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19/11/2021 | FRANCE | N°20NT02669

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 19 novembre 2021, 20NT02669


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses quatre enfants mineurs, B..., H..., I... et C... F..., et K... G... F... ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à verser à M. D... F... la somme de 351 338,79 euros, à Mme G... F... la somme de 22 500 euros, à M. D... F... en sa qualité de représentant légal de ses quatre enfants mineurs la somme de 7 500 euros chacun, en réparation des préjudices qu'ils d

clarent avoir subis à la suite de la prise en charge de M. D... F... en con...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses quatre enfants mineurs, B..., H..., I... et C... F..., et K... G... F... ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à verser à M. D... F... la somme de 351 338,79 euros, à Mme G... F... la somme de 22 500 euros, à M. D... F... en sa qualité de représentant légal de ses quatre enfants mineurs la somme de 7 500 euros chacun, en réparation des préjudices qu'ils déclarent avoir subis à la suite de la prise en charge de M. D... F... en conséquence de l'accident de la circulation dont il a été victime le 27 juin 2013.

La caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à lui verser la somme de 275 888,62 euros, assortie des intérêts avec capitalisation, au titre des dépenses de santé qu'elle a prises en charge pour le compte de son assuré M. F..., la somme de 50 074,77 euros au titre des dépenses de santé post-consolidation déjà exposées, le remboursement des frais de soins futurs sur présentation des justificatifs correspondants et dont le montant a été évalué à la somme de 295 419 euros et la somme de 1 066 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire de gestion.

La ministre des armées a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à verser à l'État la somme de 52 062,94 euros correspondant aux indemnités versées à M. F... et aux charges patronales afférentes au titre de la période d'indisponibilité de l'intéressé, imputable à la faute commise par l'établissement hospitalier sur la période allant du 10 juin 2014 au 5 février 2015.

Par un jugement n° 1701737 du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier public du Cotentin à verser :

- une somme globale de 218 473,42 euros à M. F..., une somme de 4 000 euros à Mme F... et une somme de 6 000 euros à M. F... en sa qualité de représentant légal de ses quatre enfants mineurs,

- une somme globale de 280 069,34 euros à la caisse nationale militaire de sécurité sociale au titre de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 août 2018

et capitalisation de ces intérêts ainsi que la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- une somme globale de 13 405 euros à l'État (ministère des armées).

Par ce même jugement, le tribunal a mis à la charge définitive du centre hospitalier public du Cotentin les frais et honoraires d'expertise, d'un montant de 1 500 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 août 2020, le centre hospitalier public du Cotentin, représenté par Me Boizard, demande à la cour :

A titre principal :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Caen du 25 juin 2020 ;

2°) d'ordonner une contre-expertise et, dans l'attente de ses résultats, de sursoir à statuer ;

A titre subsidiaire :

3°) de réformer le jugement en tant qu'il porte sur l'indemnisation des chefs de préjudice de M. et Mme F... et de leurs enfants, A... la caisse nationale militaire de sécurité sociale et de l'État (ministère des armées) ;

4°) de ramener les demandes formulées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à de plus justes proportions.

Il soutient que :

- à titre principal, s'il n'est pas contesté qu'une faute a été commise pour ne pas avoir mis en œuvre les soins appropriées, une contre-expertise avant-dire droit, confiée à un collège d'experts composé d'un chirurgien orthopédiste et d'un chirurgien vasculaire, s'impose néanmoins afin de définir le taux de perte de chance dès lors que l'expert n'a pas répondu, sur ce point, aux dires qui lui avaient été présentés ;

- à titre subsidiaire, le taux de perte de chance devant être fixé à 20 % et non à

75 % comme retenu par les premiers juges, le jugement attaqué doit être réformé en tant qu'il indemnise les chefs de préjudice suivant :

Pour M. D... F... :

- en ce qui concerne les frais de dépenses de santé actuelles : le jugement attaqué sera confirmé s'agissant des dépenses concernant le forfait hospitalier ; si M. F... entend obtenir le remboursement des frais d'acquisition d'un fauteuil roulant, il devra fournir les justificatifs, ce qui ne pourra donner lieu en outre qu'à un remboursement partiel compte tenu des séquelles que l'intéressé aurait gardées en l'absence de faute ;

- en ce qui concerne les frais divers, présentés à tort par les intimés comme des dépenses de santé actuelles : les frais de location d'un téléviseurs devront être limités à la somme de 280,50 euros (soit 56,10 euros après application du taux de perte de chance), faute de connaître exactement toutes les dates de location ; pour les frais de transport d'un montant total de 532,05 euros, il n'est présenté aucun justificatif alors que s'agissant des dépenses de taxi, il n'est pas établi que des frais soient restés à la charge de l'intimé dès lors que l'organisme tiers-payeur sollicite le remboursement de tels frais pour la période du 4 mai 2014 au 30 janvier 2015 pour un montant de 3 939,87 euros ;

- en ce qui concerne les pertes de gains professionnels actuels, ce poste de préjudice sera écarté dès lors que le requérant n'a subi aucun préjudice, les primes ayant été versées à l'intéressé pendant les périodes d'hospitalisation correspondant à celles strictement nécessaires à l'amputation et le lien de causalité entre les pertes de prime et la faute retenue à son encontre n'étant pas établi ;

- en ce qui concerne les dépenses de santé futures : l'expert ne retient pas la nécessité d'achats de fauteuils roulant postérieurement à la consolidation ; les frais d'aménagement de la douche à l'italienne seront pris en charge sur présentation des justificatifs de dépenses engagées et dans la limite de la perte de chance ;

