Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le centre hospitalier universitaire de Caen-Normandie a refusé de mettre en œuvre à son égard la protection fonctionnelle et de condamner cet établissement à lui verser les sommes de 7 248 euros en remboursement des frais de justice exposés, de 15 000 euros en réparation de la méconnaissance de son obligation de protection et de prévention et de 30 000 euros en réparation du harcèlement moral subi.
Par un jugement n°1901402 du 30 juin 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 31 août 2020, 3 septembre 2020,
1er avril 2021 et 21 mai 2021, Mme B..., représentée par Me Mazza, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 juin 2020 du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler la décision implicite du 20 avril 2019 par laquelle le directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen-Normandie a refusé de mettre en œuvre la protection fonctionnelle à son égard ;
3°) d'enjoindre au CHU de Caen-Normandie de mettre en œuvre la protection fonctionnelle à son égard ;
4°) de condamner le CHU de Caen-Normandie à lui verser les sommes de 10 000 euros en remboursement des frais de justice exposés, de 15 000 euros en réparation des préjudices causés par la méconnaissance de son obligation de protection et de prévention et de 30 000 euros en réparation des préjudices causés par le harcèlement moral subi ;
5°) de mettre à la charge du CHU de Caen-Normandie la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le CHU de Caen-Normandie a méconnu les dispositions de l'article 11 de la loi du
13 juillet 1983 et a commis une faute en refusant de mettre en œuvre à son égard la protection fonctionnelle pour les agissements de harcèlement moral qu'elle a subis de la part de
Mme C... et ses complices ;
- le CHU de Caen-Normandie a commis une faute en contribuant au harcèlement moral qu'elle a subi ;
- le CHU a commis une faute en manquant à son obligation de protection de la santé, notamment mentale, au travail ;
- elle a exposé une somme de 10 000 euros TTC au titre des frais de justice que l'établissement public doit lui rembourser au titre de la protection fonctionnelle ;
- le harcèlement moral subi lui a causé un préjudice de santé et un préjudice de carrière qui doivent être réparés par le versement de la somme de 30 000 euros ;
- le manquement par l'établissement à son obligation de la santé au travail doit être indemnisé par le versement d'une somme de 15 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 février 2021, 3 mai 2021 et 10 juin 2021, le centre hospitalier universitaire de Caen-Normandie, représenté par Me Holleaux, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de
Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les conclusions de Mme B... à fin d'annulation de la décision de refus d'octroi de la protection fonctionnelle sont irrecevables ou, à tout le moins, sans objet, cette protection ayant été accordée à la requérante par une décision du 26 février 2019 ;
- il n'a commis aucune faute, dès lors que :
* il a apporté une solution au conflit relationnel existant entre la requérante et
Mme C... et a collaboré au processus de médiation mis en œuvre pour trouver une solution d'apaisement à la suite de départ de
Mme B... en congé pour maladie le 3 janvier 2018, n'a pas bloqué ou ralenti l'octroi à celle-ci d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service et a régularisé sa situation financière dès que cela a été possible ;
* il n'a pas manqué à son obligation de protection de la santé au travail : les dysfonctionnements organisationnels ou l'absentéisme allégués pour établir un tel manquement n'existent pas.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n°82-453 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 84-135 du 24 février 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Catroux,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Mazza, représentant Mme B..., et de Me Le Gall, représentant le centre hospitalier universitaire de Caen-Normandie.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., professeur des universités - praticien hospitalier (PU-PH) et cheffe du service de dermatologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen-Normandie, a sollicité, le 15 février 2019, auprès de cet établissement, le bénéfice de la protection fonctionnelle pour des agissements de harcèlement moral qu'elle disait subir de la part de Mme C..., autre médecin dermatologue du CHU, ainsi que le remboursement de ses frais d'avocat et la réparation des préjudices subis. Par une décision du 26 février 2019, le directeur du centre hospitalier universitaire a accordé à Mme B... le bénéfice de la protection fonctionnelle. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler le refus implicite intervenu le 20 avril 2019 de mettre en œuvre la protection fonctionnelle qu'elle a sollicitée et de condamner le centre hospitalier universitaire à lui verser les sommes de
7 248 euros en remboursement des frais de justice exposés, de 15 000 euros en réparation de la méconnaissance de son obligation de protection et de prévention et de 30 000 euros en réparation du harcèlement moral subi. Par un jugement du 30 juin 2020, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense aux conclusions d'excès de pouvoir :
2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) IV. La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ".
