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17/12/2021 | FRANCE | N°20NT00627

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 décembre 2021, 20NT00627


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... épouse D... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) à leur verser d'une part, la somme de 489 710,73 euros en réparation des préjudices subis par Robert D..., et d'autre part celles de 323 372,04 euros et de 1 115,14 euros en réparation de leurs préjudices, majorées des intérêts au taux légal à compter du 28 février 2014 et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n

1701844 du 19 décembre 2019 le tribunal administratif de Rennes a condamné l'ONIAM ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... épouse D... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) à leur verser d'une part, la somme de 489 710,73 euros en réparation des préjudices subis par Robert D..., et d'autre part celles de 323 372,04 euros et de 1 115,14 euros en réparation de leurs préjudices, majorées des intérêts au taux légal à compter du 28 février 2014 et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1701844 du 19 décembre 2019 le tribunal administratif de Rennes a condamné l'ONIAM à verser à Mmes D... la somme de 594 113,33 euros sous déduction des provisions déjà versées, majorée des intérêts de droit à compter du 10 avril 2017 et de leur capitalisation à compter du 10 avril 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 février, 18 juin et 9 juillet 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes, représenté par Me Fitoussi, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1701844 du 19 décembre 2019 en tant qu'il a mis à sa charge le versement de la somme de 456 322,76 euros au titre de la perte de gains professionnels et de la somme de 8 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

2°) de rejeter les demandes indemnitaires présentées au titre de la perte de gains professionnels et de l'incidence professionnelle et au rejet du surplus des conclusions de la requête ;

3°) de mettre à la charge des consorts D..., le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a statué ultra petita en indemnisant la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle ;

- Robert D... a cessé son activité professionnelle en raison de lésions orthopédiques et non pas en raison de son hépatite C ;

- l'intoxication alcoolique qu'il présentait a majoré les conséquences de l'hépatite.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 mai, 6 juillet et 28 août 2020,

Mme B... A... veuve D... et Mme C... D..., représentées par Me l'Hostis, concluent :

- au rejet de la requête en tant qu'elle porte sur la perte de gains professionnels et sur l'incidence professionnelle ;

- par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément subi par Robert D... ;

- à ce que leur soit versée la somme de 433 274,30 euros en réparation de leurs préjudices ;

- à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement doit être confirmé en ce qui concerne la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle de Robert D... ;

- le préjudice d'agrément sera réparé par le versement de la somme de 1 500 euros, le préjudice sexuel de Robert D... par celle de 5 000 euros, le préjudice spécifique de contamination de Robert D... par celle de 10 000 euros, les pertes de revenus par celle de 385 274,30 euros et le préjudice d'accompagnement et d'affection de Mme D... par celle de 31 500 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brisson,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- les observations de Me L'hostis, représentant Mmes D....

Considérant ce qui suit :

1. Robert D..., hospitalisé le 28 septembre 1979 à la clinique Saint-Sauveur de Guingamp en raison d'une hémorragie digestive, a bénéficié dans cet établissement d'une transfusion de treize culots sanguins et de trois plasmas frais congelés. A l'occasion d'un bilan réalisé en juillet 1995 pour une pathologie rhumatologique, il a été découvert que l'intéressé était atteint du virus de l'hépatite C (VHC). Par une ordonnance du 29 juin 2010, le juge des référés du tribunal de grande instance de Guingamp a prescrit une expertise médicale de l'intéressé. Les experts ont établi leur rapport le 29 décembre 2011. A la suite du décès de Robert D..., survenu le 25 février 2013, Mme B... D..., sa veuve, et Mme C... D..., sa fille, ont saisi le 28 février 2014 le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant, d'une part, à ce qu'une expertise complémentaire soit ordonnée et, d'autre part, à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 60 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de leurs préjudices. Par une ordonnance du 10 juin 2014, le juge des référés de ce tribunal a ordonné une expertise complémentaire et a rejeté la demande de provision.. Par un arrêt du 31 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir annulé cette ordonnance du 10 juin 2014 en tant qu'elle avait rejeté la demande de provision des requérantes, a mis à la charge de l'ONIAM une provision de 18 000 euros à verser à Mme B... D... et une provision de 3 000 euros à verser à Mme C... D.... L'expert désigné par le tribunal a déposé son rapport le 20 mars 2015. La réclamation préalable présentée par les requérantes à l'ONIAM par courrier du 6 avril 2017, reçu le

