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12/03/2021 | FRANCE | N°19NT02624

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 12 mars 2021, 19NT02624


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement l'association foncière de remembrement de Villerbon et l'Etat à lui verser la somme de 847 005 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'absence de réalisation des travaux connexes d'irrigation décidés par la commission nationale d'aménagement foncier le 23 novembre 2001 et d'enjoindre à l'association foncière de remembrement de Villerbon et au préfet de Loir-et-Cher de réaliser ces tra

vaux.

Par un jugement n° 1801488 du 25 avril 2019, le tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement l'association foncière de remembrement de Villerbon et l'Etat à lui verser la somme de 847 005 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'absence de réalisation des travaux connexes d'irrigation décidés par la commission nationale d'aménagement foncier le 23 novembre 2001 et d'enjoindre à l'association foncière de remembrement de Villerbon et au préfet de Loir-et-Cher de réaliser ces travaux.

Par un jugement n° 1801488 du 25 avril 2019, le tribunal administratif d'Orléans a condamné l'association foncière de remembrement de Villerbon à verser 5 000 euros à

M. D... au titre de son préjudice moral et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 juillet 2019 M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 25 avril 2019 en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à ses demandes dirigées contre l'association foncière de remembrement de Villerbon ;

2°) de condamner, au besoin après avoir ordonné une expertise, l'association foncière de remembrement de Villerbon à lui verser la somme totale de 729 290 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) d'enjoindre à l'association foncière de remembrement de Villerbon de réaliser les travaux connexes d'irrigations décidés par la commission nationale d'aménagement foncier dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'association foncière de remembrement de Villerbon en raison de l'inexécution des travaux d'irrigation ordonnés par la commission nationale d'aménagement foncier ;

- en revanche, c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il ne justifiait pas de la réalité de son préjudice économique, qui résulte de la diminution de ses ventes après la prise de possession de ses nouvelles parcelles et s'élève à la somme de 689 040 euros ;

- la réparation à laquelle il a droit au titre du préjudice moral qu'il subit depuis

vingt-huit ans doit être portée à la somme de 25 000 euros ;

- l'attitude fautive de l'association foncière de remembrement de Villerbon est à l'origine de la dégradation de son état de santé ; il a donc également droit à la réparation de ce préjudice à hauteur de 15 250 euros ;

- c'est à tort que le tribunal administratif d'Orléans a rejeté comme irrecevables ses conclusions à fin d'injonction.

Par un mémoire enregistré le 11 décembre 2020 le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.

Il soutient que M. D..., dès lors qu'il ne recherche plus la responsabilité de l'Etat, n'est pas fondé à demander que soit mise à sa charge une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La requête a été communiquée à l'association foncière de remembrement de Villerbon qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du remembrement de la commune de Villerbon, ordonné par un arrêté du 24 juillet 1990 du préfet de Loir-et-Cher, la commission nationale d'aménagement foncier, par une décision du 23 novembre 2001, a prescrit l'exécution de travaux connexes sur des parcelles attribuées au GFA de la Pierre Percée et mises en valeur par M. D.... Ces travaux n'ayant pas été exécutés, M. D... a adressé le 29 décembre 2016 des demandes indemnitaires à l'Etat (préfet de Loir-et-Cher) et à l'association foncière de remembrement de Villerbon. Après le rejet de ses demandes, M. D... a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'un recours tendant à la condamnation de l'association foncière et de l'Etat à réparer ses préjudices et à ce qu'il soit enjoint aux mêmes de réaliser les travaux d'irrigation ordonnés par la commission nationale d'aménagement foncier. Par un jugement du 25 avril 2019, le tribunal a écarté comme tardives les conclusions indemnitaires dirigées contre l'Etat, a retenu la responsabilité de l'association foncière du fait de l'inexécution des travaux d'irrigation, a condamné cette association à verser 5 000 euros à M. D... au titre de son préjudice moral et a rejeté le surplus de la demande. M. D... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à ses conclusions dirigées contre l'association foncière de remembrement de Villerbon.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d'un préjudice imputable à un comportement fautif d'une personne publique et qu'il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et notamment lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. Par conséquent, le tribunal administratif d'Orléans, en rejetant comme irrecevables les conclusions de M. D... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'association foncière de Villerbon de réaliser les travaux d'irrigation mis à sa charge par la commission nationale d'aménagement foncier a méconnu son office et entaché son jugement d'irrégularité. Celui-ci doit donc être annulé dans cette mesure.