- en ce qui concerne l'incidence professionnelle, si elle peut être évaluée à 20 000 euros, soit 4 000 euros après application du taux de perte de chance, ce chef de préjudice doit être réservé dans l'attente de la production de la créance des tiers payeurs ;

- la demande pour frais de véhicule adapté n'est pas justifiée et, en tout état de cause, l'indemnisation, par capitalisation à compter de 2025, ne saurait dépasser la somme de 1 310,50 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire en lien avec les hospitalisations sera indemnisé, après application du taux de perte de chance, à 262,40 euros ;

- les souffrances endurées, le préjudice sexuel et le préjudice esthétique seront indemnisés respectivement à hauteur de 4 000 euros, 400 euros et 4 000 euros après application du taux de perte de chance ;

- le déficit fonctionnel permanant sera indemnisé, après application du taux de perte de chance, à 6 952 euros ;

- le préjudice d'agrément sera indemnisé à hauteur de 2 400 euros après application du taux de perte de chance ;

Pour les victimes indirectes :

- alors qu'aucun préjudice économique n'est établi, le préjudice moral de Mme F... peut être évalué, après application du taux de perte de chance de 20 %, à la somme de 1 600 euros et celui de chacun des enfants à la somme de 1 000 euros ;

Pour la caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) :

- en ce qui concerne les dépenses de santé actuelle, seules celles qui sont en lien direct avec la faute commise par le centre hospitalier donnent droit à remboursement au titre des débours ; dans ces conditions, la caisse ne saurait demander le remboursement des frais d'hospitalisation à l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Percy du 3 juillet 2013 au 14 septembre 2013, ni celui des frais de transport qui sont insuffisamment détaillés et des frais de soins, hormis l'acte de kinésithérapie du 16 septembre 2014 d'un montant de 12,26 euros ; les débours concernant les frais de pharmacie devront être affectés du taux de perte de chance ;

- en ce qui concerne les dépenses de santé futures échues, l'imputabilité des arrérages, hors frais d'appareillage, n'est pas établie et les frais d'appareillage ne sont pas suffisamment détaillés ;

- en ce qui concerne les dépenses futures à échoir, s'il accepte la capitalisation, celle-ci devra néanmoins être calculée selon le barème officiel publié au Journal officiel de la République française du 27 décembre 2011 ; dans ces conditions, le montant capitalisé s'élève à 223 811,01 euros auquel il convient d'appliquer le taux de perte de chance ;

Pour le ministère des armées :

- la demande formée par la ministre des armées tendant au remboursement des soldes et indemnités maintenues pendant la période du 10 juin 2014 au 5 février 2015

(27 196,04 euros) et les charges patronales y afférentes (24 866 euros) sera écartée, faute d'établir le lien de causalité avec la perte de chance d'avoir pu éviter l'amputation ; à titre subsidiaire, la demande de la ministre devra être affectée du taux de 20 %.

Par un mémoire, enregistré le 8 janvier 2021, M. D... F..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses quatre enfants mineurs, B..., H..., I... et C... F..., et K... G... F..., représentés par Me Letertre, concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à ce que le montant de la réparation que le centre hospitalier public du Cotentin doit être condamné à leur verser soit porté, après application du taux de perte de chance fixé à 75 %, aux sommes suivantes :

- à M. D... F... : 461 785 euros ;

- à Mme G... F... : 22 500 euros ;

- à chacun des quatre enfants de M. F... : 7 500 euros.

3°) à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier public du Cotentin la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la réalisation d'une contre-expertise ne présente aucune utilité ;

- le taux de perte de chance doit être confirmé à hauteur de 75 % ;

- en ce qui concerne la réparation des chefs de préjudice, le jugement du tribunal administratif devra être réformé comme suit :

* s'agissant des préjudices subis par M. D... F... :

* la caisse n'ayant pris en charge que 50 % du forfait hospitalier, il est en droit d'obtenir, après application du taux de perte de chance, le remboursement de la quote-part correspondante ;

* les frais divers, comprenant, d'une part, les frais de location de téléviseur, et d'autre part, les billets de train, taxi et indemnités kilométriques s'élèvent respectivement aux sommes de 440 euros et 532,05 euros ; après application du taux de perte de chance, ce poste de préjudice sera indemnisé à hauteur de 729 euros ;

* les dépenses de santé futures qui s'élèvent à la somme totale de 50 000 euros, doivent être indemnisées à hauteur de 40 000 euros après application du taux de perte de chance ;

* l'incidence professionnelle qui doit être évaluée à 50 000 euros, sera indemnisée à hauteur de 40 000 euros après application du taux de perte de chance ;

* les dépenses liées à la réduction de l'autonomise sont constituées par l'achat de deux véhicules à boîte automatique ; après la reprise de l'ancien véhicule et après application du taux de perte de chance, le centre hospitalier devra être condamné à lui verser la somme de 30 750 euros ;

* le déficit fonctionnel temporaire sera indemnisé à hauteur de 1 422 euros après application du taux de perte de chance ;

* les souffrances endurées seront indemnisées à hauteur de 30 000 euros après application du taux de perte de chance ;

* le préjudice sexuel sera indemnisé à hauteur de 1 500 euros après application du taux de perte de chance ;

* le préjudice esthétique permanent sera indemnisé à hauteur de 30 000 euros après application du taux de perte de chance ;

* le déficit fonctionnel permanent sera indemnisé à hauteur de 156 300 euros après application du taux de perte de chance ;

* le préjudice d'agrément sera indemnisé à hauteur de 18 750 euros après application du taux de perte de chance ;

* s'agissant des préjudices de Mme G... F... : elle a subi un préjudice économique et un préjudice d'affection qui devront, chacun, être indemnisés à hauteur de 11 250 euros après application du taux de perte de chance ;

* s'agissant des préjudices des enfants de M. F... : ils ont subi un préjudice moral que le centre hospitalier devra indemnisé en versant à chacun des enfants la somme de 7 500 euros après application du taux de perte de chance.

