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10/06/2021 | FRANCE | N°19NT02498

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ere chambre, 10 juin 2021, 19NT02498


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Europe Trading Services a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des années 2008 à 2011.

Par un jugement n° 1704497 du 25 avril 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 juin 2019, 14 décembre 2020 et 12 mars 2021, la société Europe Trading Ser

vices, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer ce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Europe Trading Services a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des années 2008 à 2011.

Par un jugement n° 1704497 du 25 avril 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 juin 2019, 14 décembre 2020 et 12 mars 2021, la société Europe Trading Services, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer cette décharge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'avis de mise en recouvrement est irrégulier ; les dispositions de l'article R. 256-6 du livre des procédures fiscales ont été méconnues ; c'est à tort qu'il a été adressé à M. E... en son nom propre ;

- il n'était pas possible d'imposer en France la société de droit luxembourgeois Europe Trading Services (ETS) ; ce principe découle des stipulations de l'article 20 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise ; elle a acquitté ses impôts au Luxembourg ;

- le jugement du tribunal correctionnel de Tours du 10 octobre 2013 fait obstacle à la caractérisation d'un établissement stable en France ;

- le dégrèvement accordé en matière d'impôt sur les sociétés doit entraîner le dégrèvement correspondant en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

- l'activité occulte n'est pas caractérisée ; la société ETS dispose d'un numéro de taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire au Luxembourg ; elle a acquitté son impôt au Luxembourg ;

- le service a commis une erreur de calcul, une partie du chiffre d'affaires étant relatif à la société Travel assistance :

- pour 2011, la société a passé des contrats de longue durée, qui ne sont pas soumis à taxation en France ;

- la taxe sur la valeur ajoutée a été acquittée par ses clients dans le cadre du mécanisme de l'auto-liquidation.

Par un mémoire en défense et des mémoires, enregistrés les 7 janvier 2020, 11 janvier 2021 et 17 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au non-lieu à statuer en ce qui concerne le dégrèvement intervenu en cours d'instance et au rejet du surplus de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Europe Trading Services ne sont pas fondés.

Un mémoire de la société Europe Trading Services a été enregistré le 19 avril 2021, postérieurement à la clôture d'instruction intervenue le 8 avril 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune du 1er avril 1958 modifiée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Europe Trading Services (ETS) est inscrite au registre du commerce et des sociétés du Luxembourg depuis le 29 juillet 2005 et y a déclaré son siège. Cette société a pour objet social le transport de marchandises et de voyageurs, tant au plan national qu'international, ainsi que l'importation et l'exportation, le négoce, la représentation et la location de tous matériels et de tous produits de quelque nature qu'ils soient, exceptés ceux faisant l'objet d'une réglementation spécifique. Cette société est également inscrite au registre du commerce et des sociétés en France depuis le 1er mai 2008 comme société étrangère ne disposant pas d'établissement et exerçant une activité de transport routier de voyageurs. L'administration fiscale a mise en oeuvre une procédure de visite et de saisie, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans des locaux situés à Montlouis-sur-Loire, soit au domicile de M. E..., gérant et associé unique de la société. L'administration a ensuite procédé à une vérification de comptabilité de cette société. A l'issue du contrôle, elle a estimé que la société réalisait, de manière occulte, ses activités en France sous couvert d'un établissement stable situé au domicile de M. E.... Par proposition de rectification du 12 décembre 2012, le service a notamment procédé, selon la procédure de taxation d'office prévue par les dispositions du 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée portant sur la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2011. Après mise en recouvrement et rejet de sa réclamation, la société a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions, pour un montant total de 628 243 euros. Par un jugement n° 1704497 du 25 avril 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande. La société relève appel de ce jugement.

Sur l'étendue du litige :

2. Par décision du 8 janvier 2021, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration a prononcé un dégrèvement d'un montant de 13 434 euros en droits et 12 572 euros en pénalités au titre de l'année 2011. Les conclusions de la requête de la société ETS sont, dans cette mesure, sans objet. Il n'y a, par suite, pas lieu d'y statuer.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. En premier lieu, la société fait valoir que, lors de la réunion de synthèse, le vérificateur utilisait des béquilles, ne pouvait pas s'asseoir et n'a ainsi pas pu mettre à même le contribuable de bénéficier d'un débat contradictoire convenable. Toutefois, la société ne produit, à l'exception d'un récit du gérant, aucun autre élément permettant d'établir qu'elle aurait été privée d'un débat contradictoire effectif. En outre, il résulte de l'instruction que sept entretiens ont eu lieu au cours du contrôle avec le vérificateur. Dans ces conditions, ce moyen ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, la société fait valoir que l'administration n'a pas respecté, pour répondre aux observations du contribuable, le délai de soixante jours fixé à l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales. Toutefois, ce moyen ne peut utilement être invoqué dès lors que cet article ne s'applique pas dans le cadre de la procédure de taxation d'office.

