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17/12/2021 | FRANCE | N°20NT03630

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 décembre 2021, 20NT03630


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., agissant à titre personnel et en sa qualité d'ayant droit de sa mère Juliette Travers, a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier (CH) du Mans à lui verser, une indemnité d'un montant total de 75 392,70 euros en réparation des préjudices subis du fait du décès de sa mère survenu le 11 avril 2013 dans cet établissement.

Par un jugement n° 1706957 du 23 septembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure

devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 novembre 2020 et 25 m...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., agissant à titre personnel et en sa qualité d'ayant droit de sa mère Juliette Travers, a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier (CH) du Mans à lui verser, une indemnité d'un montant total de 75 392,70 euros en réparation des préjudices subis du fait du décès de sa mère survenu le 11 avril 2013 dans cet établissement.

Par un jugement n° 1706957 du 23 septembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 novembre 2020 et 25 mai 2021, Mme C... B..., agissant à titre personnel et en sa qualité d'ayant droit de sa mère Juliette Travers, représentée par Me Conte, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 septembre 2020 ;

2°) de condamner le centre hospitalier (CH) du Mans à lui verser, en sa qualité

d'ayant-droit de Juliette Travers, la somme totale de 40 000 euros ;

3°) de condamner le CH du Mans à lui verser, en raison de ses préjudices propres subis à la suite du décès de Juliette Travers, la somme totale de 35 392,70 euros :

4°) de mettre à la charge du CH du Mans la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le CH du Mans a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité en ayant, d'une part, réalisé tardivement la radiographie pulmonaire et du fait, d'autre part, de la contraction d'une maladie nosocomiale ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les soins prodigués par le centre hospitalier n'ont pas été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science ; les traitements médicamenteux administrés n'étaient pas adaptés aux pathologies de la patiente et compte tenu de leurs effets indésirables ont pu être à l'origine des chutes de Juliette Travers ; il n'est pas établi que sa mère ait consenti à un traitement psychotrope ;

- la chute de sa mère, à l'origine du décès, révèle un défaut d'organisation du service dès lors qu'il appartenait au centre hospitalier de s'assurer de la pose des barrières du lit afin d'éviter cette chute ;

- la surveillance de sa mère a été insuffisante après sa chute ;

- il n'est pas établi que sa mère était en état de démence ;

- la responsabilité du CH du Mans ne peut être atténuée par le comportement qu'elle a pu adopter ;

- sa mère a subi une perte de chance de survie et a enduré des souffrances ; ces chefs de préjudice devront être indemnisées à hauteur de 20 000 euros chacun ;

- elle a subi un préjudice patrimonial tenant aux frais d'obsèques et d'expertise judiciaire qui s'élèvent respectivement à 4 182,70 euros et 1 210 euros ;

- elle a subi un préjudice d'accompagnement et un préjudice d'affection qui doivent être évalués respectivement aux sommes de 10 000 et 20 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 avril 2021, le centre hospitalier du Mans, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L'hirondel,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Conte, représentant Mme B....

Une note en délibéré présentée pour Mme B... a été enregistrée le 16 décembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Alors qu'elle était âgée de 86 ans, Juliette Travers a été hospitalisée le 22 février 2013 à la suite d'un épisode de dyspnée au service des urgences du centre hospitalier (CH) du Mans à la demande de son médecin traitant en raison d'une " forte diarrhée, une anorexie qui peut faire craindre une déshydratation, une dégradation rapide avec risque de chute ". Après avoir tout d'abord été transférée au pôle de gériatrie, elle a été ensuite admise au sein du service de cardiologie puis en oncohématologie-hématologie après la découverte d'un lymphome. Le 10 avril 2013, elle a été retrouvée, à 20 h, à terre près de son lit et son décès sera constaté le lendemain à 05 h 45. Saisi par Mme C... B..., sa fille, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, par une ordonnance du 27 avril 2016, désigné le docteur D..., comme expert, aux fins de déterminer les conditions de prise en charge de la patiente. Le docteur D... a déposé son rapport le 23 mars 2016. Par un courrier du 3 mai 2017, Mme B... a adressé une réclamation préalable indemnitaire au CH du Mans qui l'a rejetée le 2 juin 2017. Mme B..., en sa qualité d'ayant-droit de Juliette Travers et en son nom propre, a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le CH du Mans à lui verser une indemnité d'un montant total de 75 392,70 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du décès de sa mère. Par un jugement du 23 septembre 2020, dont

Mme B... relève appel, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité du CH du Mans :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.".

