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23/11/2021 | FRANCE | N°20NT02609

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 23 novembre 2021, 20NT02609


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 18 octobre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour inaptitude.

Par un jugement n° 1902348 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 août 2020, 24 décembre 2020 et 29 janvier 2021, Mme B..., représentée par Me Beuzit, demande à la cour :

1°) d'annuler

ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la Croix Ro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 18 octobre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour inaptitude.

Par un jugement n° 1902348 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 août 2020, 24 décembre 2020 et 29 janvier 2021, Mme B..., représentée par Me Beuzit, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la Croix Rouge Française la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucun délai de forclusion ne lui est opposable dès lors qu'elle n'a jamais eu notification de la décision de l'inspecteur du travail ;

- la décision est insuffisamment motivée dès lors qu'elle mentionne qu'elle occupe un mandat de conseillère prud'homale depuis 2017 alors qu'elle l'occupe depuis 2002 et qu'elle occupe un poste de directrice alors que contractuellement, elle n'était rémunérée qu'en qualité de directrice-adjointe ;

- la décision a été prise en méconnaissance du respect du contradictoire de l'enquête dès lors que l'inspecteur du travail n'a pas porté à sa connaissance les échanges de mails du 12 octobre 2018 avec son employeur ;

- l'inspecteur du travail devait rejeter la demande dès lors que le comité d'établissement n'a pas été réuni dans des conditions régulières dans la mesure où la réunion a été tenue par une personne qui ne disposait pas d'une délégation lui permettant de représenter l'employeur, que l'employeur n'a pas justifié de la validité des mandats des membres présents et de l'élection du secrétaire qui a signé le compte-rendu de la réunion du 24 juillet 2018 et que le secrétaire ne pouvait qu'être un membre titulaire ;

- elle a subi une discrimination en raison de ses mandats, qui s'est traduite par une inégalité de rémunération avec ses prédécesseurs ou le fait qu'elle a été la seule salariée à ne pas avoir reçu de proposition de poste à pourvoir à l'Ehpad de Port-En-Bessin ;

- l'inspecteur du travail devait refuser d'autoriser son licenciement dès lors que son inaptitude présente un lien avec l'exercice du mandat ; la dégradation de ses conditions de travail ayant entraîné une forte dégradation de son état de santé est notamment due à l'absence totale de prise en compte par son employeur du temps nécessaire à l'exercice de ses mandats afin d'adapter sa charge de travail.

Par des mémoires, enregistrés les 23 novembre 2020, 11 janvier 2021 et 10 février 2021, la Croix Rouge Française, représentée par la Selarl Delahousse et associés, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Malingue,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me Margraff, représentant la Croix-Rouge Française.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 18 octobre 2018, l'inspectrice du travail de l'unité départementale du Calvados a autorisé le licenciement pour inaptitude de Mme A... B..., employée depuis le 18 novembre 1985 par la Croix Rouge Française et déclarée définitivement inapte à tout emploi par le médecin du travail le 21 juin 2018, qui bénéficiait de la qualité de salarié protégé en raison de l'exercice d'un mandat de conseiller prud'homme. L'intéressée a contesté la légalité de cette décision auprès du tribunal administratif de Caen. Elle relève appel du jugement du 18 juin 2020 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur la légalité externe de la décision d'autorisation de licenciement :

2. En premier lieu, les deux erreurs qu'aurait commises, selon la requérante, l'inspectrice du travail en mentionnant que Mme B... exerçait un mandat de conseillère prud'homale depuis 2017 au lieu de 2002 et qu'elle occupait un poste de directrice alors qu'elle n'était pas rémunérée en cette qualité, sont sans influence sur le respect, par l'administration, de son obligation formelle de motivation de sa décision. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision du 18 octobre 2018 doit être écarté.

3. En second lieu, si le caractère contradictoire de l'enquête administrative prévue à l'article R. 2421-1 du code du travail implique de mettre à même le salarié de prendre connaissance, en temps utile afin de le mettre en mesure de présenter des observations, de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement ainsi que des éléments déterminants qui ont pu être recueillis par l'inspecteur du travail au cours de l'instruction de cette demande, il n'impose pas à l'administration de lui communiquer, de sa propre initiative ou dans tous les cas, l'ensemble de ces pièces et éléments.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'enquête à la suite de laquelle a été prise la décision contestée, Mme B... a participé à un entretien individuel qui s'est tenu le 25 septembre 2018 et auquel elle avait été convoquée par une lettre du 13 septembre 2018 lui adressant la copie de la demande d'autorisation de licenciement et de l'ensemble des pièces annexées à cette demande. Si elle soutient ne pas avoir eu connaissance des précisions complémentaires apportées par la Croix Rouge Française en réponse au courrier du 12 octobre 2018 de l'inspectrice du travail, les pièces produites, dont aucune n'était relative à l'exercice du mandat de Mme B..., avaient pour but d'établir des éléments de fait évoqués par l'employeur dans sa demande d'autorisation ou lors de l'entretien du 1er octobre 2018 et, ainsi, de conforter l'inspecteur dans son analyse, en complément des pièces déterminantes du dossier qui, elles, avaient été soumises au contradictoire. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de l'enquête administrative doit être écarté.

