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26/03/2021 | FRANCE | N°19NT02166

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 26 mars 2021, 19NT02166


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement l'Etat, la société Réseau Ferré de France et la société Eiffage Rail Express à lui verser la somme de 1 487 710 euros en réparation des préjudices liés à la création de la ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne Pays-de-la-Loire.

Par un jugement n°1502965 du 9 avril 2019, le tribunal administratif de Nantes a condamné la société Eiffage Rail Express à lui verser la somme de 743 854 euros majorée des inté

rêts de droit à compter du 26 janvier 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement l'Etat, la société Réseau Ferré de France et la société Eiffage Rail Express à lui verser la somme de 1 487 710 euros en réparation des préjudices liés à la création de la ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne Pays-de-la-Loire.

Par un jugement n°1502965 du 9 avril 2019, le tribunal administratif de Nantes a condamné la société Eiffage Rail Express à lui verser la somme de 743 854 euros majorée des intérêts de droit à compter du 26 janvier 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 juin 2019 et 13 juillet 2020 la société Eiffage Rail Express, représentée en dernier lieu par Mes Berkani et Tabouis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 avril 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par M. F... ;

3°) de mettre à la charge de toute partie perdante les frais d'expertise et le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier faute de motivation suffisante ;

- sa responsabilité ne peut être engagée ; la responsabilité pour dommages permanents de travaux publics ne peut trouver à s'appliquer dans le cadre d'un contrat de partenariat ; elle n'a eu qu'une maîtrise d'ouvrage partielle d'exécution ; le contrat de partenariat ne prévoit pas qu'elle doit réparer les dommages permanents de travaux publics subis par des tiers ; la SNCF a joué un rôle déterminant dans la survenue du dommage ;

- le dommage anormal et spécial n'est pas établi ; la LGV n'a qu'un impact très limité sur la propriété de M. F... ; des mesures ont été prises pour éviter toute atteinte significative.

Par des mémoires enregistrés les 31 juillet 2019 et 4 août 2020 (non communiqué) SNCF Réseau, représentée par Me E..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel provoqué, à l'annulation du jugement et au rejet de la demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par M. F... ;

3°) à ce que soit mise à la charge de ERE ou de M. F... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par la société Eiffage Rail Express ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 28 août 2019 M. F..., représenté par

Me A..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident et provoqué à la réformation du jugement et à la condamnation solidaire de l'Etat, la SNCF Réseau et la société Eiffage Rail Express à lui payer la somme totale de 1 487 710 euros à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal ;

3°) à ce que soit mise à la charge solidaire de l'Etat, de la SNCF Réseau et de la société Eiffage Rail Express la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il subit un préjudice anormal et spécial ;

- la perte de valeur vénale du château peut être évaluée à 1 373 410 euros et celles des habitations locatives à 114 300 euros ;

- les moyens invoqués par la société Eiffage Rail Express ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 30 décembre 2019 le ministre de la transition écologique et solidaire conclut :

1°) au rejet de la requête de la société ERE ;

2°) par la voie de l'appel provoqué, à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Nantes en tant qu'elle tend à la condamnation de l'Etat à lui verser des dommages et intérêts.

Il soutient que :

- aucune irrégularité n'affecte le jugement ;

- aucun des moyens invoqués par la société Eiffage Rail Express n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 ;

- le décret n° 2011-917 du 1er août 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- les observations de Me D..., représentant la société Eiffage Rail Express et de Me E..., représentant SNCF Réseau.

Des notes en délibéré ont été présentées pour la société Eiffage Rail Express le

12 mars 2021 et pour SNCF Réseau le 17 mars 2021.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... est propriétaire à Coulans-sur-Gée (Sarthe) d'un château du XVIIIème siècle dont la façade et la toiture ont été inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, qui comprend également des dépendances, un parc de 48 ha, des bois et des prairies. Estimant avoir subi des préjudices du fait de l'implantation et de la mise en exploitation de la ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne-Pays de la Loire à proximité de sa propriété, il a saisi l'Etat, Réseau ferré de France, devenu SNCF Réseau, et la société Eiffage Rail Express (ERE) de demandes indemnitaires préalables en réparation de ces préjudices, lesquelles ont été implicitement rejetées. L'intéressé a alors demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement l'Etat, Réseau ferré de France et la société ERE à lui verser la somme de 1 487 710 euros en réparation de la perte de valeur vénale de son château. Par un jugement du 9 avril 2019, le tribunal a condamné la seule société Eiffage Rail Express à lui verser la somme de 743 854 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du

26 janvier 2015. La société ERE relève appel de ce jugement. SNCF Réseau et l'Etat, par la voie de l'appel provoqué, demandent à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. F.... Ce dernier, par la voie de l'appel incident, demande la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses conclusions.

