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18/06/2021 | FRANCE | N°19NT03203

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3eme chambre, 18 juin 2021, 19NT03203


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... G... épouse J... et M. A... J..., en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs enfants D..., Mohamed-Amine et Syrine, ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier de Dreux à leur verser la somme totale de 282 465,10 euros (264 952 + 8 500 + 6 000 + 2 568 + 445,10) en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des conditions de la prise en charge de Mme B... J... par cet établissement de santé.

Par un jugement n

1803635 du 6 juin 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... G... épouse J... et M. A... J..., en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs enfants D..., Mohamed-Amine et Syrine, ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier de Dreux à leur verser la somme totale de 282 465,10 euros (264 952 + 8 500 + 6 000 + 2 568 + 445,10) en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des conditions de la prise en charge de Mme B... J... par cet établissement de santé.

Par un jugement n° 1803635 du 6 juin 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes, ainsi que les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Loir-et-Cher au titre des débours exposés par elle et de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 août 2019 Mme J..., assistée de sa curatrice Mme E... K..., et M. J..., représentés par Me I..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 6 juin 2019 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Dreux à leur verser la somme totale de 282 465,10 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dreux la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le tribunal a justement retenu que le centre hospitalier de Dreux était responsable d'un retard de diagnostic fautif ;

- c'est en revanche à tort que les premiers juges ont estimé, au prix d'une lecture erronée du rapport d'expertise, que Mme J... n'avait subi aucune perte de chance ; il y a lieu de fixer ce taux de perte de chance à 10 % :

- Mme J... a subi des préjudices patrimoniaux temporaires constitués par une perte de gains actuelle et des frais d'assistance par tierce personne qu'il y a lieu d'évaluer respectivement à 1 859 euros et 16 506 euros après application d'un taux de perte de chance de 10%, ainsi que des préjudices extra-patrimoniaux temporaires liés à un déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et un préjudice esthétique temporaire, qu'il y a lieu d'évaluer respectivement à 2 036 euros, 3 500 euros et 1 500 euros après application d'un taux de perte de chance de 10 % ;

- elle a droit à la réparation des préjudices patrimoniaux permanents qu'elle a subis qui s'élèvent, après application du taux de perte de chance de 10 %, à 1 702 euros au titre des frais de santé futurs, 14 790 euros au titre de la perte de gains futurs, 1 141 euros au titre de l'incidence professionnelle et 176 618 euros au titre de l'assistance par tierce personne ;

- les préjudices extra-patrimoniaux permanents qu'elle subit doivent par ailleurs être évalués, après application du taux de perte de chance de 10 %, à 31 800 euros s'agissant du déficit fonctionnel permanent, 3 500 euros s'agissant du préjudice esthétique permanent, 5 000 euros s'agissant du préjudice d'agrément et 5 000 euros s'agissant du préjudice sexuel ;

- M. J... subit des préjudices moral et sexuel qu'il y a lieu d'évaluer respectivement à 3 500 euros et 5 000 euros après application du taux de perte de chance de 10 %, et le préjudice moral de chacun des trois enfants du couple doit être fixé dans les mêmes conditions et indemnisé à hauteur de 2 000 euros ;

- ils ont droit à la réparation intégrale des préjudices résultant des frais d'expertise, à hauteur de 2 568 euros et des frais de déplacement, d'un montant de 445,10 euros.

Par des mémoires enregistrés les 7 octobre 2020 et 11 janvier 2021 la CPAM de

Loir-et-Cher intervenant au nom et pour le compte de la CPAM d'Eure-et-Loir, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 6 juin 2019 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Dreux à lui verser la somme de 59 402,07 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2019 en remboursement de ses débours, outre la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dreux la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- si les premiers juges ont à juste titre retenu l'existence d'un retard fautif de diagnostic imputable au centre hospitalier, ils ont en revanche inexactement interprété les conclusions expertales s'agissant de la perte de chance, dont il convient de fixer le taux à 10 % ;

- elle a exposé au titre des dépenses de santé actuelles et futures, des indemnités journalières et de la pension d'invalidité versée à Mme J... la somme totale de 594 020,72 euros et peut donc prétendre au remboursement de la somme de 59 402,07 euros après application d'un taux de perte de chance de 10 % ;

