Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Enedis à lui verser la somme globale de 41 950 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des désordres affectant sa maison, située 10, rue du Capitaine Lefort à Lorient, en raison des travaux d'enfouissement partiel du réseau basse tension, et d'enjoindre à Enedis de procéder à la réalisation des travaux propres à mettre fin aux désordres.
Par un jugement n° 1704896 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Rennes a condamné la société Enedis à verser à M. E... la somme de 3 500 euros et a rejeté les conclusions d'appel en garantie dirigées par Enedis à l'encontre de la société Sdel Atlantis.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 28 août 2019 et 14 septembre 2020, M. E..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 4 juillet 2019 du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 3 500 euros et a rejeté ses conclusions à fin d'injonction ;
2°) de condamner la société Enedis à lui verser la somme totale de 64 850 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la saisine du tribunal administratif de Rennes et de la capitalisation des intérêts ;
3°) d'enjoindre à la société Enedis de réaliser les travaux propres à mettre fin aux désordres qu'il subit, dans un délai de trois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, à titre subsidiaire, de la condamner à lui verser la somme de 6 578,40 euros ;
4°) de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens dont les frais d'huissier et les honoraires de l'expert judiciaire.
Il soutient que :
- la responsabilité sans faute de la société Enedis, maître d'ouvrage, est engagée en raison des désordres qu'il subit suite à la réalisation des travaux d'enfouissement partiel du réseau basse tension à proximité de son immeuble ;
- il n'a commis aucune faute contribuant aux dommages dès lors que l'expert judiciaire a conclu que l'origine de ces dommages résultait exclusivement des travaux réalisés par la société Sdel Atlantis, pour le compte de la société Enedis ;
- il est fondé à solliciter la somme actualisée de 59 850 euros au titre de son préjudice de jouissance, ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral.
- la cause de ses préjudices n'a pas pris fin, les travaux préconisés par l'expert judiciaire n'ayant pas été mis en oeuvre ;
- à titre subsidiaire, il est fondé à solliciter la somme de 6 578,40 euros, correspondant au montant des travaux préconisés par l'expert judiciaire.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 juillet 2020 la société Enedis, représentée par Me C..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du 4 juillet 2019 du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a mis à sa charge 50 % des préjudices subis par M. E... ;
3°) à ce que soit mise à la charge de ce dernier la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les travaux réalisés par la société Sdel Atlantis, sous sa maîtrise d'ouvrage, n'ont pas causé la totalité des dommages constatés dès lors que l'immeuble de M. E... présentait une certaine humidité générale antérieure aux travaux pour l'intégralité des murs ; elle est fondée à solliciter un partage de responsabilité laissant 80% des préjudices à la charge de M. E... ;
- la réalité des préjudices allégués par M. E... n'est pas établie ; l'intéressé n'occupe pas la maison et n'établit la réalité d'aucun projet de location ni l'existence d'un préjudice moral ;
- elle ne peut être condamnée à la réalisation de travaux préconisés par l'expert judiciaire dès lors que le trottoir de la rue du Capitaine Lefort appartient à la commune de Lorient.
Par un mémoire enregistré le 7 septembre 2020 la société Sdel Atlantis, représentée par Me D..., demande à la cour de rejeter toute demande qui serait formulée à son encontre et de mettre à la charge de M. E... ou de tout succombant la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Elle fait valoir que les travaux d'enfouissement du réseau basse tension ont été réceptionnés sans réserves par la société Enedis, de sorte que celle-ci n'est pas fondée à l'appeler en garantie.
Par un courrier du 8 mars 2021 les parties ont été informées de ce qu'en application de l'article L.611-7 du code de justice administrative la solution du litige était susceptible d'être fondée sur le moyen tiré de l'incompétence de la juridiction administrative.
Par un mémoire enregistré le 15 mars 2021 en réponse à la communication d'un moyen d'ordre public M. E... maintient ses conclusions et fait valoir que les dommages ne sont pas survenus dans le cadre de la fourniture d'électricité, de sorte que le litige relève de la compétence du juge administratif.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M.Gauthier, rapporteur public,
- les observations de Me F..., représentant M. E..., et de Me C..., représentant Enedis.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... E... est propriétaire d'une maison située 10, rue du Capitaine Lefort à Lorient. Au mois de mars 2014, la société Électricité Réseau Distribution de France, devenue Enedis, a fait effectuer par la société Sdel Atlantis des travaux d'enfouissement partiel du réseau basse tension dans cette rue. A la suite de ces travaux, et dès les premières précipitations qui ont suivi, M. E... a constaté des désordres affectant la cave côté mur nord de son immeuble. A sa demande, une expertise a été ordonnée le 20 novembre 2015 par le président du tribunal administratif de Rennes. Le rapport en a été remis le 11 mars 2016. M. E... a saisi le tribunal administratif de Rennes de conclusions indemnitaires dirigées contre la société Enedis et de conclusions afin qu'il soit enjoint à cette société de mettre fin aux désordres. Par un jugement du 4 juillet 2019, dont le requérant relève appel, le tribunal administratif de Rennes a condamné la société Enedis à lui verser la somme de 3 500 euros en réparation des préjudices et a rejeté les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte. Par la voie de l'appel incident, la société Enedis sollicite la réformation de ce jugement.