10 avril suivant, a été rejetée par cet établissement. Par un jugement du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'ONIAM à verser à Mmes D... la somme totale de 594 113,33 euros, sous déduction des provisions déjà versées, majorée des intérêts de droit et de leur capitalisation. L'ONIAM relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser les sommes de 456 322,76 euros et de 8 000 euros en réparation respectivement de la perte de gains professionnels et de l'incidence professionnelle subies par Robert D.... Mmes D..., par la voie de l'appel incident, demandent à la cour de réformer ce jugement en portant les sommes qui leur ont été allouées en réparation des autres chefs de préjudices subis au montant total de 433 274,30 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. L'ONIAM soutient que les premiers juges ont réparé les chefs de préjudice liés à la perte de gains professionnels et à l'incidence professionnelle supportées par la victime à hauteur de 100 % alors que Mmes D... avaient sollicité une indemnisation à hauteur seulement de 70 %. Toutefois, il résulte de l'instruction que le tribunal administratif qui n'a pas alloué à Mmes D... une indemnisation totale plus élevée que celle demandée pour l'ensemble des chefs de préjudice en litige, n'a pas statué ultra-petita.

Sur l'obligation de l'ONIAM :

3. Aux termes du jugement attaqué, le tribunal a, eu égard au faisceau d'indices permettant de faire présumer l'origine transfusionnelle de la contamination par le VHC de Robert D..., condamné l'ONIAM à réparer les préjudices en résultant tant pour l'intéressé que pour ses proches. Il a également jugé que l'intoxication éthylique avait majoré les conséquences de cette contamination. Les premiers juges ont par suite condamné l'ONIAM à réparer 100 % des préjudices résultant uniquement de la contamination de Robert D... par le VHC et à concurrence de 65 % s'agissant des préjudices qui ont été aggravés par l'intoxication alcoolique de Robert D.... Dans ses écritures d'appel, l'ONIAM ne conteste pas le principe de cette obligation qui au demeurant résulte de l'instruction.

Sur l'évaluation des préjudices :

S'agissant de la perte de gains professionnels passés :

4. Il résulte de l'instruction, que Robert D... qui exerçait la profession de boucher charcutier, n'a pas répondu favorablement aux différents traitements antirétroviraux dont il a bénéficié et a été affecté d'une asthénie persistante, associée à des réactions dermatologiques et à des troubles de l'humeur.

5. Compte tenu de ces éléments, et alors même que la décision prise par la Caisse d'assurances vieillesse des artisans des métiers de la viande, puis le Régime Social des Indépendants (RSI), de verser à Robert D... une rente puis une pension d'invalidité en raison de l'incapacité que ce dernier présentait à l'exercice de son métier ne précise pas la cause de cette invalidité, le lien entre le placement de l'intéressé en invalidité et sa contamination par le VHC doit être regardé comme établi, ainsi que l'ont retenu les experts judiciaires dans leurs rapports établis successivement les 29 décembre 2011 et 18 mars 2015.

6. En chiffrant à la somme de 456 322,76 euros qui, eu égard au montant des sommes mises à la charge de l'ONIAM au point 27 du jugement, a implicitement mais nécessairement été ramenée à 296 609,79 euros compte tenu du taux de 65 % au regard de l'incidence de l'imprégnation alcoolique de Robert D... postérieurement à la découverte de sa contamination par le virus de l'hépatite C, les premiers juges ont fait une exacte appréciation de ce poste de préjudice. Il y a donc lieu de laisser à la charge de l'ONIAM cette somme de 296 609,79 euros en réparation de la perte de gains professionnels subie par la victime.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

7. Mme B... D... demande réparation de l'incidence de la pathologie ayant affecté Robert D... sur sa situation professionnelle. Toutefois, en se bornant à faire valoir que ce dernier ne pouvait plus exercer son activité d'artisan charcutier-boucher, la requérante ne justifie pas d'un préjudice distinct de la perte de gains professionnels précédemment indemnisée. Par suite, l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont alloué une somme de 8 000 euros en réparation de ce chef de préjudice.

S'agissant du préjudice d'agrément :

8. Si Mmes D... invoquent le préjudice d'agrément ayant affecté leur époux et père, elles réitèrent devant la cour sans apporter d'éléments nouveaux que Robert D... ne pouvait plus conduire son véhicule et était gêné dans la pratique de ses activités de loisirs en nature de promenades ou de jeux de boules. Par suite, il y a lieu de rejeter cette demande par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

S'agissant du préjudice sexuel :

9. Les premiers juges ont alloué à Mme B... D... une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice sexuel découlant de la contamination de Robert D..., laquelle a été à l'origine d'une perte de l'harmonie conjugale. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction qu'en ayant estimé à 2 000 euros le préjudice ainsi subi, les premiers juges auraient fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice. Cette somme doit être mise en totalité à la charge de l'ONIAM.

