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02/07/2021 | FRANCE | N°20NT02984

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 02 juillet 2021, 20NT02984


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B..., alias E... A..., a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2020 du préfet de l'Yonne l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination, lui interdisant un retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'informant de son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen pour cette même durée.

Par un jugement n° 2002849 du 26 août 2020, le président du tribunal adminis

tratif de Rennes a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de procéder à l'effacemen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B..., alias E... A..., a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2020 du préfet de l'Yonne l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination, lui interdisant un retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'informant de son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen pour cette même durée.

Par un jugement n° 2002849 du 26 août 2020, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de procéder à l'effacement du signalement de M. B..., alias A..., au système d'information Schengen dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 septembre 2020, le préfet de l'Yonne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif de Rennes du 26 août 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, il a contesté de façon suffisamment probante la minorité alléguée de l'intimé et qu'ainsi son arrêté n'a pas été pris en méconnaissance des dispositions du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 octobre 2020, M. B..., alias A..., représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Yonne de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et à ce que soit mise à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que les moyens invoqués par le préfet de l'Yonne ne sont pas fondés.

M. B..., alias A..., a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., alias A..., ressortissant guinéen déclarant être entré en France le 3 juillet 2020, a été interpellé le 13 juillet 2020 par les services de gendarmerie. Par un arrêté du même jour, le préfet de l'Yonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, lui a interdit un retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a informé de son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen pour cette même durée. Le préfet de l'Yonne relève appel du jugement du 26 août 2020 par lequel le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté.

2. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger et rédigé dans les formes usitées dans le pays concerné peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact et notamment par les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé Visabio, qui sont présumées exactes. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. Il ressort des pièces du dossier que, sous l'identité de Mohamed Ali A..., le défendeur s'est présenté le 5 juillet 2020 à la gendarmerie d'Avallon puis aux services du conseil départemental de l'Yonne pour solliciter une assistance, se déclarant mineur. L'intéressé a présenté un jugement supplétif du 31 décembre 2019 du tribunal de première instance de Conakry II et un extrait d'acte de naissance du 27 février 2020 transcrivant ce jugement supplétif mentionnant qu'il était né le 18 septembre 2004. La consultation par les services de la préfecture de l'Yonne du fichier Visabio a révélé, par une correspondance d'empreintes digitales, qu'une demande de visa avait été présentée par l'intéressé le 29 novembre 2016 auprès des autorités consulaires sénégalaises, sous l'identité de Mamadou Aliou B..., né le 1er janvier 1999. Tant lors de son entretien du 10 juillet 2020 avec le service d'évaluation des mineurs non accompagnés, qu'à l'occasion de son audition par les services de gendarmerie du 13 juillet suivant, M. B..., alias A... n'a pas été en mesure d'expliquer de façon probante la date de naissance et les éléments d'identité associés à cette demande, pourtant enregistrés au vu d'un passeport guinéen présenté par l'intéressé. Le préfet de l'Yonne a alors relevé qu'aucune donnée personnelle ou biométrique ne permettait d'établir que l'extrait d'acte de naissance précité se rapportait à la personne de l'intéressé. Le préfet a également pris en compte le refus de prise en charge de M. B..., alias A..., au titre de l'aide sociale à l'enfance par le président du conseil départemental de l'Yonne, la procédure judiciaire initiée à son encontre pour déclaration fausse ou incomplète d'identité, les observations formulées à l'occasion de son audition et l'absence d'autre document susceptible de permettre son identification. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier qu'un analyste en fraude documentaire des services de gendarmerie a émis le 15 juillet 2020 un avis défavorable sur les documents d'état civil produits par l'intéressé, en relevant diverses anomalies telles que l'absence de sécurité conforme au document authentique, les procédés d'impression utilisés, qualifiant le jugement supplétif de douteux et l'extrait d'acte de naissance de contrefait. En outre, M. B..., alias A..., a déclaré lors de son audition que l'extrait d'acte de naissance lui avait été remis sur les conseils et par l'intermédiaire d'un compatriote pendant le séjour qu'il indique avoir effectué en Espagne entre 2018 et 2020, avant d'entrer en France, tout en ignorant comment ce tiers avait lui-même obtenu ce document. Dans ces conditions, le préfet de l'Yonne a pu à juste titre estimer que la minorité de M. B..., alias A..., n'était pas établie à la date de l'arrêté en litige et obliger l'intéressé à quitter le territoire français, sans méconnaître les dispositions du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le président du tribunal administratif de Rennes a annulé pour ce motif l'arrêté contesté.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B..., alias A... en première instance et en appel.