- elle peut également prétendre au versement de la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par des mémoires en défense enregistrés les 6 octobre et 5 novembre 2020 le centre hospitalier de Dreux, représenté par Me H..., conclut au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM de Loir-et-Cher.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme et M. J... et par la CPAM ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles l'article L. 3761 et L. 4541 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 29 novembre 2014 à 11 heures 08, Mme J..., alors âgée de 45 ans, a été admise au service des urgences du centre hospitalier de Dreux en raison de troubles du comportement. A l'issue d'une consultation avec un psychiatre en fin d'après-midi le même jour, une crise d'hystérie a été diagnostiquée. Alors que l'équipe médicale souhaitait qu'elle regagne son domicile, Mme J... a finalement été hospitalisée au sein du service psychiatrique sur la demande insistante de son mari. Le lendemain la patiente présentait une hémiplégie droite associée à une aphasie. Un scanner cérébral réalisé à 11 heures 45 a révélé une hypodensité hémisphérique gauche en relation avec un accident vasculaire ischémique cérébral. Mme J... a été hospitalisée au service de neurologie du centre hospitalier de Dreux jusqu'au 10 février 2015, puis au service de médecine physique et de réadaptation fonctionnelle de cet établissement jusqu'au 21 septembre 2015. L'intéressée, dont l'état de santé a été regardé comme consolidé au 19 septembre 2017, est demeurée très lourdement affectée d'une hémiplégie droite à prédominance brachiale avec aphasie complète. Par une ordonnance du 27 septembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a désigné un expert neurologue, dont le rapport a été déposé le 11 février 2018. La demande préalable adressée au centre hospitalier de Dreux étant restée sans réponse, M. et Mme J..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs enfants D..., Mohamed-Amine et Syrine, ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier de Dreux à leur verser la somme totale de 282 465,10 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des conditions de la prise en charge de Mme J... par cet établissement de santé. Ils relèvent appel du jugement du 6 juin 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes.

2. La CPAM de Loir-et-Cher intervenant au nom et pour le compte de la CPAM d'Eure-et-Loir, conclut à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande tendant au remboursement des débours, indemnités journalières, pension d'invalidité et frais de santé futurs, ainsi qu'au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion.

I- La responsabilité du centre hospitalier de Dreux :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

4. Il résulte de l'instruction et n'est au demeurant pas contesté en défense que, lors de l'admission de Mme J... au service des urgences du centre hospitalier de Dreux le 29 novembre 2014 à 11 heures 08, aucun examen n'a été réalisé afin d'éliminer d'emblée et conformément aux règles de l'art toute problématique organique avant de retenir un diagnostic psychiatrique, alors même que la patiente, qui n'avait aucun antécédent psychiatrique, ne présentait pas seulement des manifestations comportementales mais également des signes déficitaires authentiques qui auraient dû conduire à évoquer un déficit neurologique et à procéder à des examens complémentaires, en particulier une imagerie cérébrale. Toutefois, le mutisme et les troubles de l'hémicorps droit de la patiente, constatés dès son arrivée aux urgences, ayant été interprétés comme étant simulés et son état d'agitation ayant été qualifié de " crise d'hystérie ", ce n'est que le lendemain matin, après un scanner, qu'un accident vasculaire cérébral a été diagnostiqué et un traitement administré. Le centre hospitalier de Dreux a donc commis une erreur et un retard de diagnostic fautifs de nature à engager sa responsabilité.

II- Le taux de perte de chance :

5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport établi par l'expert désigné par le tribunal administratif d'Orléans, qu'un traitement par thrombolyse, acte médical permettant de limiter les séquelles d'un accident vasculaire cérébral, n'aurait pas pu être pratiqué en urgence en raison de l'anémie sévère dont souffrait Mme J..., qui requérait des examens complémentaires afin d'en déterminer la cause et d'écarter l'hypothèse d'une hémorragie. Si le traitement anti-agrégant, indiqué en pareille circonstance et dont la patiente a finalement bénéficié, n'aurait pas davantage pu être entrepris avant que ne soient réalisés de tels examens et ne présente qu'une efficacité variant de 10 à 20% dans la prévention de la constitution des accidents vasculaires cérébraux ischémiques, son administration tardive a toutefois, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, fait perdre à Mme J... une chance " de minimiser le risque que l'AVC ne se complète " et d'éviter le surcroît de séquelles en résultant, qu'il y a lieu d'évaluer à 10 %. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué qui doit être annulé, le tribunal administratif d'Orléans a estimé que Mme J... n'avait subi aucune perte de chance et a rejeté, pour ce motif, tant ses conclusions indemnitaires que celles de l'organisme tiers payeur.

7. Il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur la demande indemnitaire présentée par les requérants tendant à la réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis ainsi que sur les conclusions de la CPAM de Loir-et-Cher.