En ce qui concerne le préjudice spécifique de contamination :

10. Le tribunal a évalué à 5 000 euros le préjudice spécifique de contamination de Robert D... lié aux inquiétudes légitimes nées de la contamination et des conséquences graves pouvant en résulter. De la date de révélation de sa contamination en juillet 1995 jusqu'à son décès intervenu le 25 février 2013, soit pendant 18 ans, Robert D... a pu légitimement éprouver de l'anxiété en raison même de sa contamination, de l'évolution péjorative de sa maladie et de la dégradation de son état de santé. Il en sera, en l'espèce, fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 10 000 euros. Cette somme doit être intégralement mise à la charge de l'ONIAM.

En ce qui concerne les préjudices de Mme B... D... :

En ce qui concerne la perte de revenus de Mme D... :

11. Mme D..., qui ne conteste pas la somme de 4 713,57 euros que le tribunal a mis à la charge de l'ONIAM en réparation de la perte de revenus qu'elle a subie consécutivement au décès de son époux, sollicite l'indemnisation de sa perte de revenus résultant de la cessation de son activité d'exploitation d'un commerce de bar-tabac, acquis en juillet 1995, et à laquelle elle indique avoir mis fin le 17 septembre 1999 en raison de l'état de santé de son mari. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, que la cessation de cette activité, débutée postérieurement au diagnostic de la contamination de Robert D... par le VHC, présente un lien de causalité direct et certain avec cette pathologie, alors que Robert D... a également présenté entre 1996 et 1999 une intoxication alcoolique aigüe nécessitant une cure de désintoxication. Par suite, la demande de Mme D... à ce titre ne peut être accueillie.

En ce qui concerne le préjudice d'accompagnement et d'affection :

12. La dégradation de l'état de santé de son époux du fait de sa contamination et de son intoxication alcoolique a, pour Mme B... D..., amenée à lui apporter une aide croissante, été à l'origine de bouleversements dans son mode de vie et d'un préjudice moral lié au constat des souffrances endurées par Robert D... jusqu'à son décès survenu le

25 février 2013. Il y a lieu d'évaluer le préjudice d'accompagnement et d'affection à la somme de 20 000 euros. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, 65 % de cette somme, soit 13 000 euros, doivent être mis à la charge de l'ONIAM comme il en a été décidé au point 27 du jugement.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préjudice spécifique de contamination doit être porté à 10 000 euros, que le préjudice lié à l'incidence professionnelle doit être rejeté et enfin qu'il y a lieu de confirmer les sommes mises à la charge de l'ONIAM par le tribunal en réparation des autres chefs de préjudice contestés en appel tant par l'ONIAM que par Mmes D....

Sur les intérêts et la capitalisation :

14. Mmes D... ont droit aux intérêts au taux légal sur les sommes qui leur sont dues à compter du 10 avril 2017, date de réception par l'ONIAM de leur réclamation préalable. A compter du 10 avril 2018, c'est-à-dire un an après la date d'enregistrement de leur demande devant le tribunal, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les frais liés au litige :

15. Les frais de l'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 24 mars 2015 à 1 050 euros sont laissés à la charge définitive de l'ONIAM.

16. Il y a lieu en l'espèce de mettre à la charge de l'ONIAM, partie perdante pour l'essentiel, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mmes D... et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative ne permettent pas d'en faire bénéficier la partie perdante ou tenue aux dépens. Les conclusions présentées sur ce fondement par l'ONIAM ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 5 000 euros que l'ONIAM a été condamné à payer en réparation du préjudice spécifique de contamination de Robert D... est portée à 10 000 euros.

Article 2 : La somme de 8 000 euros que l'ONIAM a été condamné à payer en réparation de l'incidence professionnelle de Robert D... est ramenée à zéro euro.

Article 3 : La somme mentionnée à l'article 1er portera intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2017, les intérêts portant eux-mêmes intérêts à compter du 10 avril 2018 puis à chaque échéance annuelle suivante.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'ONIAM versera à Mmes D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de l'ONIAM et de Mmes D... est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes, à Mme B... D..., à Mme C... D... et au Pôle national RCT travailleurs indépendants.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi président de chambre,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. L'Hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.

La rapporteure,

C. BRISSON

Le président,

D. SALVI

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé publique, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT00627


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00627
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-12-17;20nt00627 ?
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