6. Par un arrêté du 6 janvier 2020, publié le 7 janvier suivant au recueil spécial n° 89-2020-002 des actes administratifs de la préfecture de l'Yonne, le préfet de l'Yonne a donné délégation à Tristan Riquelme, directeur de cabinet, à l'effet de signer notamment les décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit être écarté.

7. L'arrêté contesté comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. En particulier, il vise les dispositions du 1° du I de l'article L. 511-1 et mentionne que l'intéressé ne justifie ni de la minorité qu'il allègue ni d'une entrée régulière sur le territoire français. L'arrêté vise également, au titre de l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, le III de cet article, mentionne les critères prévus par ces dispositions et précise les circonstances de fait sur lesquelles s'est fondé le préfet de l'Yonne, lequel n'était pas tenu de préciser expressément les circonstances qui ne lui permettait pas de retenir l'un de ces critères. Par suite cet arrêté, dont il ne ressort pas que le préfet n'aurait pas procédé à un examen personnalisé de sa situation, est suffisamment motivé.

8. M. B..., alias A..., fait valoir que le préfet de l'Yonne ne justifie pas de ce qu'une décision de prise en charge lui aurait été notifiée, préalablement à l'édiction de l'arrêté contesté, par le président du conseil départemental de l'Yonne, que ce dernier n'a pas procédé aux investigations requises, qu'il n'a pas reçu l'information portant sur la collecte de données effectuée par le traitement automatisé d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM), que le rapport d'évaluation de minorité ne comporte pas la signature de l'évaluateur, et qu'il n'a pas été en mesure de contester devant le juge des enfants le refus de prise en charge qui lui a été opposé. Toutefois, les dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à l'évaluation et l'accueil des mineurs non accompagnés ne font pas obstacle à ce qu'une mesure d'éloignement soit prise par l'autorité administrative à l'égard d'une personne dont elle estime, au terme de l'examen de sa situation, qu'elle est majeure, alors même qu'elle allèguerait être mineure. Par suite, M. B..., alias A..., ne peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance supposée des règles procédurales prévues par ces dispositions, qui sont sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté.

9. Compte tenu de l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, M. B..., alias A..., ne saurait exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de sa contestation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

10. Si M. B..., alias A... fait valoir qu'il n'a pas été tenu compte de sa volonté de solliciter l'asile, il n'établit pas avoir manifesté une telle volonté avant l'édiction de l'arrêté contesté. Par suite, et en tout état de cause, les moyens tirés de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an aurait été prise en méconnaissance des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.

11. Si M. B..., alias A... soutient qu'il serait en danger en cas de retour en Guinée, où ses parents auraient été assassinés, l'intéressé n'apporte à l'appui de ses allégations aucun élément précis et circonstancié permettant d'établir la réalité du risque invoqué. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

12. Enfin M. B..., alias A..., qui ne s'est pas vu reconnaître la qualité de réfugié, ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer, à l'encontre de la décision contestée fixant le pays de renvoi la méconnaissance du principe de non-refoulement garanti par l'article 33 de la convention de Genève.

13. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Yonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 13 juillet 2020 et lui a enjoint de procéder à l'effacement du signalement de M. B..., alias A..., au système d'information Schengen dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Par voie de conséquence, les conclusions présentées tant en première instance qu'en appel par M. B..., alias A..., à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

D E C I D E

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2002849 du 26 août 2020 du président du tribunal administratif de Rennes sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. B..., alias A..., devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. F... B..., alias E... A....

Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, présidente,

- Mme C..., présidente-assesseure,

- M. Berthon, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 2 juillet 2021.

La rapporteure

C. C... La présidente

I. Perrot

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20NT029842


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02984
Date de la décision : 02/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS CLAISSE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-07-02;20nt02984 ?
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