5. En troisième lieu, si la société fait valoir que la proposition de rectification devait être signée par le supérieur hiérarchique du vérificateur, une telle obligation ne s'applique pas, en vertu des dispositions de l'article L. 80 E du livre des procédures fiscales, en cas de majoration pour activité occulte.

6. En quatrième lieu, les dispositions de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable en l'espèce prévoient que : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. (...) / L'avis de mise en recouvrement est individuel (...) ". Selon l'article R. 256-6 du même livre : " La notification de l'avis de mise en recouvrement comporte l'envoi au redevable, soit au lieu de son domicile, de sa résidence ou de son siège, soit à l'adresse qu'il a lui-même fait connaître au service compétent de la direction générale des finances publiques ou au service des douanes et droits indirects compétent, de l'" ampliation " prévue à l'article R. 256-3 (...) ".

7. Il est constant que l'avis de mise en recouvrement a été adressé au siège de la société ETS au Luxembourg. Une copie de cet avis de mise en recouvrement a été adressée à E..., en tant que représentant légal de la société. La société fait valoir que cet avis aurait dû être adressé à la société, et non à M. E.... Toutefois, cette circonstance ne saurait faire regarder la société comme ayant été privée de la garantie prévue à l'article R. 256-6 du livre des procédures fiscales. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

8. En dernier lieu, à supposer que la société ait entendu invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, le bénéfice de l'instruction administrative référencée BOI-CF-PGR-20-50, un tel moyen ne peut qu'être écarté, s'agissant d'une instruction administrative relative à la procédure d'imposition. Il en va de même pour l'instruction référencée BOI-REC-PREA-10-10-20.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le cadre juridique :

S'agissant des règles applicables aux prestations de service avant le 1er janvier 2010 :

9. L'article 259 du code général des impôts, dans sa version applicable jusqu'au 1er janvier 2010, prévoit que : " Le lieu des prestations de services est réputé se situer en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle. ". L'article 283 du même code dispose : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...). Toutefois, lorsque la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée par un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par l'acquéreur, le destinataire ou le preneur (...) ".

10. Pour l'application de ces dispositions, qui résultent de la transposition en droit interne de l'article 9 de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ainsi que de l'article 44 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dans sa version en vigueur au cours de la période d'imposition en litige, qui en reprenait le contenu, il convient, comme la Cour de justice des Communautés européennes l'a dit pour droit, notamment dans ses arrêts Berkholz du 4 juillet 1985 (C-168/84, points 17 et 18) et ARO Lease BV du 17 juillet 1997 (C-190/95, points 15 et 16), de déterminer le point de rattachement des services rendus afin d'établir le lieu des prestations de services. L'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel les prestations de services sont fournies ne présentant d'intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle d'un point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre. Un établissement ne peut être utilement regardé, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, que s'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées. Ainsi, jusqu'au 31 décembre 2009, le rattachement de prestations de services soit à un établissement satisfaisant aux critères énoncés au point précédent dont le prestataire dispose en France, soit au siège de son activité économique situé sur le territoire d'un autre Etat membre, détermine si la taxe sur la valeur ajoutée grevant ces prestations est due en France ou dans l'autre Etat membre.

S'agissant des règles applicables aux prestations de service après le 1er janvier 2010 :

11. L'article 259 du code général des impôts, dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2010, dispose que : " Le lieu des prestations de services est situé en France : 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle (...). ". L'article 283 du même code prévoit que : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...). 2. Lorsque les prestations mentionnées au 1° de l'article 259 sont fournies par un assujetti qui n'est pas établi en France, la taxe doit être acquittée par le preneur ".

12. Il résulte de ces dispositions, issues de la transposition en droit interne des articles 44, 192 bis, 193, 194 et 196 de la directive du 28 novembre 2006 dans leur version en vigueur à compter du 1er janvier 2010, éclairées notamment par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne GST Sarviz AG Germania du 23 avril 2015 (C-111/14, points 20 à 25), ainsi que de l'article 53 du règlement n° 282/2011 du Conseil du 15 mars 2011 portant mesures d'exécution de la même directive, que lorsque le lieu des prestations de services se trouve en France parce qu'elles sont fournies à des assujettis remplissant les conditions définies à l'article 259 du code général des impôts, le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée afférente est le prestataire qui les fournit s'il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le prestataire qui a en France un établissement stable depuis lequel les prestations sont fournies et qui satisfait aux critères énoncés au point 10, lesquels demeurent pertinents sous l'empire des nouvelles dispositions, ainsi qu'il ressort notamment de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Welmory du 16 octobre 2014 (C-605/12, points 53 à 58). Dès lors que les prestations peuvent être rattachées à un tel établissement, il n'y a pas lieu de rechercher si ce rattachement est fiscalement plus rationnel qu'un rattachement au siège de l'activité économique du prestataire.