Par un mémoire enregistré le 12 avril 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en tant qu'il a condamné le centre hospitalier public du Cotentin, après application du taux de perte de chance de 75 %,

à verser à l'État la somme totale de 13 405,15 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2011 relatif à l'application des articles R. 376-1 et R. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L'hirondel,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Eustache, représentant le centre hospitalier public du Cotentin.

Considérant ce qui suit :

1. Dans la nuit du 26 au 27 juin 2013, M. D... F..., alors âgé de 34 ans, a été victime vers 2 heures du matin d'un accident de la circulation alors qu'il conduisait sa moto. Il a été admis au centre hospitalier public du Cotentin à 3 h 21 pour finalement être transféré en hélicoptère au centre hospitalier universitaire de Caen à 9 h 41. À son arrivée, M. F..., en choc hémorragique, a été transféré en urgence au bloc opératoire. Malgré une tentative de conservation du membre inférieur gauche, l'équipe de chirurgie vasculaire a décidé de procéder à une amputation transfémorale, le 29 juin 2013. Par courrier du 12 juin 2015, M. F... a présenté une réclamation préalable indemnitaire au centre hospitalier public du Cotentin en invoquant la faute caractérisée, selon lui, par le retard de son transfert vers le centre hospitalier universitaire de Caen ayant conduit à l'amputation de sa jambe gauche. A la suite d'une expertise amiable, l'assureur du centre hospitalier public du Cotentin a adressé, le 3 mai 2016, une offre d'indemnisation à M. F... qui l'a refusée. Par une ordonnance du 5 septembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a ordonné une expertise médicale confiée au Dr J... qui a déposé son rapport le 27 juillet 2017. M. F..., agissant en son nom personnel et en sa qualité de représentant légal de ses quatre enfants mineurs, et son épouse Mme G... F... ont demandé au même tribunal de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à les indemniser de leurs préjudices. Par un jugement du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Caen a fait partiellement droit à leur demande en retenant la responsabilité du centre hospitalier public du Cotentin dans la prise en charge de M. F... et en fixant le taux de perte de chance à 75 %. Il a alloué, respectivement, à M. D... F..., à Mme F... et aux quatre enfants de l'intéressé les sommes de 218 473,42 euros, 4 000 euros et 6 000 euros. Le centre hospitalier a également été condamné à verser à la caisse nationale militaire de sécurité sociale la somme globale de 280 069,34 euros au titre de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 août 2018 et la capitalisation de ces intérêts et à l'État (ministre des armées) une somme globale de 13 405 euros. Le centre hospitalier public du Cotentin relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, M. et Mme F... demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs prétentions indemnitaires.

Sur la responsabilité du Centre hospitalier public du Cotentin :

2. La responsabilité pour faute retenue par le tribunal administratif à l'encontre du centre hospitalier public du Cotentin n'est pas contestée à hauteur d'appel et il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait été retenue à tort par le tribunal.

Sur la perte de chance :

3. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

4. Selon la note du Dr E..., sur laquelle se fonde le centre hospitalier, les chances de récupération sont maximales lorsque la revascularisation intervient dans un délai de six heures suivant le début de l'ischémie, les chances s'amenuisant ensuite pour devenir très incertaines au-delà de douze heures. Il résulte du rapport d'expertise qu'alors que l'accident de M. F... est survenu à environ 2 heures du matin et que la victime est arrivée au centre hospitalier public du Cotentin à 3 h 31, un scanner avec opacification des vaisseaux aurait dû être réalisé dans un délai d'une heure, compte tenu de son état de santé, ce qui aurait permis une prise en charge au bloc opératoire vers 5 heures, soit trois heures après l'accident. L'angioscanner, qui a révélé que l'intéressé souffrait d'ischémie, n'a été, en fait, réalisé qu'à 5 h 26. L'établissement hospitalier requérant ne saurait valablement soutenir que le diagnostic d'ischémie est difficile à établir dès lors qu'il a été posé par l'équipe médicale du centre hospitalier public du Cotentin, puis confirmé par le centre hospitalier universitaire de Caen. La décision de transférer M. F... au centre hospitalier universitaire de Caen n'a été, ensuite, prise qu'à 6 heures. Le transfert a été, de plus, retardé, par les modalités de déplacement retenues, l'intéressé ayant été héliporté pour une arrivée à Caen à 9 h 20, soit 7 h 20 après l'accident initial, alors que par voie routière, il serait arrivé à 7 h 15, soit 5 h 15 après cet accident, dans les délais permettant, selon la note précitée du Dr E..., une chance de récupération maximale. En outre, il ressort du rapport de l'expert qu'au moment de l'accident, M. F... présentait un score de MESS (Mangled Extremity Severity Score) compris entre 6 et 7, score qui n'est pas sérieusement contesté et qui ne plaide pas pour l'indication d'une amputation. Enfin, les lésions osseuses de la jambe gauche étaient simples et accessibles à un traitement conventionnel, autre élément militant pour la conservation du membre. Pour fixer le taux de perte de chance, l'expert s'est alors fondé sur la littérature médicale " récente ", dont les références sont portées dans son rapport, selon laquelle les chances d'éviter l'amputation après pontage, comme dans le cas de M. F... qu'il a décrit, sont de 75 %. L'expert a, en outre, répondu aux dires des parties pour justifier ce taux. Le centre hospitalier n'apporte, au soutien de ses allégations, aucun article médical venant contredire ceux ayant servi de référence à l'expert. Dans ces conditions, alors même que l'expert aurait indiqué en cours d'expertise que le taux de perte de chance pouvait être estimé à 20 %, il convient de fixer, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, ni sursoir à statuer, le taux de perte de chance d'éviter le dommage tel qu'il s'est produit à 75 %.