3. Il y a lieu pour la cour de se prononcer sur ces conclusions par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par

M. D... devant la cour.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité :

4. Aux termes de l'article L. 123-8 du code rural et de la pêche maritime, les commissions d'aménagement foncier ont qualité pour décider, à l'occasion des opérations de remembrement et dans leur périmètre : " (...) 3° Tous travaux d'amélioration foncière connexes au remembrement, tels que ceux qui sont nécessaires à la sauvegarde des équilibres naturels ou qui ont pour objet, notamment, la protection des sols, l'écoulement des eaux nuisibles, la retenue et la distribution des eaux utiles (...) ". Selon l'article L. 123-9 du même code : " Dès que la commission communale s'est prononcée en application de l'article L. 123-8, il est constitué entre les propriétaires des parcelles à aménager une association foncière, dans les conditions prévues aux articles L. 133-1 à L. 133-6. Cette association a pour objet la réalisation, l'entretien et la gestion des travaux et ouvrages mentionnés aux articles L. 123-8 et L. 133-3. ". En application de ces dispositions, les travaux connexes mis à la charge d'une association foncière par une commission d'aménagement foncier doivent être exécutés dans un délai raisonnable.

5. Il est constant que les travaux connexes d'irrigation des parcelles ZO 22, ZO 23, ZO 24 et J, consistant en la fourniture et l'enfouissement d'une canalisation de 1 250 mètres de long, ordonnés par la commission nationale d'aménagement foncier le 23 novembre 2001, n'ont pas été réalisés par l'association foncière de remembrement de Villerbon en dépit de plusieurs demandes en ce sens de M. D..., l'exploitant des parcelles concernées. La responsabilité de cette association foncière est donc engagée à l'égard de ce dernier à compter de la date d'expiration du délai raisonnable dont elle disposait pour exécuter ces travaux, qui doit en l'espèce être fixée au 1er janvier 2003.

En ce qui concerne les préjudices :

6. Il résulte de l'instruction que la carence pendant dix-sept ans de l'association foncière de remembrement de Villerbon à réaliser les travaux connexes d'irrigation qui lui ont été prescrits a causé à M. D... un important préjudice moral qui peut être évalué à 10 000 euros.

7. En revanche, M. D... ne produit aucun élément de nature à établir que les problèmes de santé dont il souffre sont en lien direct et certain avec la faute commise par l'association foncière de remembrement de Villerbon. Il n'est donc pas fondé à demander une indemnité à ce titre.

8. Il résulte enfin de l'instruction que la productivité de l'exploitation agricole de

M. D... a fortement diminué après les opérations de remembrement en raison de la carence de l'association foncière de remembrement de Villerbon à exécuter les travaux d'irrigation des parcelles ZO 22, ZO 23, ZO 24 et J. Toutefois, et alors que seule la perte de bénéfice net en lien direct avec la baisse de productivité des parcelles concernées peut être indemnisée, M. D..., en se bornant à faire état de la diminution moyenne de sa marge brute entre 1992 et 1996 pour l'ensemble de son exploitation et en extrapolant cette donnée aux années 2006 à 2017, M. D..., ne met pas à la cour en mesure de déterminer le montant réel du préjudice économique qu'il a subi. Il y a donc lieu d'ordonner une expertise afin de permettre l'évaluation de ce préjudice.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Ainsi qu'il a déjà été dit, le comportement fautif de l'association foncière de remembrement de Villerbon perdure à la date du présent arrêt. Il résulte en outre de l'instruction que M. D... exploite toujours les parcelles concernées par les travaux litigieux et que son préjudice n'a donc pas cessé. Dans ces conditions, il y a lieu d'enjoindre à l'association foncière de remembrement de Villerbon ou à toute personne qui s'y sera substituée d'exécuter ces travaux dans un délai de douze mois à compter de la date de mise à disposition du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, la cour ayant été informée que des démarches ont été récemment engagées par le liquidateur de l'association foncière de Villerbon en vue de réaliser ces travaux, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par M. D....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1801488 du tribunal administratif d'Orléans du 25 avril 2019 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'injonction présentées par M. D....

Article 2 : La somme de 5 000 euros que le tribunal administratif d'Orléans a condamné l'association foncière de remembrement de Villerbon à verser à M. D... est portée à 10 000 euros.

Article 3 : Le jugement n° 1801488 du 25 avril 2019 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.

Article 4 : Il est enjoint à l'association foncière de remembrement de Villerbon de faire réaliser les travaux connexes d'irrigation ordonnés par la commission nationale d'aménagement foncier le 23 novembre 2001 dans un délai de douze mois à compter de la date de mise à disposition du présent arrêt.

Article 5 : Il est ordonné, avant de statuer sur le surplus des conclusions indemnitaires de la requête, une expertise, confiée à un expert agricole, qui aura pour mission d'évaluer le préjudice économique (perte de bénéfice net) subi par M. D... depuis le 1er janvier 2003 en raison de la non-exécution des travaux connexes d'irrigation des parcelles ZO 22, ZO 23, ZO 24 et J.

Article 6 : L'expertise sera menée contradictoirement entre M. D... et l'association foncière de remembrement de Villerbon.

Article 7 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.

Article 8 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à l'association foncière de remembrement de Villerbon.

Délibéré après l'audience du 18 février 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. C..., premier conseiller,

- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2021.

Le rapporteur

E. C...Le président

C. Brisson

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT02624


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02624
Date de la décision : 12/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SCP DROUOT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-12;19nt02624 ?
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