S'agissant des livraisons de biens :

13. Aux termes de l'article 258 du code général des impôts : " I. - Le lieu de livraison de biens meubles corporels est réputé se situer en France lorsque le bien se trouve en France a) Au moment de l'expédition ou du transport par le vendeur, par l'acquéreur, ou pour leur compte, à destination de l'acquéreur ; b) Lors du montage ou de l'installation par le vendeur ou pour son compte ; c) Lors de la mise à disposition de l'acquéreur, en l'absence d'expédition ou de transport ; (...). ". L'article 283 du même code dispose que : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...). Toutefois, lorsqu'une livraison de biens ou une prestation de services mentionnée à l'article 259 A est effectuée par un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par l'acquéreur, le destinataire ou le preneur qui agit en tant qu'assujetti et qui dispose d'un numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France. (...) ".

14. Lorsqu'en application des dispositions de l'article 258 du code général des impôts, le lieu de la livraison de biens se situe en France, le redevable de la taxe est le vendeur s'il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le vendeur qui a en France un établissement stable, caractérisé par un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possible, de manière autonome, l'activité réalisée.

En ce qui concerne l'existence d'un établissement stable en France :

15. La proposition de rectification du 12 décembre 2012 mentionne que les éléments obtenus lors de la procédure de saisie et de perquisition au domicile de M. E... à Montlouis-sur-Loire et lors de la vérification de la comptabilité de la société ETS ont révélé que le siège social de cette société au Luxembourg était fixé chez une société " domiciliante ", la société Fiduciaire Lois et Taxes qui est également chargée de sa comptabilité. Par ailleurs, le vérificateur a relevé que la société ETS a assuré des prestations de services de transport de personnes et d'achat de cellules photovoltaïques en France au cours des exercices contrôlés. S'agissant plus précisément de l'exercice de l'activité de transport de personnes, la société ETS disposait de plusieurs véhicules de transport collectif immatriculés au Luxembourg mais exclusivement utilisés et entretenus en France pour des clients français et remisés au domicile de M. D..., salarié depuis le 1er mars 2008 de la société, situé à la Courneuve (Seine-Saint-Denis). Cet employé avait en outre pour mission de procéder au recrutement de plusieurs salariés résidant en France en qualité de chauffeurs au cours des années d'imposition en litige. S'agissant de l'exercice de l'activité d'achat et de revente de cellules photovoltaïques, celle-ci était réalisée auprès de fournisseurs étrangers essentiellement chinois et les biens étaient livrés à Montlouis-sur-Loire. La société requérante revendait ces biens soit à la SARL Cristal Fountain, située au 6 bis, rue de Bondésir à Montlouis-sur-Loire, dont la gérante, Mme F..., est la conjointe de M. E..., soit à des professionnels exclusivement implantés en France. L'installation en était réalisée soit par des intervenants extérieurs exclusivement français, soit par les salariés de la SARL Cristal Fountain, cette dernière mettant à la disposition de la société requérante des salariés et du matériel ainsi qu'un local à usage de bureau et de stockage situé à Saint-Pierre-des-Corps. Ces constatations ne sont pas remises en cause par la société ETS.

16. En premier lieu, contrairement à ce que fait valoir la société ETS, le fait que l'administration fiscale ait prononcé un dégrèvement en ce qui concerne les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge dans le cadre du même contrôle est sans incidence sur le présent litige. L'administration fiscale fait d'ailleurs valoir que ce dégrèvement a été prononcé en raison d'une erreur de procédure, les bénéfices étant imposables à l'impôt sur le revenu au nom de M. E..., ce dernier étant gérant et unique associé de la société.

17. En deuxième lieu, l'autorité de chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives, qui s'impose aux juridictions administratives, s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. En l'espèce, il ressort du jugement du tribunal correctionnel de Tours du 10 octobre 2013 que M. E... était prévenu du chef de direction, gestion ou contrôle d'une entreprise commerciale, artisanale, d'une exploitation agricole ou d'une personne morale, malgré une interdiction judiciaire. Si le juge pénal, dans ce jugement, a estimé que l'infraction était insuffisamment caractérisée, ce jugement ne comporte aucune constatation matérielle de faits qui s'imposerait au juge administratif. Par suite, ce jugement est sans incidence dans le présent litige sur la caractérisation d'un établissement stable en France.