Sur les préjudices :

5. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions de l'expertise, que si M. F... a subi à la suite de son accident dix périodes d'hospitalisation, seules trois d'entre elles à savoir celles du 10 juin au 19 juillet 2014, du 7 au 27 septembre 2014 et du 11 au 31 janvier 2015 dans le service de médecine physique et de réadaptation (MPR) de Percy présentent un lien de causalité avec la faute retenue à l'encontre du centre hospitalier public du Cotentin dès lors qu'elles sont liées à l'aggravation de l'état de santé de M. F... ayant conduit à l'amputation du membre inférieur gauche.

6. D'autre part, il résulte du même rapport d'expertise, que la consolidation est intervenue le 31 janvier 2015.

En ce qui concerne la victime, M. D... F... :

S'agissant des préjudices à caractère patrimonial :

Avant consolidation :

Quant aux dépenses de santé restées à sa charge :

7. Si M. F... demande à être indemnisé du forfait hospitalier dont il se serait acquitté du fait de ses hospitalisations, il n'a produit, ni en première instance, ni davantage en appel, aucun élément justifiant que des frais seraient effectivement restés à sa charge à ce titre.

Quant aux pertes de gains professionnels actuels :

8. M. F... sollicite l'indemnisation de la perte de la prime spécifique " MITHA " (militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées) et de la prime " TAOPC " (temps d'activité obligatoire professionnel des militaires) au titre de la période allant du 10 juin 2014 au 31 janvier 2015 pour un montant total de 2 517 euros. Toutefois, selon l'expert, même en l'absence de faute dans la prise en charge de l'intéressé, la date de consolidation serait demeurée identique compte tenu des séquelles qu'il aurait conservées. Il ne résulte pas de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que le requérant aurait été dans la capacité de reprendre son emploi entre le 10 juin 2014 et le 5 février 2015 si la faute retenue n'avait pas été commise. Dans ces conditions, l'absence de versement de prime durant cette période ne présente pas un lien de causalité direct et certain avec la faute retenue à l'encontre du centre hospitalier. Par suite, les conclusions des intimés tendant à ce que le centre hospitalier public du Cotentin soit condamné à rembourser à M. F... les primes qu'il n'a pu percevoir doivent être rejetées.

Quant aux frais divers :

9. M. F... justifie, par la production de trois factures, qu'il a exposé une somme de 280,50 euros au titre de son abonnement au service de télévision lors de ses séjours au service de médecine physique et de réadaptation (MPR) de Percy durant les périodes d'hospitalisation retenues au point 5. Les autres factures produites ne sont pas directement la conséquence de la faute commise par le centre hospitalier public du Cotentin et doivent, par suite, rester à la charge du patient. Compte tenu du taux de perte de chance, il y a lieu de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à verser à M. F... la somme de 210,37 euros. Par ailleurs, si le requérant sollicite le remboursement de la somme de 532,05 euros au titre des frais de transport qu'il aurait engagés et qui seraient restés à sa charge, les relevés de compte qu'il produit sont, à eux seuls, insuffisants pour établir l'existence et l'étendue de ce préjudice, dont la réalité est contestée par le centre hospitalier. Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer la somme de 210,37 euros mise à la charge du centre hospitalier public du Cotentin, après application du taux de perte de chance, en réparation de ce chef de préjudice.

Après consolidation :

Quant aux dépenses de santé :

10. Aux termes de l'article L. 213-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les invalides pensionnés au titre du présent code ont droit aux appareils, produits et prestations nécessités par les infirmités qui ont motivé leur pension. Les appareils sont fournis, réparés et remplacés aux frais de l'État dans les conditions prévues par le présent code, tant que l'infirmité en cause nécessite l'appareillage. / Les produits et prestations pris en charge par l'État sont ceux prévus à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, dans les conditions définies par cet article ou par les dispositions du présent code (...) ".

11. En premier lieu, si M. F... sollicite le remboursement de l'achat de deux fauteuils de douche, il n'a toutefois produit, en première instance comme en appel, qu'une seule facture datée du 1er septembre 2017 d'un montant de 43,89 euros. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande, mais seulement à hauteur d'un seul fauteuil de douche. Il suit de là qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à verser à M. F..., après application du taux de perte de chance, la somme de 32,92 euros au titre des dépenses de santé restées à la charge de ce dernier.

