2°) à titre subsidiaire, à la condamnation solidaire du CHU d'Angers et de la SHAM à lui verser la somme totale de 129 048,36 euros et une rente annuelle au titre des frais futurs d'un montant de 11 964,10 euros après application d'un taux de perte de chance de 75 % ;

3°) à ce que les condamnations complémentaires prononcées par la cour soient assorties des intérêts au taux légal à compter du jour d'enregistrement de son mémoire par le greffe de la cour ;

4°) de mettre à la charge solidaire du CHU d'Angers et de la SHAM une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes sera confirmé en tant qu'il retient la responsabilité du CHU d'Angers ;

- le jugement sera, en revanche, réformé en tant qu'il porte sur le remboursement de ses débours ;

- le CHU d'Angers et son assureur devront l'indemniser des débours qu'elle a exposés au titre des dépenses de santé actuelles qui incluent celles intervenues lors de la période d'hospitalisation du 5 mars 2008 au 6 décembre 2008, et qui s'élèvent à la somme totale de 101 696,07 euros après application du taux de perte de chance de 75 % ;

- le CHU d'Angers et son assureur devront lui verser, à titre viager, un capital pour la prise en charge des frais médicaux qui comprennent le renouvellement ou la réparation d'un fauteuil roulant électrique pour un montant capitalisé de 3 515,99 euros, ce qui représente un total de 224 258,65 euros après application du taux de perte de chance de 75 % ; subsidiairement, ils devront être condamnés à lui verser la somme totale de 129 048,36 euros pour les arrérages échus au 10 décembre 2020 et une rente annuelle au titre des frais futurs d'un montant de 11 964,10 euros après application de ce même taux de perte de chance ; les sommes complémentaires prononcées par la cour porteront intérêts au taux légal à compter du jour d'enregistrement par le greffe de son mémoire, soit le 18 mars 2021.

Vu :

- l'ordonnance de taxation n° 0902012 du 4 mars 2010 par laquelle le président du tribunal administratif de Nantes a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 1 500 euros ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L'hirondel,

- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... B..., qui se plaignait depuis plusieurs mois de fourmillements et de manque de force dans les main et jambe gauches, a subi le 20 novembre 2007, alors qu'elle était âgée de 69 ans, une imagerie par résonance magnétique (IRM) médullaire qui a mis en évidence un canal cervical étroit très rétréci de C2 à C5 en raison d'une calcification importante des ligaments vertébraux et une hernie discale C6-C7 médiane. Le 14 février 2008, elle a alors été prise en charge par le service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers qui a procédé à une opération par voie antérieure pour une myélopathie cervicale afin de réaliser une exérèse de la hernie discale C6-C7. Au cours de l'intervention, une brèche méningée est survenue qui a été immédiatement colmatée. Les suites opératoires pendant les premières 48 heures ont été simples. A partir du 17 février 2008, Mme B... a souffert de douleurs puis de difficultés de mobilisation de la main droite puis de la main gauche, ce qui a justifié la réalisation d'une IRM cervicale le 18 février 2008 et la mise en place, le même jour, d'une corticothérapie parentérale. Toutefois, devant l'apparition d'une paraparésie caractérisée par un déficit du membre inférieur droit puis gauche, une laminectomie a été réalisée le 20 février 2008. L'évolution post opératoire s'est traduite par une tétraplégie complète.

2. Mme B... a sollicité, auprès du juge des référés du tribunal administratif de Nantes, l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire, confiée au Pr A... qui a rendu son rapport le 19 février 2010. Mme B... a ensuite déposé, le 6 décembre 2011, une demande d'indemnisation auprès de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) des Pays de la Loire qui a sollicité une nouvelle expertise confiée au Pr Tadié, neurochirurgien. Le Pr Tadié a rendu son rapport le 25 avril 2012. Aux termes de son avis du 20 février 2013, la CCI des Pays de la Loire a estimé que le retard dans la prise en charge de Mme B... était imputable à un comportement fautif du CHU d'Angers ouvrant droit à la réparation des préjudices qui en découlaient, dans la limite de 75 % des préjudices subis. En l'absence de proposition d'indemnisation présentée par le CHU d'Angers et son assureur, la SHAM, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) s'est substitué à ces derniers sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et a indemnisé Mme B... aux termes de deux protocoles transactionnels des 1er décembre 2013 et 2 mai 2014, pour la somme totale de 645 738,09 euros. Subrogé dans les droits de cette dernière, l'ONIAM a demandé au CHU d'Angers et à la SHAM de lui rembourser les indemnités versées. Cette demande a été refusée par un courrier de la SHAM du 8 juillet 2013.