18. En troisième lieu, l'article 1er de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1058, alors en vigueur, n'inclut pas la taxe sur la valeur ajoutée dans le champ de la convention. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations ne peut utilement être invoqué.

19. En quatrième lieu, la société fait valoir qu'à compter de 2011, elle ne proposait que des locations de véhicules de longue durée et que ce type d'opérations n'est pas imposable à la taxe sur la valeur ajoutée en France. Toutefois, la société ne précise pas en vertu de quelles dispositions une telle opération serait exonérée de taxe sur la valeur ajoutée. Au demeurant, en application des dispositions combinées des articles 259 et 259 A du code général des impôts, ces opérations étaient bien imposables en France dès lors qu'elles ont été réalisées au profit de clients établis en France.

20. En cinquième lieu, la circonstance que, pour certaines ou la totalité des opérations, la taxe sur la valeur ajoutée aurait été acquittée par les clients dans le cadre du mécanisme de l'auto-liquidation est sans incidence sur le caractère exigible de la taxe sur la valeur ajoutée par la société ETS, dès lors que cette dernière était seule redevable de la taxe.

21. Dans ces conditions, et au regard de l'ensemble des constatations rappelées au point 15, l'administration fiscale a pu à bon droit considérer que la société ETS disposait en France d'un établissement stable. Pour les prestations de service réalisées avant le 1er janvier 2010, la caractérisation d'un établissement stable implique que, d'une part, le lieu de la prestation de service soit situé en France et, d'autre part, la société ETS soit redevable de la taxe sur la valeur ajoutée. En ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de service réalisées postérieurement au 1er janvier 2010, ces opérations étaient imposables en France, en application des dispositions des articles 258 et 259 du code général des impôts. La caractérisation d'un établissement stable en France a pour conséquence le fait que la société ETS était bien le redevable de la taxe, le mécanisme de l'auto-liquidation ne trouvant pas à s'appliquer dans ce cas de figure.

En ce qui concerne l'existence d'une activité occulte :

22. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " (...) L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable ou la personne morale mentionnée à la première phrase du présent alinéa n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite. ". L'article L. 176 du même livre prévoit que : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts. Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle la taxe est devenue exigible (...) lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite. ". Le 1 de l'article 1728 du code général des impôts dispose que : " Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte. ".

23. Il résulte de ces dispositions que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte tant du niveau d'imposition dans cet autre Etat que des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats.

24. En l'espèce, il est constant que la société n'a pas déposé ses déclarations de taxe sur la valeur ajoutée en France et n'a pas fait connaître son activité auprès d'un centre de formalité des entreprises ou d'un greffe d'un tribunal de commerce. Il appartient dès lors au contribuable d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives. Pour établir cette erreur, la société se borne à faire valoir qu'elle a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales au Luxembourg. Toutefois, elle se borne à produire un document précisant qu'elle disposait d'un numéro de taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire au Luxembourg ainsi qu'une attestation fiscale du 7 juillet 2015 qui ne précise ni le montant ni la nature des impositions. En outre, ainsi qu'il a été rappelé au point 15, la société réalisait l'ensemble de ses opérations en France et était dirigée uniquement depuis la France. La société ETS ne pouvait dès lors ignorer qu'elle était tenue de déclarer en France l'ensemble de ses opérations. Par suite, c'est à bon droit que le service a considéré que la société avait exercé une activité occulte, a appliqué la procédure d'imposition d'office, la prescription décennale ainsi que la majoration pour activité occulte.

25. Il résulte de tout ce qui précède que la société Europe Trading Services n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande pour ce qui concerne les impositions n'ayant pas fait l'objet d'un dégrèvement en cours d'instance. Par conséquent, le surplus des conclusions de sa requête, y compris ses conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu à statuer sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société Europe Trading Services au titre de l'année 2011 à concurrence des montants de 13 434 euros en droits et 12 572 euros en pénalités.

Article 2: Le surplus des conclusions de la requête de la société Europe Trading Services est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Europe Trading Services et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 27 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Geffray, président,

- M. A..., premier conseiller,

- Mme C..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2021.

Le rapporteur,

H. A...Le président,

J-E. Geffray

La greffière,

E. Haubois

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 19NT024982


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ere chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02498
Date de la décision : 10/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GEFFRAY
Rapporteur ?: M. Harold BRASNU
Rapporteur public ?: Mme CHOLLET
Avocat(s) : LEGRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-06-10;19nt02498 ?
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