12. En second lieu, M. F... demande, au titre du remboursement des dépenses à intervenir postérieurement à l'arrêt de la cour, à ce que le centre hospitalier public du Cotentin soit condamné à lui verser, avant application du taux de perte de chance, la somme forfaitaire de 50 000 euros concernant l'aménagement d'une douche, l'achat de crèmes pour éviter les échauffements et diverses dépenses liées à la prothèse.

13. D'une part, s'il résulte du rapport d'expertise que l'installation d'une douche à l'italienne est nécessaire, M. F... a toutefois indiqué qu'il s'était adapté à la salle de bains de son actuel logement dont il est locataire. S'il a produit un devis daté du 7 mars 2020 concernant l'installation d'une douche à l'italienne pour un montant de 1 287,65 euros, cette dépense correspond toutefois, selon ses dires, à des travaux à effectuer dans un logement futur. Dès lors que M. F... n'établit, ni même n'allègue, qu'il aurait acquis ou serait en voie d'acquérir un nouveau logement, la demande d'indemnisation qu'il présente à ce titre doit être rejetée. Il lui appartiendra seulement, lorsque ces travaux seront réalisés et s'il l'estime utile, d'en demander, dans la limite du taux de perte de chance de 75 %, le remboursement auprès du centre hospitalier public du Cotentin sur présentation de justificatifs.

14. D'autre part, M. F... n'établit pas, tant en première instance qu'en appel, que l'achat de crèmes lui soit indispensable pour éviter les échauffements alors qu'au surplus, il n'apporte aucun justificatif d'une telle dépense venant établir qu'il utilise effectivement ce produit.

15. Enfin, si l'expert retient la nécessité de changer tous les deux ans la prothèse provisoire puis définitive de l'intimé, M. F... ne justifie pas du montant qui resterait à sa charge à ce titre, alors qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 213-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre que les dépenses de prothèse sont intégralement prises en charge par la caisse nationale militaire de sécurité sociale. La demande d'indemnisation présentée à ce titre ne peut dès lors qu'être rejetée.

Quant à l'incidence professionnelle :

16. L'incidence professionnelle a pour objet d'indemniser les préjudices périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou encore au préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap.

17. M. F... soutient, d'une part, avoir subi une perte de chance professionnelle, qu'il qualifie de considérable, dès lors qu'il n'aura plus qu'un emploi sédentaire et qu'il ne pourra plus assurer des missions extérieures ou des missions intérieures et séjour à l'étranger, ce qui constitue le cœur de son métier et, d'autre part, que son emploi sera plus pénible dès lors que les locaux de l'armée ne sont pas toujours aux normes d'accessibilité pour les handicapés. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'intéressé, qui exerçait les fonctions d'infirmier militaire, pourra poursuivre sa carrière au sein de l'armée. De plus, il résulte du rapport d'expertise qu'une reconversion sur un poste sédentaire aurait été nécessaire, même en l'absence de faute, compte tenu de la pathologie séquellaire du membre inférieur droit dont reste atteint M. F... du fait de son accident de la circulation de juin 2013. Si néanmoins, M. F... subit une pénibilité accrue au travail et une dévalorisation sur le marché du travail compte tenu de l'amputation de sa jambe gauche à hauteur de cuisse, il y a lieu de maintenir la somme allouée à ce titre par les premiers juges, soit la somme de 15 000 euros après application du taux de perte de chance.

Quant aux frais d'adaptation du véhicule :

18. Il résulte du rapport d'expertise que le handicap de M. F... nécessite l'utilisation d'un véhicule équipé d'une boîte automatique. Si le requérant sollicite le remboursement de l'achat de deux véhicules comportant une boîte automatique pour un montant total, avant application du taux de perte de chance, de 41 000 euros, il est constant, ainsi qu'il résulte du même rapport d'expertise, que l'intéressé a déclaré avoir bénéficié d'un véhicule avec boîte automatique à compter de mars 2015 dont les frais ont été pris en charge par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Il s'ensuit que M. F... est seulement fondé à obtenir la prise en charge de ses dépenses futures consistant au surcoût représenté par un véhicule équipé d'une boîte automatique. Toutefois, alors que le montant est contesté par le centre hospitalier, M. F... n'établit pas le surcoût représenté par l'installation d'une boîte automatique pour le modèle de voiture dont il fait usage. Il n'établit pas davantage le solde restant à sa charge dès lors qu'il a pu bénéficier en 2015 d'une aide de la MDPH. Dans ces conditions, M. F... est seulement fondé à obtenir, dans le cadre d'un renouvellement tous les sept ans de son véhicule, l'indemnisation du surcoût lié à l'installation d'une boîte automatique sur présentation d'un justificatif du montant de ce surcoût pour le modèle de voiture qu'il aura acquis et d'une attestation de non-prise en charge de cet équipement par la MDPH, cette somme devant être affectée du taux de perte de chance de 75 %.

S'agissant des préjudices à caractère extrapatrimonial :

Avant consolidation :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

19. Il résulte du rapport d'expertise que M. F... a subi, du fait de l'amputation de sa jambe gauche, un déficit fonctionnel temporaire total pendant 79 jours au titre des périodes allant du 10 juin au 19 juillet 2014, du 7 au 27 septembre 2014 et du 11 au 31 janvier 2015. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'estimant à la somme de 1 185 euros, après application du taux de perte de chance.

Quant aux souffrances endurées :

20. Il résulte du rapport d'expertise que, dans le cadre d'une prise en charge normale, les souffrances endurées par M. F... auraient pu être évaluées à 3 sur une échelle de 7 mais qu'à la suite du défaut de prise en charge tel qu'imputable au centre hospitalier, l'intensité de ces souffrances doit être réévaluée pour être estimée à 6 sur une même échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en portant la somme allouée par les premiers juges à 20 000 euros, soit 15 000 euros après application du taux de perte de chance.