3. En l'absence de certitudes médicales permettant d'affirmer ou d'exclure qu'un dommage corporel survenu au cours ou dans les suites d'un acte de soins est imputable à cet acte, il appartient au juge, saisi d'une demande indemnitaire sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, de se fonder sur l'ensemble des éléments pertinents résultant de l'instruction pour déterminer si, dans les circonstances de l'affaire, cette imputabilité peut être retenue.

En ce qui concerne la faute tirée du retard dans la réalisation d'une radiographie pulmonaire :

4. Il résulte du rapport d'expertise, alors que Juliette Travers avait connu un épisode de dyspnée, que les différents examens effectués au service des urgences lors de son admission à l'hôpital étaient adaptés à l'exception du retard pris dans la réalisation de la radiographie pulmonaire qui sera réalisée cinq jours après, soit le 27 février 2013. Si cette radiographie était nécessaire afin de permettre de révéler l'insuffisance cardiaque dont souffrait Juliette Travers, ce qui a justifié ensuite une opération en urgence en service de cardiologie le 28 février 2013, le retard dans sa réalisation ne présente toutefois aucun lien avec le décès de l'intéressée dès lors, ainsi que le retient l'expert, que ce décès a pour cause exclusive la chute dont Juliette Travers a été victime le 10 avril 2013 et que l'expert précise, en outre, que ce retard n'a eu aucune incidence sur l'évolution ultérieure de son état de santé.

En ce qui concerne l'infection nosocomiale :

5. Si, selon le rapport d'expertise, une infection nosocomiale a été constatée le 8 mars 2013 et traitée jusqu'au 18 mars suivant, elle a pu être jugulée. L'expert conclut à l'absence de lien entre cette infection et la cause du décès dont il a été dit au point précédent qu'il est dû exclusivement à la chute dont a été victime Juliette Travers le 10 avril 2013. En particulier, Mme B... ne saurait sérieusement soutenir, sans au demeurant l'établir, que l'infection nosocomiale a eu pour effet d'augmenter la douleur et la fatigue de sa mère, ralentissant le processus de guérison, alors que l'opération cardiaque réalisée le 28 février 2013 a révélé que Juliette Travers souffrait d'un lymphome de haut grade, justifiant son admission en service d'oncologie-hématologie, pour lequel a été mis en place un traitement corticoïde et une chimiothérapie débutée le 27 mars 2013, qu'elle a été ensuite traitée pour un syndrome de Lyse et qu'elle présentait une aplasie.

En ce qui concerne les traitements médicamenteux administrés :

6. Il ressort du rapport médical du Dr E... du 10 décembre 2014 présenté par la requérante que, avant son admission à l'hôpital, Juliette Travers souffrait d'une démence mixte (mi-artériopathique, mi-maladie d'Alzheimer), d'importance modérée nécessitant l'intervention d'une assistante de vie qui venait tous les jours sauf le dimanche, d'une infirmière pour l'aider à prendre ses médicaments ainsi que l'entourage de sa famille. Son traitement comportait alors un médicament agissant sur les formes légères à modérées de la maladie d'Alzheimer et un antidépresseur. Le courrier du 11 septembre 2012 du Dr A..., du service pôle neuro-cardiologie du CH du Mans, intervenu cinq mois avant l'admission de l'intéressée à cet hôpital, indique que Juliette Travers faisait déjà des petits malaises sans perte de connaissance sans pouvoir préciser exactement les circonstances de survenue de ces malaises, les débuts d'altération des fonctions supérieures étant évoqués. Selon le registre des transmissions ciblées, Juliette Travers a présenté, lors de sa prise en charge par le CH du Mans et à plusieurs reprises, un état de démence caractérisé par une attitude désorientée ou très agitée. Pour l'expert, l'origine de cette démence provient de la maladie d'Alzheimer dont était atteinte l'intéressée. Enfin, tant l'expert D... que le Dr E... n'ont jamais remis en cause les prescriptions médicamenteuses administrées à Juliette Travers. Dans ces conditions, compte tenu de l'état de démence avéré de Juliette Travers, conséquence de la maladie d'Alzheimer, à qui des psychotropes avaient été au demeurant déjà prescrits avant sa prise en charge par le centre hospitalier, Mme B... ne saurait alléguer que le centre hospitalier a commis une faute dans la prescription des médicaments en délivrant inutilement des psychotropes au motif qu'ils n'étaient pas adaptés à la pathologie de sa mère qui souffrait de problèmes respiratoires en raison d'un épanchement pleural.