Sur la légalité interne de la décision d'autorisation de licenciement :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2421-1 prévu à la sous-section 1 de la section 1 relative à la procédure applicable en cas de licenciement figurant au chapitre Ier du titre II du livre IV relatif aux salariés protégés du code de travail: " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué syndical (...) est adressée à l'inspecteur du travail. (...) ". Aux termes de l'article L. 2421-2 du même code, figurant à la même sous-section 1 : " La procédure prévue à la présente sous-section s'applique également au salarié investi de l'un des mandats suivants : (...) 4° Conseiller prud'homme (...) ".

6. Si Mme B... invoque des irrégularités quant à la composition du comité d'établissement qui s'est réuni le 24 juillet 2018 pour émettre un avis sur le projet de licenciement pour inaptitude, aucune erreur de droit de l'inspecteur du travail à avoir autorisé le licenciement en raison de l'irrégularité de la demande d'autorisation du fait du non-respect des formalités préalables ne peut être relevée dès lors que la consultation du comité d'entreprise n'était, compte tenu du seul mandat de conseiller prud'homal détenu par l'intéressée, pas légalement requise. Par suite, le moyen doit être écarté.

7. En deuxième lieu, en vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise. En revanche, dans l'exercice de ce contrôle, il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

8. Aux termes de l'article L. 1442-5 du code du travail : " Les employeurs laissent aux salariés de leur entreprise, membres d'un conseil de prud'hommes, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux activités prud'homales déterminées par décret en Conseil d'Etat. ".

9. Mme B..., qui a été reconnue médicalement définitivement inapte par avis du 21 juin 2018 à l'issue d'un arrêt de travail depuis le 26 mars 2016 pour état anxiodépressif réactionnel, soutient que son inaptitude trouve son origine dans une situation d'épuisement professionnel et que la dégradation de son état de santé ayant conduit à cet état résulte d'une charge de travail excessive liée à l'absence de prise en compte par son employeur du temps nécessaire à l'exercice de ses mandats. L'intéressée ne conteste toutefois pas, qu'ainsi que le fait valoir la Croix-Rouge Française en défense, son employeur n'a jamais opposé de refus à ses demandes d'absence pour se rendre et participer aux activités du conseil des prud'hommes de Coutances dont elle était membre depuis son élection le 11 décembre 2002, seul mandat pour lequel elle bénéficie de la protection dévolue aux salariés protégés. Par ailleurs, alors que la requérante indique qu'elle était elle-même en charge des formalités nécessaires au remboursement par l'Etat auprès de la Croix-Rouge Française des rémunérations et charges correspondant à ses absences pour l'exercice de son mandat ayant donné lieu à maintien de la rémunération, elle ne produit au dossier aucun élément faisant état du nombre d'heures consacrées à son activité prud'homale, du nombre d'heures réalisées pour accomplir les tâches qui lui étaient confiées au titre de l'emploi occupé au sein de la clinique de Bayeux et du nombre d'heures rendues nécessaires pour l'accomplissement des autres mandats, permettant d'étayer de manière claire et objective la charge excessive permanente de travail à laquelle elle aurait été soumise, qui constituerait, selon elle, un obstacle mis par son employeur à l'exercice de son mandat. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'inaptitude de Mme B... résulte d'une dégradation de son état de santé en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives.

10. Par ailleurs, la seule invocation d'une différence de rémunération, au demeurant ni étayée ni chiffrée, par comparaison avec le directeur de la clinique en poste jusqu'au 31 mars 2002, alors que l'intéressée était promue directrice-adjointe par avenant au contrat de travail du 24 septembre 2002 dans le cadre de l'adhésion de la clinique de Bayeux au syndicat interhospitalier du Bessin, est insuffisante pour présumer de l'existence d'une discrimination en raison du mandat dont Mme B... était titulaire. Il en va de même s'agissant de l'absence de proposition du poste de direction à pourvoir à l'Ehpad de Port-en-Bessin dont aucune pièce du dossier ne confirme l'existence ni de ce que Mme B... justifiait des qualités et compétences requises pour ce type de poste.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 et 10 que la demande d'autorisation de licenciement présentée par la Croix-Rouge Française doit être regardée comme n'étant pas en rapport avec le mandat détenu par Mme B.... Dès lors, le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail ne pouvait légalement faire droit à la demande d'autorisation de licenciement dès lors que cette demande était en rapport avec le mandat doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Croix-Rouge Française, qui n'est pas partie perdante, la somme que Mme B... sollicite au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de faire droit à la demande présentée par la Croix-Rouge Française sur ce même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la Croix-Rouge Française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la Croix-Rouge Française et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme Malingue, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2021.

La rapporteure,

F. MALINGUELe président,

O. GASPON

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT02609 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02609
Date de la décision : 23/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Fanny MALINGUE
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : BEUZIT

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-23;20nt02609 ?
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