3. L'ONIAM a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement le CHU d'Angers et son assureur à l'indemniser des préjudices consécutifs à la prise en charge de Mme B.... Par un jugement du 7 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement le CHU d'Angers et la SHAM, à verser à l'ONIAM, une somme globale de 645 738,09 euros et une autre somme de 32 286,90 euros au titre du 5ème alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Il a également condamné le CHU d'Angers à verser, d'une part, à la CPAM de la Mayenne la somme de 194 992,75 euros au titre de l'indemnisation des débours exposés en lien avec la faute retenue à l'encontre du centre hospitalier et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et, d'autre part, à lui rembourser des dépenses de santé qu'elle devra supporter à compter de la date du jugement, sur production de justificatifs, après application du taux de perte de chance retenu et dans la limite de la somme de 1 772,94 euros s'agissant du fauteuil roulant. Il a enfin mis à la charge du CHU d'Angers et de la SHAM, d'une part, les frais de l'expertise diligentée par la CCI des Pays de la Loire à hauteur de 700 euros, d'autre part, les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 500 euros. Le CHU d'Angers et la SHAM relèvent appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, l'ONIAM demande à la cour de porter la condamnation due par le CHU d'Angers et la SHAM au titre du 5ème alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique à hauteur de 96 860,71 euros et la CPAM de la Loire-Atlantique, agissant pour le compte de la CPAM de la Mayenne, à ce que le montant de ses débours au titre des dépenses de santé actuelles et futures soit réévalué.

Sur la responsabilité du Centre hospitalier universitaire d'Angers :

4. Aux termes de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. Dans ce cas, les dispositions de l'article L. 1142-14, relatives notamment à l'offre d'indemnisation et au paiement des indemnités, s'appliquent à l'office, selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'Etat. L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances. L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise (...) ". Il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé en vertu de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'Office. Lorsqu'il procède à cette évaluation, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime.

5. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise des professeurs A... et Tadié des 19 février 2010 et 25 avril 2012, que l'indication opératoire consistant en la réalisation d'une opération par voie antérieure avec ablation du disque C6-C7 et abord du ligament longitudinal postérieur calcifié était justifiée et que l'intervention chirurgicale du 14 février 2008 a été menée dans les règles de l'art, y compris s'agissant du colmatage de la brèche méningée qui constitue un aléa thérapeutique. En particulier, si dans les 48 heures qui ont suivi l'opération, Mme B... a commencé à ressentir des signes de paralysie qui iront croissants, tout d'abord au niveau du bras droit puis du bras gauche, justifiant la réalisation d'une IRM, le 18 février 2018, qui révèlera une compression importante de la moelle, une disparition de la colonne liquidienne protectrice et un hyper signal intramédullaire très étendu, il résulte du rapport du Pr A... qu'aucune faute dans la prise en charge de Mme B... lors de l'intervention du 14 février 2008 ne peut être retenue à l'encontre du centre hospitalier dès lors que cette complication, qui revêt la nature d'un accident médical, est liée à une ischémie médullaire probablement favorisée par la brèche durale apparue lors de cette intervention.

7. Cependant, le Pr Tadié, qui remet en cause le diagnostic d'ischémie, indique qu'une reprise en urgence par laminectomie aurait dû être effectuée dès les résultats de l'IRM connus alors que celle réalisée le 20 février 2008 était trop tardive pour être intervenue sur une moelle épinière très fragilisée par quatre jours de compression, ce qui a logiquement conduit, selon lui, à la tétraplégie. Selon son rapport, la fragilisation de la moelle épinière, qui s'est manifestée par l'apparition des premiers signes de paralysie, a pour cause la pose, lors de l'opération du 14 février 2008, du drain de redon dans l'espace pré-vertébral destiné à éviter la formation d'un hématome. Ce drain a eu pour effet de rouvrir la brèche durale et d'aspirer du liquide

céphalo-rachidien en quantité " importante " (60 cm3), même lorsqu'il a été mis en mode " siphonage " après avoir été constaté qu'il contenait du liquide clair.