3. Les dispositions précitées établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
4. Il ressort des pièces du dossier que le bénéfice de la protection fonctionnelle a été accordé à Mme B... par une décision du 26 février 2019, qui invitait cette dernière à se rapprocher de l'administration pour connaître les modalités de la mise en œuvre de cette protection. La seule circonstance que le CHU de Caen-Normandie n'ait pas remboursé à la requérante les frais de justice exposés par elle ne permet pas d'établir que les mesures envisagées par cet établissement pour mettre en œuvre son obligation de protection vis-à-vis de l'intéressée n'auraient pas été adaptées aux circonstances de l'espèce, ni qu'il aurait refusé de mettre en œuvre cette protection. Par suite, les conclusions de Mme B... à fin d'annulation d'une prétendue décision implicite de refus d'octroi de la protection fonctionnelle sont, ainsi que le relève le CHU, irrecevables. Elles ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées. Il en va, de même, par voie de conséquence, de ses conclusions à fin d'injonction.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
5. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".
6. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
7. En premier lieu, Mme B..., qui a été placée à compter du 3 janvier 2018 en congé pour maladie en raison de son état de santé psychique, soutient qu'elle a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part d'une collègue dermatologue,
Mme C.... Cette dernière aurait, selon la requérante, tenté de court-circuiter sa nomination en qualité de PU-PH et déstabilisé l'organisation du service et ses relations avec les prestataires extérieurs. Mme B... soutient également que Mme C... a manipulé, par ses mensonges, d'autres acteurs du centre hospitalier afin d'entraver l'exercice de son autorité de cheffe de service et, finalement, prendre sa place. Les éléments ainsi avancés par la requérante sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
8. Il résulte toutefois de l'instruction, compte tenu notamment des éléments produits en défense, que Mme C... avait candidaté en 2010, concurremment à
Mme B..., au poste de chef du service de dermatologie et qu'il lui était parfois reproché de ne pas toujours faire valider en amont, par sa hiérarchie, toutes les initiatives qu'elle prenait dans le cadre de ses projets de recherche sur les plaies et la cicatrisation, sans que cela aille jusqu'à entraîner une déstabilisation du service. Les courriels produits par la requérante montrent, il est vrai, l'existence d'un climat tendu et de désaccords importants entre Mme B... et
Mme C..., notamment sur la mise en œuvre du projet de suivi de plaies à domicile porté par cette dernière, qui exprimait parfois de façon très franche ses critiques et son mécontentement relatifs au fonctionnement du service. En revanche, les éléments versés au dossier ne permettent pas d'établir, contrairement à ce que soutient la requérante, l'existence de manœuvres de la part de Mme C... pour soustraire le service de dermatologie à son autorité. Il résulte, en effet, de l'instruction, que cette dernière a également déclaré avoir été harcelée par Mme B..., du fait d'une communication agressive de celle-ci et des difficultés qu'elle a apportées à la mise en œuvre des projets thérapeutiques et de recherche de Mme C.... Ces raisons ont, ainsi, conduit cette dernière à saisir, le 20 mars 2014, la commission d'aide à la gestion des conflits médicaux de l'établissement, dont
Mme B... a refusé l'intervention, estimant que le conflit en cause était trop important et ancien. Si Mme B... soutient que Mme C... a œuvré pour scinder le service de dermatologie en deux entités en prenant la tête de l'équipe mobile " plaies chroniques et cicatrisation ", cela n'est nullement établi dès lors que la requérante a elle-même contribué à la création de cette unité fonctionnelle, qui a fait l'objet, en décembre 2015, d'une charte de fonctionnement dont elle est signataire. A la suite de la création de cette unité fonctionnelle, rattachée à un autre service de l'établissement, Mme B... n'a pas saisi la direction du CHU de nouvelles difficultés rencontrées avec Mme C.... Par suite, il n'est pas établi que Mme B....aurait fait l'objet de faits répétés constitutifs de harcèlement moral de la part de sa collègue, Mme C....
