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23/03/2021 | FRANCE | N°19NT04562

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 23 mars 2021, 19NT04562


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif d' Orléans, d'une part, d'annuler l'arrêté du 15 avril 2019 par lequel la préfète d'Indre-et-Loire a décidé son expulsion du territoire français ainsi que, par voie de conséquence, le retrait de son titre de séjour, d'autre part, d'annuler la décision, notifiée le 29 avril 2019, par laquelle la préfète d'Indre-et-Loire a fixé le " Congo-Brazzaville " comme pays à destination duquel il sera expulsé, enfin de mettre à la charge de l'État une somme d

e 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif d' Orléans, d'une part, d'annuler l'arrêté du 15 avril 2019 par lequel la préfète d'Indre-et-Loire a décidé son expulsion du territoire français ainsi que, par voie de conséquence, le retrait de son titre de séjour, d'autre part, d'annuler la décision, notifiée le 29 avril 2019, par laquelle la préfète d'Indre-et-Loire a fixé le " Congo-Brazzaville " comme pays à destination duquel il sera expulsé, enfin de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1902092 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 26 novembre 2019 et 8 février 2021, M. E..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) de lui allouer le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 17 octobre 2019 ;

3°) d'annuler l'arrêté du 15 avril 2019 par lequel la préfète d'Indre-et-Loire a décidé son expulsion du territoire français ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 35 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté d'expulsion est insuffisamment motivé ;

- il méconnaît les dispositions des article L. 521-1 et L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il est père de 4 enfants, que sa fille C... est de nationalité française, qu'il contribue à l'entretien et à l'éducation de ces derniers et qu'il ne représente pas une menace pour la sécurité publique ;

- l'arrêté contesté méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'arrêté d'expulsion est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'arrêté d'expulsion porte atteinte à l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'à l'article 11 de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2020, la préfète d'Indre-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant congolais né le 28 février 1986 à Brazzaville, est entré en France le 26 juin 2001 à l'âge de quinze ans en bénéficiant de la procédure de regroupement familial et titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 18 janvier 2026, dont le retrait a été prononcé. La préfète d'Indre-et-Loire a pris le 15 avril 2019 à l'encontre de M. E..., qui était placé en détention provisoire depuis le 7 août 2018, et après avis favorable de la commission d'expulsion, un arrêté prononçant son expulsion du territoire français. Elle a, en outre, par une décision distincte, désigné le pays dont il possède la nationalité, à savoir le Congo-Brazzaville, comme pays de destination de cette mesure.

2. M. E... a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté et de cette décision. Il a demandé, en outre, l'annulation de la décision de retrait de son titre de séjour découlant, en application des dispositions du 5° de l'article R. 311-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du prononcé de la mesure d'expulsion. Par un jugement du 17 octobre 2019, cette juridiction a rejeté ses demandes. Il relève appel de ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 15 avril 2019 prononçant son expulsion.

Sur les conclusions tendant à l'admission à l'aide juridictionnelle :

3. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président... ". Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'admettre à titre provisoire M. E... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : (...) 1° L'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; (...) ".