8. Toutefois, il résulte de l'instruction, et n'est pas contesté, qu'une laminectomie cervicale est une intervention risquée chez une patiente ayant un canal cervical étroit, comme c'était le cas de Mme B..., et qu'elle ne pouvait dès lors être décidée qu'en présence de signes cliniques évidents. Or, et comme l'indique le Pr Fisher, neurochirurgien, dans sa note du 20 juin 2013 adressée par la SHAM, l'opportunité chirurgicale et l'indication de réintervention ont été discutées en staff médical réunissant l'ensemble des neurochirurgiens de l'établissement hospitalier. Ce staff médical a ainsi pu peser les avantages et les risques d'une telle réintervention alors que le tableau médullaire était complexe, de sorte que l'hésitation à ne pas opérer d'urgence résulte d'un choix sécuritaire et ne peut être regardé comme fautif. En outre, selon ce même professeur, Mme B... présentait déjà un hypersignal localisé en C6-C7 avant l'intervention du 14 février 2008, de sorte que la fuite de 60 cm3 de liquide céphalorachidien ne peut être la cause des troubles neurologiques constatés quarante-huit plus tard. Le Pr Fisher partage alors le diagnostic retenu par le Pr A... selon lequel les symptômes post-opératoires présentés par Mme B... étaient ceux d'une ischémie vasculaire de la moelle cervicale, entrant dans le cadre d'un accident médical non fautif, " dont le traitement n'était à l'évidence pas d'ordre chirurgical " et que " la décision de décompression postérieure, geste éminemment dangereux, n'a été prise que lorsqu'il a été avéré que l'évolution spontanée ne serait pas favorable ". De même, selon la note du Dr D... du 23 janvier 2021, neurochirurgien, également produite par la SHAM, l'hypothèse émise par le Pr Tadié, qui a commis deux erreurs, l'une anatomique sur les ligaments pouvant participer à la compression médullaire, l'autre sur l'importance donnée à la quantité de liquide céphalorachidien retirée qui ne représente en réalité que 10 % de ce liquide fabriqué par la patiente durant les 28 heures pendant lesquelles le drain de redon a été mis en place, se révèle hasardeuse dès lors que la réintervention réalisée le

20 février 2008, qui n'a pas amélioré l'état de santé de la patiente, démontre au contraire que le mécanisme à l'origine de la complication n'est vraisemblablement pas compressif et qu'une opération plus précoce n'aurait eu aucun effet. Le Dr D... conclut, dans ces conditions, que l'indication chirurgicale de reprise était difficile à poser devant un mécanisme physiopathologique inconnu ne justifiant pas une reprise au bloc opératoire dès le 18 février 2008 et que la complication tétraplégique, potentiellement d'origine vasculaire, procède de l'aléa thérapeutique. Les observations du Dr E..., chirurgien, dans sa note du 14 décembre 2016 produite par l'ONIAM, et qui se borne à reprendre à son compte l'hypothèse du Pr Tadié, n'est pas de nature à remettre en cause l'expertise judiciaire réalisée par le Pr A... et confirmée par les analyses concordantes du Pr Fisher et du Dr D....

9. Il résulte de ce qui précède qu'aucun élément de l'instruction n'établit que le CHU d'Angers a commis une faute lors de la prise en charge de Mme B.... Dans ces conditions, le recours subrogatoire de l'ONIAM à l'encontre du centre hospitalier, subordonné à l'existence d'une faute commise par ce dernier, ne peut être accueilli.

10. Il suit de là, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa régularité, qu'il y a lieu d'annuler le jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes et, par voie de conséquence, de rejeter les demandes présentées devant ce tribunal par l'ONIAM et par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire-Atlantique ainsi que leurs conclusions d'appel incident dont ils ont saisi la cour ainsi que celles présentées par la caisse primaire au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge définitive de l'ONIAM les frais et honoraires de l'expertise du docteur A..., liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros par ordonnance du président du tribunal du 4 mars 2010.

12. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU d'Angers et de la SHAM, qui n'ont pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, les sommes que l'ONIAM et la CPAM de la

Loire-Atlantique demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1702864 du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par l'ONIAM et la CPAM de la Loire-Atlantique devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que leurs conclusions présentées par voie d'appel incident sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'ONIAM et la CPAM de la Loire-Atlantique au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par la CPAM de la Loire-Atlantique sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale sont rejetées.

Article 5 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 500 euros sont mis à la charge définitive de l'ONIAM.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire d'Angers, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique.

Copie en sera transmise, pour leur information, à Mme B... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président de chambre,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.

Le rapporteur

M. L'HIRONDELLe président

D. SALVI

Le greffier

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

8

N° 20NT03787


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03787
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : UGGC AVOCATS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-12-17;20nt03787 ?
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