9. En second lieu, la requérante soutient que l'établissement a contribué au harcèlement moral qu'elle a subi, en dégradant ses conditions de travail et en laissant faire les agissements de Mme C.... Toutefois, il n'est pas établi que ces agissements relèvent du harcèlement moral, comme il a été dit au point précédent. Il résulte, de plus, de l'instruction que le CHU de Caen-Normandie a mis en œuvre des mesures pour résoudre le conflit entre la requérante et sa consœur, en particulier, en créant l'unité fonctionnelle confiée à cette dernière, solution qui a été préférée par Mme B... à une intervention de la commission d'aide à la gestion des conflits médicaux de l'établissement. Il ne résulte pas de l'instruction que la création de cette unité, qui a fait l'objet d'un bilan positif en 2017, bilan auquel Mme B... a participé, ait contribué à dégrader les conditions de travail de la requérante. Cette dernière n'a pas, de plus, saisi la direction de l'établissement de nouvelles difficultés postérieures à la création de l'unité. Si l'intéressée fait aussi grief à l'établissement d'avoir tardé à mettre en œuvre la décision d'imputabilité au service de l'affection de stress post-traumatique qui a entraîné son congé pour maladie à compter du 3 janvier 2018, une telle décision ne relève toutefois pas de sa compétence, mais, en particulier, de celle de l'université de Caen. Enfin, la nomination de Mme C..., en février 2020, comme chef de service par intérim, qui a été prononcée suivant un avis du conseil national des universités du 9 septembre 2019, ne démontre pas de volonté de l'établissement de participer à l'éviction de la requérante de son poste, dès lors que d'une part, Mme B... avait exprimé le souhait en 2019 d'une reprise de ses fonctions sur un autre poste, d'autre part, un autre médecin que
Mme C... avait assuré pendant deux ans cet intérim à la suite du départ en congé pour maladie de l'intéressée et, enfin, aucune autre personne extérieure ne s'était portée candidate sur ce poste. Par suite, l'établissement n'a pas davantage participé aux prétendus agissements de harcèlement moral.
En ce qui concerne le manquement à l'obligation de sécurité et de protection de la santé :
10. Aux termes de l'article 2-1 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique : " Les chefs de service sont chargés, dans la limite de leurs attributions et dans le cadre des délégations qui leur sont consenties, de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité. ".
11. Mme B... soutient qu'elle a été confrontée, en tant que cheffe de service, surtout à compter de l'année 2015, à des dysfonctionnements dans l'organisation du service, en raison notamment de sa répartition sur deux étages et du maintien des activités de médecine générale dans les mêmes locaux que la dermatologie. Elle fait valoir que cette désorganisation a entraîné un absentéisme de près de 80% du personnel paramédical, et l'a conduite à un épuisement professionnel. Toutefois, le regroupement d'une autre activité de médecine avec la dermatologie résultait d'un choix d'organisation de l'établissement de créer une unité commune maladies infectieuses/dermatologie. Cette création avait reçu l'avis favorable du CHSCT et il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait été, en elle-même, source de stress pour les personnels au-delà de la nécessaire adaptation à une nouvelle organisation du service. Si, ainsi que le soutient la requérante, le service de dermatologie a dû fonctionner, en 2015, sur deux étages, le 10ème et le 17ème, ce qui a pu entraîner des difficultés pour les agents, ce dispositif était rendu nécessaire par des travaux et était transitoire. Dans ces conditions, il n'est pas établi que cette modalité de fonctionnement ait constitué un manquement à l'obligation de protéger la santé des agents de l'établissement. Il ne résulte en outre pas de l'instruction que le service de dermatologie aurait été confronté à un très fort taux d'absentéisme en 2015, contrairement à ce que soutient la requérante, puisque le taux d'absence pour motifs médicaux est resté assez bas dans ce service et inférieur au taux constaté dans l'établissement dans son ensemble. Par suite, le manquement allégué de l'établissement à son obligation de sécurité et de protection de la santé au travail n'est pas établi.
12. Il résulte de tout ce qui précède que, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Caen-Normandie, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de
Mme B... la somme que le centre hospitalier universitaire de Caen-Normandie demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire de Caen-Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... et au centre hospitalier universitaire de Caen-Normandie.
Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- M. L'hirondel, premier conseiller,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe 17 décembre 2021.
Le rapporteur
X. CATROUXLe président
D. SALVI
Le greffier
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02711