5. M. E... soutient, en premier lieu, qu'il contribue à l'éducation et à l'entretien de ses quatre enfants mineurs français. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que seules Océane Menon, née le 1er août 2007, et C... Yédikissa Dhadie, née le 14 avril 2017, sont effectivement les filles du requérant, les deux autres enfants dont il fait état étant issus d'une précédente union de son actuelle compagne, ressortissante congolaise. D'autre part, seule Océane Menon possède la nationalité française, la mère de C... ayant, tout comme le requérant, la nationalité congolaise. S'il est constant que M. E... est bien père d'une enfant française, il lui appartient néanmoins de justifier participer à l'entretien et à l'éducation de cette enfant dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, c'est-à-dire, " protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité " et exercer son " droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation " et ce, depuis la naissance de l'enfant ou au moins depuis un an avant la date de l'arrêté d'expulsion. Or, M. E... ne démontre ni même n'allègue partager la vie de sa première fille, Océane Menon, née d'une union désormais terminée avec la mère de cette dernière, et ainsi contribuer effectivement à son entretien et son éducation. Il ne verse en particulier au dossier aucun élément de nature à établir, de quelque manière que ce soit, sa participation à l'éducation de cette fillette. Et s'il fait valoir qu'il donne de l'argent à la mère d'Océane, ces versements d'un montant de 230 à 240 euros mensuel établis pour les mois de juillet, août, octobre, novembre et décembre 2020 par les pièces versées en appel, sont très récents, ponctuels et tous postérieurs à l'arrêté contesté. Il en va de même de la synthèse établie le 18 janvier 2021 par la commission pluridisciplinaire unique de son établissement d'incarcération indiquant " qu'il est très investi dans son parcours d'exécution de la peine ". La lettre que produit la mère d'Océane Menon est à elle-seule insuffisante à démontrer qu'il assure effectivement l'entretien de cet enfant. Et si M. E... produit une attestation établie le 3 juin 2019 par son actuelle compagne et mère de sa fille, C..., soulignant son implication dans la vie familiale et l'importance de sa présence pour l'équilibre de leurs enfants, d'une part, ce témoignage n'apporte pas la preuve de la contribution effective du requérant à l'éducation de C..., alors surtout que depuis la naissance de celle-ci, il a été, à deux reprises, condamné à des peines d'emprisonnement. D'autre part, et surtout, la jeune C... n'est pas, ainsi qu'il a été dit précédemment, de nationalité française. Le relevé des appels téléphoniques passés à la mère de sa fille, versé aux débats en appel, postérieurs à l'arrêté contesté, demeure sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Il s'ensuit que M. E... ne justifiant pas entrer dans le champ d'application de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'est pas fondé à soutenir que son expulsion ne pouvait légalement être prononcée sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du même code. Le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut, dès lors, qu'être écarté.

6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. E... a fait l'objet de vingt condamnations devant le tribunal correctionnel entre 2004 et 2018 qui ont donné lieu à 153 mois d'incarcération cumulés, soit près de 13 années, notamment pour violences avec usage ou menace d'une arme, outrage, circulation avec un véhicule sans assurance, sans permis, vols avec violences, contrefaçon, dégradation de bien, enlèvement, séquestration, transport prohibé et détention d'arme de catégorie 4 et 6, évasion d'un détenu, rébellion et conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique et, qu'il était placé, depuis le 7 août 2018, en détention provisoire pour tentative de meurtre avec port prohibé d'arme. Ainsi, la préfète d'Indre-et-Loire, en estimant que M. E... représente une menace grave pour l'ordre public, eu égard à la nature et à la répétition des infractions commises, n'a pas commis d'erreur d'appréciation.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Pour les mêmes motifs que ceux développés aux points 5 et 6, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris ainsi qu'à l'intérêt supérieur de ses enfants. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

9. Pour le surplus, M. E... se borne à reprendre devant le juge d'appel, sans plus de précisions ou de justifications, les mêmes moyens que ceux développés en première instance. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par les premiers juges et tirés de ce que l'arrêté d'expulsion est suffisamment motivé, que le moyen tiré de la méconnaissance du principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen est inopérant à l'encontre de cet arrêté et que M. E... ne peut pas plus utilement se prévaloir des dispositions de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, ce document ne figurant pas au nombre des textes diplomatiques ratifiés dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 avril 2019 prononçant son expulsion. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : M. E... est admis à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La requête de M. E... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera adressée pour information à la préfète d'Indre et Loire.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. A..., président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 23 mars 2021.

Le rapporteur,

O.A...Le président,

O. GASPON

La greffière,

P. CHAVEROUX

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19NT04562 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04562
Date de la décision : 23/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : NOGUERAS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-23;19nt04562 ?
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