La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/03/2021 | FRANCE | N°19NT03941

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 26 mars 2021, 19NT03941


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la commune de Saint-Laurent-Nouan à leur verser la somme de 392 040,96 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'abattage par cette commune d'arbres leur appartenant.

Par un jugement n° 1704113 du 6 août 2019, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la commune de Saint-Laurent-Nouan à verser à M. et Mme D... la somme totale de 11 500 euros.

Procédure devant la c

our :

Par une requête enregistrée le 7 octobre 2019 M. et Mme D..., représentés par M...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la commune de Saint-Laurent-Nouan à leur verser la somme de 392 040,96 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'abattage par cette commune d'arbres leur appartenant.

Par un jugement n° 1704113 du 6 août 2019, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la commune de Saint-Laurent-Nouan à verser à M. et Mme D... la somme totale de 11 500 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 octobre 2019 M. et Mme D..., représentés par Me A..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 6 août 2019 en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à leur demande ;

2°) de condamner la commune de Saint-Laurent-Nouan, au besoin après avoir ordonné une expertise, à leur verser la somme de 301 885,82 euros, subsidiairement la somme de 245 894,96 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2017 et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Laurent-Nouan la somme de

3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en tant qu'il a retenu la responsabilité pour faute de la commune de Saint-Laurent-Nouan ;

- en revanche, l'indemnité qui leur a été accordée ne couvre pas l'intégralité de leur préjudice ; ils ont en effet droit à la somme de 156 946,86 euros au titre de la plantation d'arbres identiques à ceux qui ont été abattus, ou subsidiairement à la somme de 70 956 euros correspondant à la valeur de leurs arbres et au coût de plantation d'arbres de 5 à 6 mètres de hauteur ; à la somme de 34 176 euros au titre des frais d'entretien des nouveaux arbres par une entreprise spécialisée ; à la somme de 36 774 euros correspondant aux frais d'arrosage des nouveaux arbres ; à la somme de 16 794,80 euros au titre des frais de déplacement de leur mur de clôture ; à celles de 14 424,96 euros au titre de l'enlèvement des souches et de la réfection de leur allée, de 30 000 euros au titre de la perte de valeur de leur propriété, sauf à ce qu'il soit fait droit à leur demande de replantation à l'identique, de 20 000 euros au titre du préjudice de jouissance, de 20 000 euros au titre du préjudice moral, enfin de 2 769 euros au titre des frais divers ;

- c'est à tort que les premiers juges ont refusé de condamner la commune de Saint-Laurent-Nouan à leur verser une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 mars 2020 la commune de Saint-Laurent-Nouan, représentée par Me F..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a prononcé des condamnations à son encontre et au rejet de cette mesure de la demande présentée devant le tribunal administratif d'Orléans par M. et Mme D... ;

3°) à ce que soit mise à la charge de M. et Mme D... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a pas commis de faute en décidant par erreur d'abattre les peupliers appartenant aux requérants, qui représentaient d'ailleurs un risque pour le voisinage en raison de leur dépérissement ;

- M. et Mme D... n'ont subi aucun préjudice, dès lors que les arbres litigieux étaient en fin de vie et que leur abattage était inévitable ;

- l'expertise de l'Office nationale des forêts sur laquelle ils se fondent ne lui est pas opposable dès lors qu'elle n'est pas contradictoire ;

- les moyens soulevés par M. et Mme D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D... ont acquis en 2005 à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher) un terrain sur lequel ils ont fait construire une maison. Le long de la voie communale, à l'extérieur d'un mur de clôture mais sur une bande de terrain leur appartenant, était plantés dix peupliers d'Italie mesurant chacun une vingtaine de mètres de hauteur. Le 9 mai 2016, une entreprise agissant pour le compte de la commune a abattu et enlevé les dix arbres sans l'accord des propriétaires. Par une lettre du 13 mai 2016, le maire de la commune s'est excusé auprès de M. et Mme D... pour avoir abattus leurs arbres par erreur et leur a proposé de " replanter des arbres en lieu et place ". Mais, aucune solution amiable n'ayant été trouvée, M. et Mme D... ont saisi le tribunal administratif d'Orléans d'un recours indemnitaire. Par un jugement du 6 août 2019, ce tribunal a condamné la commune à leur verser 11 500 euros, dont 9 000 euros au titre du coût de plantation de nouveaux arbres. M. et Mme D... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de leurs conclusions indemnitaires, lesquelles s'élèvent devant la cour à 301 885,82 euros. La commune, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a prononcé des condamnations à son encontre.

Sur la responsabilité de la commune :

2. Il n'est pas contesté que les dix arbres en litige, alors même qu'ils étaient plantés en limite d'une voie publique, appartenaient à M. et Mme D.... Il résulte de l'instruction que c'est à la suite d'une erreur d'appréciation de la délimitation du domaine public que la commune, sur la demande d'un voisin, les a fait couper. Dans ces conditions, quel qu'ait été l'état sanitaire de ces arbres, en les faisant abattre sans le consentement de leurs propriétaires et sans avoir engagé aucune procédure lui permettant d'y déroger, la commune a commis une faute qui engage sa responsabilité.