Sur la détermination de la personne responsable :

2. Il résulte de l'instruction, en particulier des clauses du contrat de partenariat conclu le 14 avril 2011 que Réseau Ferré de France, devenu SNCF Réseau, a confié à la société Eiffage Rail Express, moyennant le versement d'un prix ferme, la conception, la construction, l'entretien, la maintenance, le renouvellement et le financement de la ligne à grande vitesse (article 2-1). En qualité de maître d'ouvrage des travaux (article 13-1), le titulaire était tenu de réaliser l'ensemble des opérations nécessaires à la réalisation de la ligne et assumait la responsabilité de tous les dommages résultant de l'exécution des travaux y concourant (article 11-1). En vertu de l'article 36-1, il assumait également la responsabilité des dommages causés aux tiers après l'achèvement des travaux en sa qualité de maître d'ouvrage des travaux d'entretien et de fonctionnement lui incombant pour la durée du contrat. Toutefois, il résulte également des stipulations de ce contrat qu'à partir de la mise en service de la ligne ferroviaire c'est Réseau Ferré de France puis SNCF Réseau qui assurait la gestion du trafic et de la circulation, et que la propriété de tous les biens meubles et immeubles issus de la construction de la ligne et nécessaires et utiles à son exploitation et à sa maintenance devait lui revenir, soit en cours d'exécution des travaux soit au plus tard au jour de leur achèvement (article 4-2).

De ces stipulations contractuelles combinées il résulte que c'est uniquement à SNCF Réseau, seul maître de l'ouvrage constitué par la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire dès la fin des travaux, qu'il incombe d'assumer la responsabilité des dommages résultant pour les tiers de la présence de l'ouvrage et de son exploitation, de tels dommages ne pouvant être regardés comme des dommage survenus à l'occasion de l'exécution, par la société Eiffage Rail Express ou sous sa responsabilité, des obligations qui lui incombent en vertu du contrat.

3. En l'espèce, les dommages dont M. F... demande réparation trouvent leur origine dans la présence et le fonctionnement de la ligne à grande vitesse à proximité de sa propriété. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que s'agissant des dommages résultant pour les tiers de la présence de l'ouvrage et de son exploitation, seule SNCF Réseau, maître de l'ouvrage, peut être déclarée responsable. M. F... n'est donc pas fondé à rechercher la responsabilité de la société ERE ni celle de l'Etat pour ces dommages. C'est, par suite, à tort que le tribunal administratif de Nantes a condamné la société Eiffage Rail Express à réparer les dommages permanents dont se prévalait l'intéressé.

4. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions indemnitaires de M. F... en tant qu'elles ont été dirigées contre SNCF Réseau.

Sur les préjudices dont la réparation incombe à SNCF Réseau :

5. Le château de Coulans comporte, outre des jardins, un parc offrant une vue sur la campagne environnante et s'insère dans un domaine d'une superficie de 250 ha de bois et prairies. L'emprise de la ligne à grande vitesse, d'une superficie de 5,5 ha, empiète sur le parc du château et a pour effet de lui faire perdre une partie de sa cohérence en portant atteinte au patrimoine historique et culturel s'attachant à ce château. Si, pour limiter les inconvénients liés à la présence de cette ligne, la réalisation d'aménagements à proximité du château a été prévue, en particulier la construction d'un merlon le long de la voie pour atténuer les nuisances phoniques liées à l'exploitation de la ligne ferroviaire ainsi que des plantations de végétaux, les nuisances sonores et visuelles, qui ont notamment pour effet de limiter la vue dont pouvait disposer le propriétaire, passant d'un horizon de 4,9 km à 450 m, et de couper les allées, ont entraîné une dégradation des conditions de jouissance de la propriété. Ces travaux ont entraîné par voie de conséquence une perte de valeur vénale de la propriété. Ces inconvénients, qui excèdent ceux que peuvent normalement être appelés à subir dans l'intérêt général les riverains d'un tel ouvrage, présentent un caractère anormal et spécial de nature à ouvrir droit à réparation.

6. L'expert désigné par le président du tribunal administratif a effectué une estimation de l'ensemble immobilier appartenant à M. F..., par comparaison avec des châteaux analogues localisés dans le grand Ouest. Au prix moyen au m2 ont été appliqués divers coefficients pour tenir compte des éléments susceptibles d'influer sur cette valeur en la majorant ou en la diminuant. Cette méthodologie n'est pas sérieusement remise en cause par les parties. En tenant compte à la fois des inconvénients liés à la présence de la ligne ferroviaire à

450 mètres de l'habitation et de la préexistence à environ 800 m d'un élevage de volailles également susceptible de nuisances, il y a lieu d'estimer à 25 % de l'estimation réalisée la perte de la valeur vénale, soit la somme de 743 854 euros au titre de la dépréciation du bien immobilier en litige. Cette somme sera mise à la charge de SNCF Réseau. Elle portera intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2015.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu en l'espèce de mettre les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 11 578,39 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif du 4 mars 2015 à la charge de SNCF Réseau.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne permettent pas d'en faire bénéficier la partie perdante ou tenue aux dépens. Par suite les conclusions présentées sur ce fondement par SNCF Réseau ne peuvent être accueillies. Dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 1 500 euros à verser à la société Eiffage Rail Express. Enfin il n'y a pas lieu d'accorder une somme à M. F... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n°1502965 du 9 avril 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La SNCF Réseau est condamnée à verser à M. F... la somme de 743 854 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 26 janvier 2015.

Article 3 : Les frais de l'expertise s'élevant à 11 578,39 euros sont mis à la charge de SNCF Réseau.

Article 4 : SNCF Réseau versera à la société Eiffage Rail Express la somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées devant la cour par l'Etat et par M. F... sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eiffage Rail Express, à M. C... F..., au ministre de la transition écologique et à la SNCF Réseau.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot président de chambre,

- Mme B..., président-assesseur,

- M. Berthon, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2021.

Le rapporteur

C. B...

Le président

I. Perrot

Le greffier

A Martin

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT02166


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02166
Date de la décision : 26/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET LATOURNERIE WOLFROM et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-26;19nt02166 ?
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