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13/07/2021 | FRANCE | N°20NT03973

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 13 juillet 2021, 20NT03973


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2020 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 2005195 du 4 décembre 2020, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1

8 décembre 2020, Mme E..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2020 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 2005195 du 4 décembre 2020, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2020, Mme E..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 4 décembre 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 23 novembre 2020 ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, au préfet d'Ille-et-Vilaine de l'autoriser à solliciter l'asile en France et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de transfert, qui ne mentionne pas sa demande d'autorisation provisoire de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est insuffisamment motivée et révèle un défaut d'examen particulier de son dossier ;

- le préfet a méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ; son fils bénéficie d'une prise en charge auprès du centre hospitalier universitaire de Brest ; son transfert au Portugal impliquerait de reprendre à zéro cette prise en charge et serait extrêmement préjudiciable à son enfant ;

- les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ont été méconnues ;

- l'illégalité de l'arrêté de transfert entache d'illégalité l'arrêté d'assignation pris le même jour ;

- cette décision est insuffisamment motivée notamment en ce qui concerne la durée de son assignation à résidence et révèle un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- il n'est pas établi que les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration auraient été respectées ;

- le préfet a méconnu les dispositions des articles L. 561-1 et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ; elle se trouve entravée dans sa liberté de circulation alors qu'elle a déféré à l'ensemble des convocations qui lui ont été adressées ; l'obligation de pointage deux fois par semaine, le mercredi, n'est pas adaptée à sa situation de femme seule avec quatre enfants dont l'un est handicapé.

Le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas produit de défense mais a toutefois indiqué que l'intéressée était admise à déposer sa demande d'asile en France.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

B...- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante angolaise, relève appel du jugement du 4 décembre 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 novembre 2020 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté de transfert :

2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet d'Ille-et-Vilaine pour procéder à l'exécution du transfert de Mme E... vers le Portugal a été interrompu par la saisine du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 4 décembre 2020 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de la demande d'asile sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 rappelées ci-dessus. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation du jugement du 4 décembre 2020 en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 23 novembre 2020 portant transfert vers le Portugal.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté portant assignation à résidence :

5. L'arrêté portant assignation à résidence de l'intéressée ayant été exécuté et ayant produit des effets, il y a lieu de statuer sur les conclusions tendant à son annulation.

S'agissant de l'exception d'illégalité de l'arrêté portant transfert vers le Portugal :

6. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par le premier juge, les moyens tirés de ce que la décision contestée serait insuffisamment motivée et révèlerait un défaut d'examen particulier de la situation personnelle et familiale de Mme E..., que l'intéressée réitère en appel, sans apporter de précisions nouvelles.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

8. Mme E... se prévaut de la circonstance que sa fille majeure est inscrite à l'université de Lorraine en vue de l'obtention d'un diplôme universitaire de technologie dans la spécialité " génie biologique ". Il n'est toutefois pas contesté que celle-ci est entrée en France le 3 juillet 2019 et qu'elle n'a pas vocation à y rester à l'issue de ses études. La requérante soutient par ailleurs que son fils D... a été diagnostiqué trisomique 21 au cours de l'été 2020 et qu'elle a sollicité une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en qualité de parent d'enfant malade. L'attestation du centre hospitalier universitaire de Brest en date du 27 octobre 2020 qu'elle produit se borne cependant à indiquer que, compte tenu de son retard de développement, l'enfant nécessite une prise en charge multidisciplinaire au sein d'un servie médico-social et d'une scolarité adaptée. En outre, le certificat du même hôpital du 15 octobre 2020 indique que dans l'attente d'une demande d'auxiliaire de vie scolaire, l'enfant n'est pas encore inscrit dans une école, qu'un bilan complet en hôpital de jour est prévu et que l'aide de la plateforme maladies rares est sollicitée compte tenu de l'absence complète de prise en charge de celui-ci. Il n'est dès lors pas établi qu'à la date de la décision contestée la prise en charge médicale adaptée à l'état du jeune D... était effectivement mise en place. Enfin, il n'est pas contesté que l'enfant s'exprime par petites phrases en portugais et en angolais et que son père réside au Portugal, pays qui dispose de structures de soins comparables à celles de la France. Dans ces conditions, la requérante n'établit pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités portugaises, le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

9. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que mentionnés au point 4, la décision contestée, qui n'a pas pour objet de transférer Mme E... dans son pays d'origine, n'est contraire ni aux stipulations des article 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni à celles de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990.

10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 9 que la décision de transfert aux autorités portugaises n'étant affectée d'aucune des illégalités invoquées par Mme E..., le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, invoqué à l'appui des conclusions dirigées contre la décision d'assignation à résidence, ne peut qu'être écarté.

S'agissant des autres moyens dirigés contre l'arrêté portant assignation à résidence :

11. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par le premier juge, les moyens tirés de ce que la décision contestée serait insuffisamment motivée et révèlerait un défaut d'examen particulier de la situation personnelle et familiale de Mme E..., que l'intéressée réitère en appel, sans apporter de précisions nouvelles.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a été entendue dans le cadre d'un entretien individuel qui s'est déroulé le 12 juin 2020 au cours duquel elle a pu faire valoir ses observations. Par suite, la requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration n'auraient pas été respectées.

13. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision obligeant la requérante, qui est hébergée à Landivisiau, à se présenter deux fois par semaine, les mardis et mercredis, en dehors des jours fériés, à 15 heures, à la gendarmerie de cette commune constituerait une atteinte disproportionnée à sa liberté d'aller et venir. En outre, en se prévalant de la circonstance qu'elle a respecté les convocations qui lui ont été adressées et qu'elle a quatre enfants à charge dont l'un est handicapé, l'intéressée ne justifie pas de contraintes telles qu'elle serait dans l'impossibilité de respecter cette obligation ou que la mesure d'assignation prise à son encontre serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 561-1 et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté d'assignation à résidence.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par Mme E.... Par suite, les conclusions de l'intéressée tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale sont devenues sans objet et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme E... au profit de son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme E... à fin d'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à l'arrêté du 23 novembre 2020 portant transfert auprès des autorités portugaises.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme B..., première conseillère,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juillet 2021.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

O. COIFFET

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT03973


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03973
Date de la décision : 13/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : MAONY

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-07-13;20nt03973 ?
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