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03/12/2021 | FRANCE | N°20NT02708

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 03 décembre 2021, 20NT02708


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours à lui verser une indemnité

de 80 685,12 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conséquences de l'intervention pratiquée dans cet établissement le 10 octobre 2008.

Par un jugement n° 1900456 du 16 juillet 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande et a mis à sa charge les frais de l'expertise.

Proc

édure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 août 2020, M. E..., représenté par M...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours à lui verser une indemnité

de 80 685,12 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conséquences de l'intervention pratiquée dans cet établissement le 10 octobre 2008.

Par un jugement n° 1900456 du 16 juillet 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande et a mis à sa charge les frais de l'expertise.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 août 2020, M. E..., représenté par Me Brault-Jamin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours à lui verser une indemnité totale de 80 685,12 euros ;

3°) de condamner le CHRU de Tours aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise ;

4°) de mettre à la charge du CHRU de Tours une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- sa demande de première instance était bien recevable ;

- la responsabilité du CHRU de Tours est engagée, à titre principal, en raison d'une faute médicale consistant à avoir prescrit lors de la radiochirurgie une dose de 15 Gy, ce qui n'est pas conforme aux données acquises de la science, subsidiairement, pour avoir manqué à l'obligation d'information, dès lors que s'il avait été pleinement informé des risques impliqués par la radiochirurgie, il n'aurait pas opté pour cette méthode ;

- le lien de causalité entre les dommages dont il est atteint et les fautes imputées au centre hospitalier est établi tant en ce qui concerne la faute médicale que le défaut d'information ; le CHRU de Tours devra être condamné à l'indemniser des préjudices suivants :

* préjudice professionnel temporaire : 40 319,12 euros,

* déficit fonctionnel temporaire : 7 866 euros,

* atteinte permanente à l'intégrité physique : 10 000 euros,

* souffrances endurées : 6 000 euros,

* préjudice esthétique temporaire : 1 500 euros,

* préjudice d'agrément : 10 000 euros,

* préjudice moral : 5 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 janvier 2021, le CHRU de Tours, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la demande de première instance présentée par M. E... était irrecevable pour être tardive ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L'hirondel,

- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. M. B... E..., né le 19 juin 1956, a présenté en octobre 2005, une surdité droite brutale accompagnée de vertiges alors qu'il était également atteint d'algies faciales anciennes, correspondant à des céphalées fronto-temporales droites à type de lancements. En janvier 2006, un examen par imagerie par résonance magnétique (IRM) réalisé au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours a révélé l'existence d'un petit neurinome intra-canalaire au niveau du méat acoustique droit qui a fait l'objet d'une surveillance par IRM. En juin 2008, il a été constaté une augmentation du volume du neurinome, une amplification des acouphènes et une baisse de l'acuité auditive droite. En juillet 2008, M. E... s'est alors vu proposer une irradiation stéréostaxique cérébrale qui a été réalisée le 10 octobre 2008 au CHRU de Tours. Dans les suites de cette intervention, s'il a été constaté une légère régression du neurinome,

M. E... est néanmoins resté atteint d'une cophose (surdité totale) droite, d'acouphènes, de troubles de l'équilibre du côté droit, d'un larmoiement de l'œil droit et de sensations de chaleur de l'hémiface et de l'hémi crâne droits, avec une hypoesthésie de l'hémiface ainsi que de l'hémilangue droites, le tout associé à un syndrome dépressif.

2. Saisi le 4 décembre 2013 par M. E... d'une demande d'indemnisation, le CHRU de Tours a opposé à l'intéressé un refus par une lettre du 20 janvier 2014, reçue le 30 janvier suivant. Par une ordonnance n° 1400842 du 15 mai 2014, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, saisi par M. E..., a désigné comme expert le professeur Sichez, neurochirurgien, auquel, par ordonnance du 16 décembre 2014, a été adjoint en qualité de sapiteur, le docteur D..., neurochirurgien. Le rapport d'expertise, remis le 30 juin 2015, a fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. E... au 22 avril 2015. M. E... a ensuite saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) des accidents médicaux de la région Centre d'une demande indemnitaire. Cette commission a désigné en qualité d'experts le professeur Tadié, neurochirurgien, et le docteur A..., onco-radiothérapeute, lesquels ont remis leur rapport le 31 mai 2017. Par une décision du 11 octobre 2017, la CCI a rejeté la demande indemnitaire de M. E..., aux motifs que les troubles qu'il présentait ne résultaient pas d'un accident médical indemnisable et qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre du CHRU de Tours. M. E... a présenté une nouvelle demande indemnitaire auprès du CHRU de Tours par une lettre du 14 novembre 2018, reçue le 15 novembre suivant et restée sans réponse. Par une demande enregistrée le 8 février 2019, M. E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le CHRU de Tours à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices résultant, selon lui, de sa prise en charge par ce centre hospitalier le 10 octobre 2008. Par un jugement du

16 juillet 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande. M. E... relève appel de ce jugement.