III- Les préjudices

A) Les préjudices propres de Mme J... :

1) Les préjudices à caractère patrimonial :

En ce qui concerne les frais divers :

8. Il est constant que Mme J... a été dans l'obligation de se rendre aux deux réunions convoquées par l'expert. Elle justifie avoir exposé à ce titre une somme totale de 445,10 euros. Cette dépense résultant uniquement de la faute du centre hospitalier, il n'y a pas lieu de lui appliquer un abattement pour perte de chance. Le centre hospitalier de Dreux doit donc être condamné à rembourser l'intégralité de cette somme de 445,10 euros.

En ce qui concerne les dépenses de santé :

9. Si l'expert a estimé que l'état de santé de Mme J... rendait nécessaires, après consolidation, des séances d'orthophonie à raison de d'une séance par semaine pendant deux ans et des séances de kinésithérapie à raison de deux séances par semaine pendant 3 ans puis de 50 séances par an, il résulte toutefois de l'instruction, et notamment de l'attestation d'imputabilité du 5 mai 2021 produite par la CPAM, que les soins en cause ont été exonérés du ticket modérateur au titre d'une " affection exonérante " mais également au titre de l'invalidité. Par suite, les requérants, qui ne démontrent pas l'existence d'un reste à charge, n'établissent pas la réalité du préjudice allégué.

En ce qui concerne les frais liés au handicap :

10. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.

11. Il résulte de l'instruction que le besoin en assistance par une tierce personne de Mme J..., qui doit être aidée dans certains gestes de la vie quotidienne ainsi que pour communiquer, mais qui demeure apte à une vie autonome, doit être évalué à deux heures par jour d'assistance par tierce personne non spécialisée. Pour la période allant du 21 septembre 2015, date de son retour à son domicile, à la date de mise à disposition du présent arrêt, et sur la base d'une période indemnisable de 2 037 jours, d'un taux horaire moyen de rémunération tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche fixé à 13,78 euros et d'une année de 412 jours (soit un coefficient de 1,128) pour tenir compte des congés payés et des jours fériés, le préjudice de Mme J... s'élève à la somme de 64 755,60 euros (2083 X 1,128 X (2 X 13,78), soit 6 475,56 euros après application du taux de perte de chance. Il convient toutefois d'en déduire la somme que cette dernière a perçue du département d'Eure-et-Loir sur la même période, au titre de la prestation de compensation du handicap, pour un total justifié de 46 631,74 euros, de sorte qu'aucune réparation ne peut lui être accordée au titre de ce chef de préjudice.

12. Pour l'avenir, le préjudice de Mme J... s'élève, sur la base d'un besoin d'assistance à tierce personne évalué dans les mêmes conditions que précédemment, d'un taux horaire moyen de rémunération tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche fixé à 14,21 euros et d'une année de 412 jours pour tenir compte des congés payés et des jours fériés, à un besoin viager d'un montant de 4 372,08 euros par an après déduction de l'aide perçue au titre de la prestation de compensation du handicap pour un montant total de 46 631,74 euros ((14,21 x 2) x 365 x 1,128) - 7 329). Après capitalisation de cette rente par application d'un coefficient de 33,171 issu du barème 2020 de la Gazette du Palais correspondant à une victime âgée de 51 ans à la date du présent arrêt, le préjudice s'élève à la somme de 145 026,26 euros, ramenée à 14 502,62 euros après application du taux de perte de chance de 10 %.

En ce qui concerne les préjudices professionnels :

13. En application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, le cas échéant, de la part de responsabilité mise à sa charge. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.

14. Par ailleurs, eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire les pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

15. Mme J..., qui occupait depuis 1991 un emploi de conditionneuse, n'a jamais pu reprendre le travail et a été licenciée pour inaptitude définitive le 27 octobre 2016 en raison des très lourdes séquelles dont elle est demeurée atteinte. Elle est, selon l'expert, dans l'" impossibilité totale, définitive et absolue d'exercer toute activité professionnelle quelle qu'elle soit ". Elle est donc fondée à demander à être indemnisée, d'une part, au titre de l'incidence professionnelle et, d'autre part, le cas échéant, au titre des pertes de gains professionnels actuelles et futures.