Après consolidation :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

21. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. F... aurait été atteint d'un déficit fonctionnel permanent estimé à 20 % si le membre inférieur gauche avait été conservé compte tenu d'une raideur du genou droit et de la cheville droite, de la laxité du genou droit et des séquelles qui auraient été conservées au niveau du genou gauche à la suite du pontage et de la consolidation osseuse secondaire du tibia gauche. L'expert prévoit, cependant, une majoration du déficit fonctionnel permanent de 40% en raison de l'amputation du segment moyen/distal du fémur avec un appareillage bien toléré et une hanche mobile et des répercussions psychologiques. Dans ces conditions, compte tenu de l'âge de 36 ans de M. F... à la date de la consolidation, et au retentissement de ces séquelles dans ses conditions d'existence, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en ramenant la somme allouée par les premiers juges à 145 000 euros, soit 108 750 euros après application du taux de perte de chance.

Quant au préjudice esthétique permanent :

22. Il résulte du rapport de l'expert que, du fait de l'amputation, le préjudice esthétique subi par M. F... doit être évalué à 6 sur une échelle de 7 mais que l'intéressé aurait, néanmoins gardé, sans l'intervention de la faute médicale retenue à l'encontre du centre hospitalier, un préjudice esthétique évalué à 3 sur une même échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en portant la somme allouée par les premiers juges à 20 000 euros, soit 15 000 euros après application du taux de perte de chance.

Quant au préjudice sexuel :

23. Il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal aurait fait une insuffisante appréciation du préjudice sexuel subi par M. F... du fait de son amputation, en l'estimant à la somme de 2 000 euros, soit 1 500 euros après application du taux de perte de chance, ce qui n'est au demeurant pas contesté par les parties.

Quant au préjudice d'agrément :

24. Il résulte du rapport d'expertise que M. F... ne pourra plus pratiquer certaines activités sportives, comme par exemple, la course à pieds, auxquelles il s'adonnait compte tenu de son métier. En évaluant à 12 000 euros, soit 9 000 euros après application du taux de perte de chance, la somme devant être versée par le centre hospitalier public du Cotentin à M. F..., les premiers juges ont fait une évaluation qui n'est ni exagérée ni insuffisante de ce chef de préjudice.

En ce qui concerne les proches de la victime :

S'agissant des droits à réparation de Mme G... F... :

Quant au préjudice économique :

25. Mme F... soutient avoir subi un préjudice économique en lien avec l'amputation dont son époux a fait l'objet dès lors qu'elle a été dans l'obligation d'abandonner l'emploi de salarié qu'elle occupait précédemment. Toutefois, elle n'établit pas la réalité de ses allégations. En particulier, alors qu'elle était recrutée en qualité d'infirmière sur des contrats à durée déterminée, les deux certificats de travail qu'elle a produits, selon lesquels elle a été embauchée du 6 mars au 20 avril 2013, puis du 29 avril au 8 juin 2013 ne permettent pas, à eux seuls, d'établir qu'elle a perdu une chance sérieuse d'obtenir un renouvellement de ces contrats du fait de l'accident médical dont a été victime son mari alors qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme F... occupait, lors de cet accident, un poste d'aide à l'encadrement scolaire dans une école. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif a rejeté la demande du fait de ce chef de préjudice.

Quant au préjudice moral et d'affection :

26. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et d'affection subi par Mme F... en le fixant, compte tenu de l'ampleur de la perte de chance perdue, à la somme de 6 000 euros.

S'agissant du préjudice moral subi par les enfants mineurs de M. F... :

27. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par B..., H..., I... et Lilian F..., en l'estimant, pour chacun d'eux, à la somme de 3 750 euros après application du taux de perte de chance.

En ce qui concerne les droits de la caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) :

28. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre ou du livre Ier. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel (...) ".

29. En application de ces dispositions, et compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la CNMSS est fondée à demander la condamnation du centre hospitalier public du Cotentin à prendre en charge 75 % de toutes les dépenses qu'elle a exposées qui sont en lien avec les complications dont a été victime M. F....

Avant consolidation :

30. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 5, que seules les hospitalisations dans le service de médecine physique et de réadaptation (MPR) de Percy du 10 juin au 19 juillet 2014, du 7 au 27 septembre 2014 et du 11 au 31 janvier 2015 présentent un lien de causalité directe avec la faute retenue à l'encontre du centre hospitalier public du Cotentin. La CNMSS a justifié, par la production d'un état des débours suffisamment détaillé ainsi que d'une attestation d'imputabilité établie le 30 mai 2018, avoir pris en charge pour le compte de M. F..., à compter de l'aggravation de son état de santé et jusqu'à la date de consolidation, des frais hospitaliers au titre des deux premières périodes d'hospitalisation rappelées ci-dessus à hauteur respectivement de 26 910 euros et 13 800 euros. En revanche, et malgré une mesure d'instruction effectuée par les premiers juges et alors que la caisse qui a été régulièrement appelée dans la présente instance n'a présenté aucun mémoire, elle ne produit pas l'état des débours justifiés par le médecin conseil correspondant à l'hospitalisation de M. F... du 11 au 31 janvier 2015. Par ailleurs, si la CNMSS a sollicité la somme de 15 155,82 euros au titre des frais de transport, il résulte de l'état des débours produit que ces frais d'ambulance portent sur la période du 3 juillet 2013 au 1er mai 2014, soit sur une période antérieure aux hospitalisations dans le service de médecine physique et de réadaptation (MPR) de Percy. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à cette demande. En outre, si la CNMSS justifie de frais de taxis d'un montant de 3 939,87 euros au titre de la période du 4 mai 2014 au 30 janvier 2015, de frais de soins de kinésithérapie au titre de la période du 16 septembre 2013 au 8 janvier 2015 pour un montant de 2 041,30 euros, des actes de biologie au titre de la période du 19 septembre 2013 au 18 novembre 2014 pour un montant de 331,49 euros ainsi que des actes d'imagerie et d'échographie pour un montant global de 85,59 euros, elle ne démontre toutefois pas, ainsi que le relève le centre hospitalier, que ces frais sont directement imputables au retard fautif dans la prise en charge du patient. Par suite, les demandes à ce titre doivent être rejetées. En revanche, la CNMSS justifie, par la production d'un état des débours suffisamment détaillé ainsi que d'une attestation d'imputabilité établie le 30 mai 2018, avoir pris en charge des frais pharmaceutiques, qui ne sont d'ailleurs pas contestés par le centre hospitalier, pour un montant global de 3 530,53 euros. Il s'ensuit que le montant des dépenses de santé actuelles engagées par la caisse en lien avec l'amputation dont a été victime M. F... s'élèvent à la somme de 33 180,40 euros, après application du taux de perte de chance, qu'il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier public du Cotentin.

Après consolidation :

Quant aux arrérages échus :

31. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la CNMSS a produit un relevé détaillé récapitulant l'ensemble des prestations servies à son assuré pour un montant total de 50 074,77 euros et sur lequel apparaît des frais d'orthoprothèse engagés entre le 15 mars 2016 et le 24 avril 2018 pour un montant de 49 086,25 euros. Elle a également produit une attestation du médecin conseil, chef du service médical placé auprès d'elle, qui mentionne, notamment, les soins d'orthoprothèse qui ont été effectués durant cette période et qui indique avoir étudié le détail des soins afin de n'en retenir que les prestations en nature strictement liées aux préjudices en cause. Ces documents établissent suffisamment la nature et l'objet des prestations servies par la CNMSS et dont elle demande le remboursement. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a mis à la charge du centre hospitalier le remboursement des frais d'orthoprothèse, qui se montent, après application du taux de perte de chance, à la somme de 36 815,69 euros.

32. En deuxième lieu, il n'est pas contesté que la CNMSS a supporté entre le 24 avril 2018 et la date du jugement attaqué, des frais à hauteur de 16 563 euros en lien avec la faute retenue à l'encontre du centre hospitalier. Le tribunal administratif a pu ainsi mettre

75 % de cette dépense à la charge du centre hospitalier après application du taux de perte de chance.

33. Enfin, la CNMSS ne justifie pas davantage en appel avoir supporté des frais pharmaceutiques, des soins de kinésithérapie, des soins externes et infirmiers et autres frais divers pour un montant de 988,52 euros. Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, de condamner le centre hospitalier à rembourser cette somme à la CNMSS à hauteur de la perte de chance.

Quant aux arrérages à échoir :

34. Aux termes de l'article R. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Les dépenses à rembourser aux caisses de sécurité sociale en application de l'article L. 376-1 peuvent faire l'objet d'une évaluation forfaitaire dans les conditions prévues par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale. (...) ". L'évaluation forfaitaire des pensions d'invalidité prévue par ces dispositions a été fixée par l'arrêté du 27 décembre 2011 susvisée. Les barèmes annexés à cet arrêté, modifiés par un arrêté du 19 décembre 2016, et proposés par le centre hospitalier, qui servent à la détermination de la valeur forfaitaire des pensions d'invalidité attribuées aux assurés sociaux en cas d'accident ou de blessures causés par un tiers ainsi qu'à la détermination du capital représentatif des rentes d'accident du travail, ont été établis à partir de la table de mortalité INSEE 2006-2008 et en se fondant sur un taux de 1,29 %. Les barèmes annexés à cet arrêté ne sont pas légalement contraignant pour déterminer la valeur actuelle des dépenses futures de santé si ces paramètres sont devenus obsolètes quant à l'espérance de vie et aux loyers de l'argent. Dans ces conditions, il y a lieu d'utiliser le barème publié par la Gazette du Palais, proposé par la CNMSS, dont la dernière actualisation date de 2020, et qui se fonde sur un taux d'intérêt sur la valeur moyenne du taux à échéance constante à 10 ans (TEC 10) et la prise en compte de l'inflation générale des prix, plus conforme aux données économiques actuelles, ainsi que sur les tables de la population générale " France entière " les plus récentes publiées par l'INSEE et qui concernent les années 2014-2016.

35. La CNMSS a demandé le remboursement, sous forme d'un capital représentatif, de la somme de 295 419 euros au titre des frais d'appareillage et soins médicaux auxquels elle sera à l'avenir exposée. Si le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord, le centre hospitalier public du Cotentin, a donné son accord sur ce principe.