En ce qui concerne le défaut de surveillance :

7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Juliette Travers avait chuté de son lit les 1er et 4 avril 2013, sans gravité. Toutefois, en raison de ces chutes, et ainsi que le mentionnent les fiches de prescription quotidienne, des barres de lit devaient être installés. Le 10 avril 2013, lors de la troisième chute qui a occasionné le traumatisme crânien et qui, selon l'expert, est la cause probable du décès qui s'en est suivi, ces barrières n'étaient pas installées. Toutefois, il n'est pas contesté que ces barrières qui avaient bien été mises en place ce jour-là ont été retirées par Mme B..., qui ne les a pas remises en quittant la chambre de sa mère à 18 heures, ni informé le personnel soignant de son départ. Alors que le rapport d'expertise du 23 mars 2016 précise que la surveillance de la patiente a été conforme jusqu'au dernier jour, il ne résulte pas de l'instruction que le personnel médical a manqué à son devoir de surveillance en ne passant pas dans la chambre de Juliette Travers entre 18 heures, heure de départ de Mme B..., et 20 heures, heure à laquelle la chute a été constatée. Dès lors, la chute de Juliette Travers n'est pas imputable à un défaut d'organisation du service et ne saurait être regardée comme constituant une faute susceptible d'engager la responsabilité du CH du Mans.

En ce qui concerne les modalités de prise en charge de Juliette Travers après sa chute du 10 avril 2013 :

8. Il résulte des fiches de suivi de la patiente, qu'après sa chute, un hématome du cuir chevelu sans plaie a été constaté et qu'une surveillance par l'échelle de Glasgow a été mise en place toutes les heures pendant quatre heures puis une fois toutes les deux heures conformément aux préconisations de l'interne de garde. Selon ces mêmes pièces, la porte de sa chambre est restée ouverte à la demande de Juliette Travers pour assurer une meilleure surveillance et cette dernière parlait à l'équipe médicale à chaque passage dans les couloirs. Cette surveillance a permis de noter un trouble de conscience vers 5 h 20, heure à laquelle l'interne de garde a été appelé, et l'évolution défavorable a été ensuite très rapide, le décès ayant été constaté vingt-cinq minutes après, à 5 h 45. Selon l'expert qui a sollicité l'avis d'un neurochirurgien auprès du centre hospitalier d'Angers, cette évolution n'aurait pas permis de réaliser, comme le prétend la requérante, un scanner cérébral. Par suite, aucune faute ne peut être retenue à ce titre contre le CH du Mans.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 210 euros, par une ordonnance n° 1504260 du président du tribunal administratif de Nantes du 27 avril 2016, sont laissés à la charge définitive de Mme B....

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de Mme B... la somme que le CH du Mans demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Les mêmes dispositions font par ailleurs obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par Mme B... soit mise à la charge du CH du Mans, qui n'est pas la partie perdante à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du CH du Mans tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au centre hospitalier du Mans, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.

Le rapporteur

M. L'HIRONDELLe président

D. SALVI

Le greffier

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 20NT03630


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03630
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET PIGEAU MEMIN CONTE MURILLO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-12-17;20nt03630 ?
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