16. Eu égard à ce qui vient d'être précisé, le préjudice d'incidence professionnelle subi par Mme J... doit être évalué à la somme de 60 000 euros et l'indemnité due à 10% de cette somme, soit 6 000 euros. Les requérants soutiennent également que cette dernière a été, du fait de la prise en charge fautive dont elle a fait l'objet, privée de revenus professionnels mensuels d'un montant moyen de 1 323 euros. Alors même que l'intéressée était en congé de maladie avant son accident cérébral, le montant de revenu mensuel de 1 323 euros correspond aux bulletins de salaires produit par elle pour l'année 2014 peut donc être retenu. Pour la période du 29 novembre 2014, date de la prise en charge fautive de l'AVC, à la date de mise à disposition du présent arrêt, soit 79 mois, le préjudice de Mme J... s'élève à la somme de 104 517 euros (1 323 X 79), ramenée à 10 451,70 euros après application du taux de perte de chance. Pour l'avenir, le préjudice de Mme J... s'élève annuellement à la somme de 15 876 euros (1323 X 12). Après capitalisation de cette rente par application d'un coefficient de 33,171 issu du barème 2020 de la Gazette du Palais correspondant à une victime âgée de 51 ans à la date du présent arrêt, le préjudice s'élève à la somme de 526 622,80 euros, ramenée à 52 662,28 euros après application du taux de perte de chance de 10 %. Il est toutefois constant que Mme J... a perçu les sommes de 17 404,13 euros au titre des indemnités journalières, et de 8 678,08 euros, 9 664,12 euros et 13 301,26 euros au titre des arrérages échus de pension d'invalidité, la somme de 69 404,35 euros demeurant à échoir au titre du capital invalidité qui lui sera versé, sommes dont le montant total excède largement celui auquel Mme J... peut prétendre en réparation des préjudices professionnels qu'elle a subis (6 000 + 10 451,70 + 52 662,28), de sorte qu'elle n'est en droit de percevoir aucune indemnisation à ce titre.

2) Les préjudices personnels :

En ce qui concerne les préjudices personnels temporaires :

17. Il résulte de l'instruction que Mme J... a subi un déficit fonctionnel temporaire de 100 % pendant sa période d'hospitalisation du 29 novembre 2014 au 21 septembre 2015, et de 75 % du 22 septembre 2015 au 19 septembre 2017, date de consolidation de son état de santé. Il y a lieu d'évaluer ce chef de préjudice à la somme de 1 400 euros après application du taux de perte de chance de 10 %.

18. Mme J... a éprouvé des souffrances qui ont été évaluées à 5 sur 7 par l'expert et dont la réparation implique une indemnisation à hauteur de 1 500 euros après application du taux de perte de chance.

19. L'expert a évalué à 6/7 le préjudice esthétique temporaire subi par

Mme J... durant son hospitalisation et jusqu'à sa consolidation, en raison de son état physique très altéré. Compte tenu du taux de perte de chance de 10 %, une somme de 500 euros sera accordée à Mme J... en réparation de ce préjudice.

En ce qui concerne les préjudices personnels permanents :

20. L'expert a évalué à 75 % le déficit fonctionnel permanent de Mme J... à raison de la perte d'autonomie résultant de l'hémiplégie droite complète avec aphasie dont Mme J... est demeurée affectée. Compte tenu de l'âge de la victime, née en 1969, ce poste de préjudice doit être évalué à la somme de 22 000 euros après application du taux de perte de chance.

21. Les requérants ne justifient d'aucune activité spécifique et pratiquée de manière régulière par Mme J... qui serait de nature à justifier l'indemnisation d'un préjudice d'agrément. S'ils soutiennent que les séquelles dont Mme J... demeure atteinte ont des répercussions importantes sur ses conditions d'existence puisqu'elle ne peut plus s'occuper de ses enfants, se promener, courir, nager ou marcher plus de quelques minutes, ni s'adonner à des loisirs courants, cette circonstance, en réalité relative aux troubles dans les conditions d'existence, est déjà prise en compte au titre du déficit fonctionnel permanent examiné au point 20 du présent arrêt. Par suite, il n'y a pas lieu d'accorder une indemnisation à ce titre.

22. Du fait des séquelles conservées par Mme J... et de l'hémiplégie dont elle est demeurée atteinte, l'expert a évalué le préjudice esthétique permanent subi par cette dernière à 5/7. Par suite, il y a lieu d'accorder à ce titre, après application du taux de perte de chance de 10 %, la somme de 2 000 euros.

23. Enfin il sera fait une juste appréciation du préjudice sexuel subi par

Mme J... en l'évaluant à la somme de 500 euros après application du taux de perte de chance.

B) Les préjudices des proches

1) Les préjudices de M. J... :

24. Eu égard aux conditions dans lesquelles son épouse a été prise en charge et aux lourdes séquelles qu'elle a conservées, il sera fait une juste appréciation de l'ensemble de ses préjudices propres, préjudice sexuel compris, subis par M. J..., qui assume désormais seul l'éducation des enfants, en allouant à ce titre la somme globale de 1 500 euros après application du taux de perte de chance de 10 %.