36. Il résulte de l'instruction que l'expert a estimé que les frais futurs en lien avec l'amputation subie par M. F... nécessitent un changement tous les deux ans de la prothèse définitive et provisoire. Toutefois, et ainsi que le fait valoir sans être contesté le centre hospitalier, dans l'état des débours futurs établi le 30 mai 2018, la référence FI03XX001 portée dans le renouvellement de l'appareillage pour un montant annuel de 71,21 euros a été comptabilisée à tort à deux reprises. Il convient, dans ces conditions, de retirer une des deux sommes de 71,21 euros dans le total des débours présentés par la caisse. En revanche, alors que l'expert a également conclu à la nécessité pour le patient de consulter un médecin rééducateur deux fois par an, la seule circonstance qu'entre 2015 et 2018, période au cours de laquelle M. F... était régulièrement suivi notamment pour la mise en place de sa prothèse, l'intéressé n'a pas recouru à ces deux consultations annuelles, n'est pas de nature à établir qu'à l'avenir, il n'en bénéficiera pas. Dès lors, il y a lieu de maintenir, au titre des débours futurs, les soins médicaux à hauteur de 60 euros par an. Par suite, et au regard notamment de l'évaluation des débours futurs produite par la CNMSS, il y a lieu de prendre en compte, pour la détermination du capital, un montant annuel de ces dépenses de 7 644,50 euros, la caisse justifiant du détail de son estimation et les frais indiqués étant cohérents avec les besoins décrits par l'expert et avec la pathologie de M. F.... Au regard du coefficient tiré du barème de capitalisation de la Gazette du Palais pour 2020 applicable en l'espèce à un homme de 42 ans, soit 38,173, ce capital s'élève ainsi à la somme de 218 860,12 euros après application du taux de perte de chance.

En ce qui concerne les droits de l'État (ministère des armées) :

37. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance susvisée n° 59-76 du 7 janvier 1959, l'État dispose de plein droit à l'encontre du tiers responsable du décès, de l'infirmité ou de la maladie de l'un de ses agents, d'une action subrogatoire en remboursement " de toutes les prestations versées ou maintenues à la victime ou à ses ayants droit à la suite du décès, de l'infirmité ou de la maladie ". L'article 2 de cette ordonnance ajoute que cette action subrogatoire est en principe exclusive de toute autre action de l'État contre le tiers responsable. Toutefois, par dérogation à ces dernières dispositions, l'article 32 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation ouvre à l'État, en sa qualité d'employeur, une action directe contre le responsable des dommages ou son assureur afin de poursuivre le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à l'agent pendant la période d'indisponibilité de celui-ci.

38. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 5, que les hospitalisations dans le service de médecine physique et de réadaptation (MPR) de Percy du 10 juin au 19 juillet 2014, du 7 au 27 septembre 2014 et du 11 au 31 janvier 2015 sont directement liées à l'aggravation de l'état de santé de M. F... conduisant à l'amputation de sa jambe gauche. La ministre a justifié avoir maintenu la solde et les indemnités du requérant au cours de ces trois périodes pour un montant total de 9 335,12 euros et avoir exposé les charges patronales afférentes pour un montant total de 8 538,41 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 75 %, il y a lieu de maintenir à 13 405 euros le montant du versement auquel a droit l'État et qui a été mis à la charge du centre hospitalier du Cotentin par les premiers juges.

39. Il résulte de tout ce qui précède que la somme totale due, après application du taux de perte de chance, par le centre hospitalier public du Cotentin à M. D... F... doit être ramenée à la somme de 165 678,29 euros et celles due à Mme G... F... et à chacun des enfants de M. F... portées respectivement à 6 000 euros et à 3 750 euros, ce qui représente, pour les quatre enfants, une somme globale de 15 000 euros. Le centre hospitalier public du Cotentin remboursera, en outre, à M. F... sur présentation de justificatifs, lorsque ces dépenses seront exposées et à hauteur du taux de perte de chance retenu de 75 %, les frais relatifs à l'adaptation du véhicule dans les conditions définies au point 18 du présent arrêt. Le montant total dû par le centre hospitalier en remboursement des débours exposés par la CNMSS est laissé à la somme, non contestée par la caisse, de 280 069,34 euros et celui dû à l'État à la somme de 13 405 euros. Il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Caen.

Sur les frais liés au litige :

40. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du centre hospitalier public du Cotentin la somme que M. et Mme F... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 218 473,42 euros que le centre hospitalier public du Cotentin a été condamné à verser à M. D... F... est ramenée à 165 678,29. Le centre hospitalier public du Cotentin est également condamné à verser à M. F..., sur présentation de justificatifs, dans les conditions définies au point 18 du présent arrêt, 75 % du montant des dépenses engagées au titre des frais relatifs à l'adaptation du véhicule.

Article 2 : La somme de 4 000 euros que le centre hospitalier public du Cotentin a été condamné à verser à Mme G... D... F... et la somme de 6 000 euros à verser à M. F... en sa qualité de représentant légal de ses quatre enfants mineurs sont portées, respectivement, à 6 000 euros et à 15 000 euros.

Article 3 : Le jugement n°1701737 du 25 juin 2020 du tribunal administratif de Caen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier public du Cotentin, à M. et Mme D... et G... F..., à la caisse nationale militaire de sécurité sociale et à la ministre des armées.

Copie en sera transmise, pour son information, à la maison départementale des personnes handicapées de l'Indre-et-Loire.

.

Délibéré après l'audience du 4 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- M. L'hirondel, premier conseiller

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2021.

Le rapporteur,

M. L'HIRONDELLe président,

D. SALVI

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

3

N° 20NT02669


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02669
Date de la décision : 19/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : BOIZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-19;20nt02669 ?
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