Sur les préjudices :

3. Il résulte de l'instruction, en particulier d'un rapport établi en juin 2016 par l'office national des forêts (ONF) à la demande des requérants, qui peut être pris en compte dès lors que la commune a été mise à même de le critiquer tant en première instance qu'en appel, que la méthode dite " barème d'évaluation de la valeur d'un arbre " (BEVA), dont la pertinence n'est pas contestée, permet de calculer la valeur globale d'un arbre après lui avoir attribué une note pour chacun des critères suivants : " espèce et variété ", " valeur individuelle ", " situation " et circonférence ". Il y a lieu, en l'espèce, de privilégier cette forme d'indemnisation, qui est mieux à même d'assurer la réparation intégrale du préjudice des requérants que celle consistant en l'attribution d'une somme correspondant au coût de la plantation de nouveaux arbres en lieu et place de ceux dont ils ont été dépossédés.

4. L'expert de l'ONF a estimé à 5 013 euros la valeur de chacun des peupliers et a donc proposé une indemnisation des requérants à hauteur de 50 130 euros. Pour calculer ce montant, il a estimé, à partir de photographies des arbres sur pied prises en 2005 et 2013, que ceux-ci étaient " sains et vigoureux ", et leur a attribué la note de 8/8 au titre de la " valeur individuelle ". Pourtant, il résulte de l'instruction, en particulier du témoignage de l'entrepreneur qui a abattu les arbres, dont la valeur probante n'est pas infirmée par les autres pièces versées à l'instruction, notamment par les photographies des troncs coupés, que ces arbres étaient dépérissant, que " la moitié d'entre eux avaient une pourriture de coeur à la base " et qu'au moins l'un d'entre eux était creux. Il y a lieu de tenir compte de ces éléments d'information et de corriger en conséquence le calcul de l'expert de l'ONF en réduisant à 4/8 la note attribuée au titre de la " valeur individuelle " des arbres. Dans ces conditions, l'indemnité due à M. et Mme D..., doit être fixée à la somme de 25 065,60 euros (3,73 x 8 x 4 x 21), les autres notes attribuées par l'expert étant inchangées.

5. Dès lors que par le présent arrêt, pour les raisons exposées au point 3, est utilisée une méthode d'évaluation excluant le principe d'une réparation représentative du coût de plantation de nouveaux arbres en lieu et place des anciens, M. et Mme D... ne sont pas fondés à demander à être indemnisés, en sus de la somme définie au point 4, des frais découlant directement de cette plantation, à savoir le coût d'entretien et d'arrosage des nouveaux arbres et les frais liés au déplacement de leur mur de clôture rendu nécessaire, selon eux, par les travaux de replantation.

6. Il résulte de l'instruction que les souches des dix peupliers abattus sont restées en place, provoquant la pousse de rejets inesthétiques. M. et Mme D... sont donc fondés à demander à être indemnisés du coût d'arrachage et d'enlèvement de ces souches. Toutefois, le devis qu'ils produisent pour un montant de 14 424,96 euros ne saurait être retenu, dès lors qu'il ne précise pas ce coût et qu'il inclut des travaux sans lien avec le préjudice subi, comme la pose d'un enrobé, alors qu'il résulte de l'instruction que les arbres abattus étaient plantés sur une bande en herbe. Il y a lieu, en l'espèce, sur la base d'un diamètre des arbres abattus de 63 cm au moins, tel qui résulte du rapport de l'ONF, et d'un coût moyen de 300 euros pour l'enlèvement d'une souche d'un diamètre compris entre 40 et 80 cm, d'évaluer le préjudice de M. et Mme D... à 3 000 euros.

7. Les requérants ont droit à être indemnisés au titre de la dépréciation de leur propriété résultant de la perte de leurs arbres. Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en condamnant la commune de Saint-Laurent-Nouan à leur verser la somme de 1 000 euros. En revanche, ils ne peuvent être indemnisés de leur préjudice de jouissance, qui est déjà réparé par la somme allouée au point 4.

8. M. et Mme D... ont subi un préjudice moral tenant en particulier à l'atteinte illégale que la commune a porté à leur bien et aux démarches qu'ils ont dû entreprendre pour obtenir réparation, qui peut être évalué à 1 000 euros.

9. Enfin, M. et Mme D... ont exposé des sommes de 309,20 euros, 1 920 euros et 450 euros pour faire constater par huissier l'abattage de leurs arbres, faire expertiser leurs préjudices par l'ONF et mettre au jour les souches afin de confirmer leur implantation sur leur propriété. Ces dépenses ont été utiles à la solution du litige et doivent donc leur être remboursées par la commune.

10. Il résulte de ce qui précède que la somme de 11 500 euros que le tribunal administratif d'Orléans a condamné la commune de Saint-Laurent-Nouan à verser à M. et Mme D... doit être portée à 32 744,80 euros.

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de confirmer les premiers juges qui n'ont pas fait droit à la demande présentée par M. et Mme D... au titre de ces dispositions au motif que, par leurs prétentions indemnitaires déraisonnables, ils avaient fait obstacle à toutes les propositions de la commune de trouver une solution amiable au litige.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. et Mme D..., qui ne sont pas la partie perdante à l'instance, versent à la commune de Saint-Laurent-Nouan la somme qu'elle demande au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens. Il y a lieu, pour les raisons exposées au point précédent, de rejeter la demande présentée par M. et M. D... au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 11 500 euros que le tribunal administratif d'Orléans a condamné la commune de Saint-Laurent-Nouan à verser à M. et Mme D... est portée à 32 744,80 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1704113 du tribunal administratif d'Orléans du 6 août 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions incidentes présentées par la commune de Saint-Laurent-Nouan sont rejetés.

Article 4 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., à Mme B... D... et à la commune de Saint-Laurent-Nouan.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2021.

Le rapporteur

E. C...Le président

I. PerrotLe greffier

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT03941


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03941
Date de la décision : 26/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SELARL DEREC

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-26;19nt03941 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award