2) Les préjudices des trois enfants de M. et Mme J... :

25. Les trois enfants de M. et Mme J..., qui étaient âgés de 3, 6 et 8 ans à la date de la prise en charge fautive de leur mère, ont été les témoins directs des souffrances supportées par cette dernière et ont subi les difficultés de communication liées à l'hémiplégie et à l'aphasie dont elle est demeurée affectée. Par suite, il sera fait une juste évaluation de leur préjudice moral en leur allouant à chacun la somme de 1 000 euros après application du taux de perte de chance de 10 %.

26. Il résulte des points 8 à 25 du présent arrêt qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Dreux à verser aux requérants la somme de 47 347,72 euros en réparation des préjudices subis par Mme J..., M. J... et les trois enfants du couple du fait de la faute commise par cet établissement.

IV- Les droits de la CPAM de Loir-et-Cher :

27. Il résulte de l'instruction que, à la date du présent arrêt, la CPAM de Loir-et-Cher justifie avoir exposé des frais d'hospitalisation, médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et de transport pour un montant total de 188 947,34 euros. Par suite, elle peut prétendre au remboursement de la somme de 18 894,73 euros après application du taux de perte de chance de 10 %.

28. Eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge de l'auteur responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec l'accord de ce dernier. Faute pour le centre hospitalier de Dreux d'avoir donné son consentement à une telle modalité de versement, ce dernier doit seulement être condamné à rembourser à la CPAM de Loir-et-Cher, au titre des frais futurs, à échéance annuelle et sur justificatifs, 10 % des frais médicaux, infirmiers, de kinésithérapie, de transport, d'appareillage et de pharmacie engagés pour Mme J... postérieurement à la lecture du présent arrêt.

29. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 et 16 du présent arrêt, d'une part, que Mme J... établit subir des pertes de gains professionnels à hauteur d'un montant total de 63 113,98 euros et, d'autre part, que le déficit fonctionnel permanent dont elle est affectée est susceptible d'avoir une incidence sur sa vie professionnelle future, préjudice évalué à 6 000 euros. Par suite, la CPAM de Loir-et-Cher, qui établit avoir versé à Mme J... des indemnités journalières, des arrérages échus de pension d'invalidité ainsi qu'un capital invalidité, pour un montant total de 118 451,94 euros, peut prétendre au versement de la somme totale de 69 113,98 euros de la part du centre hospitalier de Dreux à ce titre.

30. Enfin, la CPAM de Loir-et-Cher a droit à l'indemnité forfaitaire régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour le montant de 1 098 euros auquel elle a été fixée par l'arrêté du 4 décembre 2020 visé ci-dessus.

V- Les intérêts :

31. La CPAM de Loir-et-Cher a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 88 008,71 euros (69 113,98 + 18 894,73) à compter du 17 avril 2019 date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif d'Orléans.

VI- Les frais liés au litige :

32. Il y a lieu de mettre définitivement à la charge du centre hospitalier de Dreux les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 568 euros par l'ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans du 30 avril 2018.

33. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Dreux, d'une part la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme et M. J... et, d'autre part la somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais exposés par la CPAM de Loir-et-Cher.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1803635 du tribunal administratif d'Orléans du 6 juin 2019 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Dreux est condamné à verser à M. et Mme J... la somme de 47 347,72 euros.

Article 3 : Le centre hospitalier de Dreux est condamné à verser à la CPAM de Loir-et-Cher la somme de 88 008,71 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2019.

Article 4 : Le centre hospitalier de Dreux versera à la CPAM de Loir-et-Cher à échéance annuelle et sur justificatifs, une somme correspondant à 10 % des frais médicaux, infirmiers, de kinésithérapie, de transport, d'appareillage et de pharmacie engagés pour Mme J....

Article 5 : Le centre hospitalier de Dreux versera à la CPAM de Loir-et-Cher la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 6 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 568 euros par l'ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans du 30 avril 2018 sont mis à la charge définitive du centre hospitalier de Dreux.

Article 7 : Le centre hospitalier de Dreux versera à M. et Mme J... et à la CPAM de Loir-et-Cher la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 8 : Le surplus des conclusions de la requête et des conclusions présentées par la CPAM de Loir-et-Cher est rejeté.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... G... épouse J..., à M. A... J..., au centre hospitalier de Dreux et à la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher.

Copie en sera transmise à Mme K..., curatrice de Mme J... et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et Loir.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme F..., présidente de chambre,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Berthon, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2021.

La présidente-rapporteure

I. F...La présidente-assesseure

C. Brisson

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT03203


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3eme chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03203
Date de la décision : 18/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-06-18;19nt03203 ?
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