La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/12/2021 | FRANCE | N°21NT01052

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 07 décembre 2021, 21NT01052


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 12 mars 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités allemandes et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2102988 du 23 mars 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 avril 2021, M. C..., représenté par Me R

oulleau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces arrêtés ;

3°) de mett...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 12 mars 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités allemandes et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2102988 du 23 mars 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 avril 2021, M. C..., représenté par Me Roulleau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces arrêtés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et méconnaît l'article 3-2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'en raison de son travail de journaliste, il a dû quitter en urgence avec toute sa famille D... et qu'il encourt le risque de représailles et d'atteintes graves à sa personne en cas de retour en Allemagne par les services secrets russes qui le recherchent activement ;

- l'arrêté portant assignation à résidence est illégal en l'absence de perspective raisonnable d'exécution ;

- l'obligation de pointage n'est pas justifiée au regard de son état de santé et du fait qu'il n'a aucune raison de quitter la France.

Par un mémoire, enregistré le 16 août 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- le délai de transfert est reporté au 23 septembre 2022 compte tenu de la fuite de M. C....

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 juillet 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Malingue a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Après avoir fait l'objet le 18 septembre 2020 d'un premier transfert vers l'Allemagne, Etat qui lui avait délivré un visa de court séjour valable du 3 février 2019 au 2 février 2020, M. C..., ressortissant russe né le 19 septembre 1979, est, entré en France pour la dernière fois le 19 septembre 2020. Sa demande d'asile a été enregistrée le 5 janvier 2021 par les services de la préfecture de Maine-et-Loire. La consultation du fichier Visabio a établi que M. C... était en possession d'un visa en cours de validité au moment du dépôt de sa première demande d'asile. Consécutivement à leur saisine le 11 janvier, les autorités allemandes ont explicitement donné leur accord à la prise en charge de l'intéressé le 28 janvier 2021. Par deux arrêtés du 12 mars 2021, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de M. C... aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. C... a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés. Il relève appel du jugement du 23 mars 2021 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur l'arrêté de transfert :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Aux termes de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

3. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

4. En invoquant les craintes d'être retrouvé par les services secrets russes en Allemagne, M. C... n'invoque aucun élément de nature à établir qu'une demande d'asile déposée dans ce pays serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités allemandes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Allemagne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de transfert méconnaît l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

5. En second lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre et que cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en œuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Cette faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

6. M. C... fait valoir les risques qu'il encourt pour sa vie et sa sécurité en Allemagne du fait des menaces proférées par les services secrets russes, y compris sur ce territoire, à son encontre du fait de son activité de journaliste en Russie. Toutefois, en admettant que la production d'une carte de membre de l'Union des journalistes de Russie suffise à établir que l'intéressé, qui s'est présenté comme cadre d'entreprise lors de sa demande de visa auprès des autorités allemandes et comme économiste lors de la déclaration de la naissance de son fils à A... le 3 mars 2020, exerce cette profession et, en l'absence de toute pièce justifiant des publications qu'il aurait effectué en cette qualité sur sa page Facebook ou au titre du journal d'opposition Chernovik pour lequel il indique qu'il travaillait en 2019, qu'il soit menacé en raison de ses prises de position en qualité de journaliste, les pièces qu'il produit, consistant en la traduction de deux courriels du 28 octobre 2019 et 10 novembre 2019 et d'échanges les 2, 10 et 16 février 2020 sur l'application Whats'app sont insuffisantes pour établir qu'il ne pourrait bénéficier de la protection des autorités allemandes pour assurer sa sécurité, ce qui justifierait l'examen de sa demande d'asile en France. Par ailleurs, eu égard aux termes laconiques du certificat médical produit, aucun élément n'établit qu'il ne pourrait poursuivre en Allemagne le suivi médical que requiert le syndrome dépressif dont il souffre. Dans ces conditions, le préfet de Maine-et-Loire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne se saisissant pas de la faculté d'instruire la demande d'asile en France que lui offrait l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Sur l'arrêté d'assignation à résidence :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; (...) / Les huit derniers alinéas de l'article L. 561-1 sont applicables, sous réserve que la durée maximale de l'assignation ne puisse excéder une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois pour les cas relevant des 1° et 2° à 7° du présent I, ou trois fois pour les cas relevant du 1° bis (...) ". Il n'est pas établi qu'à la date à laquelle a été adopté l'arrêté de transfert, le transfert du requérant en Allemagne ne demeurait pas une perspective raisonnable au sens de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.

8. En second lieu, l'arrêté assignant M. C... à résidence lui impose de se présenter tous les mardis sauf jours fériés à 8h00 au commissariat de police d'Angers. La circonstance qu'il ne souhaite pas quitter la France n'est pas de nature à établir que cette obligation de présentation soit disproportionnée. Par ailleurs, à supposer que le requérant doive être regardé comme invoquant son incapacité à déférer à cette obligation en raison de son état de santé, il ne précise ni ne justifie des difficultés de santé invoquées. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté en litige est disproportionné.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par conséquent, sa requête, y compris les conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Malingue, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2021.

La rapporteure, Le président,

F. MALINGUE O. GASPON

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21NT010524

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01052
Date de la décision : 07/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : ROULLEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-12-07;21nt01052 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award