Sur la responsabilité :
2. La responsabilité du maître d'un ouvrage public peut être engagée, même sans faute, à l'égard des demandeurs tiers par rapport à cet ouvrage public, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable. La victime doit toutefois apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'elle allègue avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et ces préjudices, lesquels doivent en outre présenter un caractère anormal et spécial.
3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Rennes, que les désordres affectant la cave de l'immeuble de M. E... en son mur nord, lequel présente à sa base une infiltration au droit de la tranchée creusée par la société Sdel Atlantis et du branchement particulier desservant l'habitation, ont pour origine les modalités de comblement de la tranchée d'enfouissement des réseaux, qui a été remblayée avec des matériaux de carrière facilitant le drainage de l'eau, lequel a été accentué par la nature du sol en place, argileux et donc peu absorbant, de sorte que les flux d'eau résultant des précipitations ont eu pour conséquence d'augmenter la porosité du mur de l'immeuble du requérant.
4. Par ailleurs, si l'expert judiciaire a relevé que les maçonneries de l'immeuble présentaient une humidité générale, que les propriétaires successifs avaient effectué des travaux afin de canaliser et d'évacuer l'eau surgie de la cave, et que cette humidité, qui affecte l'ensemble des murs de l'habitation, résulte du type de bâti sans coupure de la capillarité horizontale et verticale, il a toutefois précisé que les infiltrations affectant spécifiquement le mur nord sont apparues concomitamment aux travaux d'enfouissement du réseau, de sorte que leur cause ne peut résulter que de la réalisation de ces travaux. Par suite, M. E... est fondé à soutenir que la responsabilité sans faute exclusive de la société Enedis est, pour ce qui concerne ces infiltrations, engagée à son égard du fait des travaux publics qui ont été effectués pour son compte.
Sur les préjudices :
5. Pour justifier que la somme accordée par le tribunal administratif au titre de son préjudice de jouissance soit portée à 59 850 euros, M. E... fait valoir qu'il ne peut ni habiter son immeuble, ni le rénover, ni le proposer à la location. Toutefois, il ne résulte de l'instruction ni que l'intéressé, qui habite un autre immeuble situé dans la même commune, aurait été, en raison des infiltrations qui n'affectent qu'un des murs de la cave, dans l'impossibilité d'occuper lui-même l'immeuble en litige ni que, s'agissant d'une perte potentielle de loyers, il aurait vainement proposé à la location l'immeuble, au demeurant inoccupé depuis 2007. Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la réalité du préjudice de jouissance n'est pas établie.
6. En revanche, il est constant que M. E... a depuis 2014 multiplié les démarches afin de remédier aux dommages qu'il subit. Ce préjudice moral doit être évalué à la somme de 2 500 euros, qui sera assortie des intérêts calculés à compter du 27 octobre 2017 et de la capitalisation des intérêts.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.
8. En l'espèce, M. E... demande qu'il soit enjoint à Enedis de procéder à la réalisation des travaux jugés nécessaires par l'expert judiciaire. Il résulte de l'instruction, en premier lieu, que les dommages à l'origine de la présente procédure n'ont pas pris fin, en deuxième lieu, qu'Enedis, par son abstention de procéder aux travaux préconisés, commet une faute à l'origine d'un dommage résultant de l'absence d'imperméabilité de l'ouvrage au niveau du branchement particulier du requérant et, enfin, qu'aucun motif d'intérêt général ni aucun droit de tiers ne s'oppose à ce que le juge ordonne leur réalisation. Il y a, par suite, lieu d'enjoindre à Enedis de réaliser les travaux de nature à mettre un terme au dommage subi par M. E... tels que précisés dans le point 9 page 7 du rapport d'expertise déposé le 11 mars 2016, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est fondé que dans la mesure définie au point 8 à demander la réformation du jugement attaqué. La société Enedis pour sa part est fondée à demander par la voie de l'appel incident que la somme à laquelle elle a été condamnée par ce même jugement soit ramenée à 2 500 euros.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge définitive de la société Enedis les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 304,45 euros par une ordonnance du 28 avril 2016 du président du tribunal administratif de Rennes.
11. Il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties les sommes qu'elle demande au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 3 500 euros que la société Enedis a été condamnée par le tribunal administratif de Rennes à verser à M. E... est ramenée à 2 500 euros, somme qui portera intérêts à compter du 27 octobre 2017 et intérêts capitalisés au 27 octobre 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Il est enjoint à la société Enedis, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt et sous réserve des travaux qui auraient été déjà effectués, de faire réaliser les travaux nécessaires à la résolution définitive des désordres subis par l'immeuble appartenant à M. E....
Article 3 : Le jugement n°1704896 du tribunal administratif de Rennes du 4 juillet 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et des conclusions présentées devant la cour par la société Enedis sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E..., à la société Enedis et à la société Sdel Atlantis.
Délibéré après l'audience du 8 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme B..., président de chambre,
- Mme Brisson, président assesseur,
- M. Berthon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2021.
Le président rapporteur
I. B...
Le président-assesseur
C. BrissonLe rapporteur,
H. BrasnuLe président,
F. BatailleLe greffier
A. Martin
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19NT03501