Sur la responsabilité du CHRU de Tours :

En ce qui concerne la faute médicale :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

4. Il résulte de l'instruction, en particulier des rapports des experts mandatés par le tribunal administratif et par la CCI, que lors de la prise en charge de M. E... par le CHRU de Tours le 10 octobre 2008, il a été réalisé une radiothérapie stéréotaxique par un traitement par multifaisceaux de 15 gray (Gy). M. E... soutient qu'il a été victime d'un surdosage dès lors qu'une dose inférieure à 12,5 Gy était plus conforme aux données acquises de la science. Si le Pr Sichez précise, dans son expertise, que des études ont conclu qu'avec l'utilisation d'une dose inférieure à 15,5 Gy, une diminution du risque de neuropathie est notée, notamment en ce qui concerne le facial, il indique toutefois que la prescription en cause s'inscrit dans un contexte global de réduction des doses pratiquées depuis le courant des années 1990 et qu'il existe des écarts minimes de dose entre les pratiques des différentes équipes. Cet expert conclut, de plus, à l'utilité du traitement prescrit en soulignant que " l'efficacité sur le contrôle tumoral est corrélée avec la dose délivrée et qu'à cet égard, la dose prescrite à ce patient a contribué au résultat satisfaisant obtenu ". En outre, il résulte du rapport d'expertise du Pr Tadié que le traitement prodigué à M. E... est conforme aux règles de l'art, que ce soit tant en termes de volume traité que de dose délivrée dès lors qu'une dose de 15 Gy à l'isocentre (la surface cutanée qui constitue le point d'impact initial des rayonnements) correspond à une dose de 12 Gy sur l'isodose (qui concerne l'organe et la tumeur sur lequel elle évolue), qui reçoit 80 % du rayonnement, de sorte que les doses reçues sont inférieures aux doses maximales tolérables. Il résulte de ce qui précède que le CHRU de Tours n'a pas commis de faute résultant d'une irradiation non conforme du neurinome vestibulaire dont était atteint M. E... lors de sa prise en charge le 10 octobre 2008.

En ce qui concerne le manquement à l'obligation d'information :

5. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen (...) ".

6. M. E... allègue ne pas avoir signé de documents attestant qu'il a reçu les informations nécessaires afférentes aux risques encourus par l'intervention, de sorte que le centre hospitalier n'apporte pas la preuve qui lui revient de l'avoir informé sur ces risques, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique.

7. La production par un établissement hospitalier d'un document écrit signé par le patient n'est ni nécessaire ni suffisante pour que puisse être considérée comme rapportée la preuve, qui lui incombe, de la délivrance de l'information prévue par les dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique. Il appartient en revanche à cet établissement d'établir qu'un entretien, préalable nécessaire à la délivrance d'une information conforme à ces dispositions, a bien eu lieu et de démontrer par tout moyen que le destinataire de l'information a été mis à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé à l'acte de soins auquel il s'est ainsi volontairement soumis.

8. Il résulte de l'instruction, notamment des compte-rendus de consultation que M. E... a lui-même produits, que lors de la consultation du 2 juin 2008, le professeur Jan, chef du service de neurochirurgie, lui a proposé une irradiation multifaisceaux pour laquelle il a donné son accord, et qu'un rendez-vous a été fixé le 3 juillet suivant avec les docteurs Destrieux et C.... Selon le compte-rendu de consultation de ces médecins du 3 juillet 2008, ceux-ci indiquent avoir expliqué à l'intéressé les principes de l'irradiation stéréotaxiques cérébrales avec cadre et en avoir exposé les effets secondaires (paralysie faciale, majoration ou de non amélioration de sa fonction auditive et acouphènes), M. E... donnant son accord pour cette irradiation. Le courrier du 8 juillet 2008 adressé au médecin traitant de M. E... par le Dr C... mentionne également que ces informations ont bien été portées à la connaissance du patient. Le CHRU de Tours apporte ainsi, par ces éléments, la preuve que M. E... a reçu toute l'information nécessaire sur l'objectif, les conséquences et les risques prévisibles de cette intervention.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance par le CHRU de Tours, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu de laisser à la charge de M. E... les frais d'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans à la somme de 3 600 euros.

11. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHRU de Tours, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. E... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., au centre hospitalier régional universitaire de Tours et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2021.

Le rapporteur

M. L'HIRONDEL

Le président

D. SALVI

Le greffier

R. MAGEAU La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT02708


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02708
Date de la décision : 03/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL 2BMP

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-12-03;20nt02708 ?
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