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15/01/2021 | FRANCE | N°18NT03943

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 15 janvier 2021, 18NT03943


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes à réparer les conséquences dommageables découlant du traitement qui lui a été administré dans cet établissement.

Par un jugement n° 1506059 du 6 septembre 2018 le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 novembre 2018 et 27 mars 2020 Mme E..., représentée par Me B...,

demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 septembre 2018 ;

2°) de condamner le centre ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes à réparer les conséquences dommageables découlant du traitement qui lui a été administré dans cet établissement.

Par un jugement n° 1506059 du 6 septembre 2018 le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 novembre 2018 et 27 mars 2020 Mme E..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 septembre 2018 ;

2°) de condamner le centre hospitalier Guillaume Régnier, après avoir ordonné une expertise médicale relative à l'évaluation de ses préjudices, à réparer les conséquences dommageables de l'accident médical dont elle a été victime ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier le versement d'une provision de 7 542,25 euros à valoir sur la réparation de son préjudice ou à titre subsidiaire de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 10 542,50 € en réparation de son préjudice ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier Guillaume Régnier la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier Guillaume Régnier doit être engagée, sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, à raison d'un défaut de surveillance, d'un retard dans le choix d'une thérapie adaptée à son état de santé et, sur le fondement de l'article L. 1111-2 du même code, à raison d'un défaut d'information entre 2006 et 2013 ;

- une nouvelle expertise médicale doit être ordonnée pour évaluer ses préjudices ; à défaut, une indemnité de 10 542,40 € doit lui être versée en réparation de ces préjudices.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 janvier 2020 le centre hospitalier Guillaume Régnier, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par Mme E... n'est fondé.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 juin 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., née en 1959, est suivie depuis 1977 au centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes, pour de graves troubles bipolaires ayant rendu nécessaires de nombreuses hospitalisations jusqu'en septembre 1991. A compter du mois de février 1986 lui a été administré un traitement par sels de lithium (Teralithe) correspondant à un modérateur de l'humeur. Ce traitement, associé à d'autres médicaments, a permis de stabiliser la pathologie de l'intéressée, qui n'a subi que très peu d'hospitalisations depuis le début des années 1990. Des douleurs rénales étant apparues en octobre 2009, le traitement a été interrompu pendant quelques jours puis arrêté définitivement en octobre 2013 à la demande de l'intéressée. Le

5 août 2014, la stabilité de la fonction rénale de cette dernière était constatée.

Mme E..., qui présente désormais une insuffisance rénale chronique modérée et craint une décompensation dysthimique, recherche la responsabilité du centre hospitalier Guillaume Régnier à raison des fautes qu'il aurait commises dans les soins administrés. Par un jugement du 6 septembre 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Mme E... relève appel de ce jugement.

Sur la responsabilité du centre hospitalier Guillaume Régnier :

En ce qui concerne le suivi du traitement :

2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que, si certains effets secondaires liés à l'usage du lithium étaient connus depuis la fin des années 1980, ce n'est qu'à partir de 2007 que la commission de la transparence du médicament a mentionné, pour la 1ère fois, au titre des résumés des caractéristiques du produit, le risque d'insuffisance rénale lié à l'utilisation de ce médicament, imposant une surveillance stricte et régulière de la lithémie et de la créatinine plasmatique. A partir de 2008, il a en outre été conseillé, avant toute prescription, de procéder à une concertation entre psychiatre et néphrologue afin d'évaluer le rapport bénéfice-risque.

4. En l'espèce, le traitement entrepris à compter de février 1986 consistait à administrer à Mme E... du lithium, médicament de la classe des thymorégulateurs, dont le principal effet recherché est la prévention du risque suicidaire chez des patients présentant des troubles bipolaires. Il résulte des termes du rapport d'expertise judiciaire que ce traitement, conforme aux recommandations médicales de l'époque, a été administré après consultation d'un endocrinologue, règlement d'un problème thyroïdien et contrôle de la fonction rénale et a été accompagné de la mise en place d'une surveillance régulière de la lithémie. Des dosages mensuels ont été effectués en 1986, puis des mesures ont été réalisées à 30 reprises entre 1987 et 1989, puis tous les trimestres à compter de 1990. En outre, le dosage sanguin de la créatinine permettant le contrôle de la fonction rénale a été réalisé à 25 reprises entre 1986 et 2006.

5. Par ailleurs, si Mme E... a connu un épisode de douleur rénale en 2009, il lui a été demandé de consulter un médecin néphrologue. Dans le cadre du suivi, y compris biologique, qu'a continué à assurer le médecin psychiatre qui la suivait, la patiente a été vue en août 2013 par un médecin néphrologue qui, après avoir constaté une insuffisance rénale évoluant pour son propre compte, a estimé préférable que la patiente, en prenant des mesures symptomatiques, puisse poursuivre son traitement par Téralithe afin de conserver un état thymique stable et une vie sociale normale. Si l'expert judiciaire a indiqué à cet égard que le diagnostic de l'insuffisance rénale modérée aurait pu être posé dès 2010 si la méthode liée à la mesure du débit de filtration glomérulaire avait été utilisée, il précise que la méthode de Cockcroft et Gault, employée depuis 1976, et qui a conduit à constater en 2013 l'insuffisance rénale, était toujours largement mise en oeuvre par les professionnels et que les recommandations médicales de l'époque préconisaient de surveiller l'évolution de la clairance de la créatine par cette formule afin de pouvoir, le cas échéant, adapter le traitement administré à la patiente. Lorsque l'insuffisance rénale chronique a été en l'espèce diagnostiquée, elle n'entrait pas dans le champ des contre-indications des résumés des caractéristiques des produits (RCP) qui étaient administrés à l'intéressée. Mme E... a été adressée par le centre hospitalier en consultation néphrologique lorsque le taux de clairance de la créatinine a atteint 60 ml/mn alors que les recommandations d'utilisation des produits ne prévoyaient une telle consultation que lorsque ce taux était descendu à 40 ml/mn. Ainsi le traitement a été interrompu avant même que le degré d'insuffisance rénale n'atteigne le stade imposant l'arrêt du traitement. De plus, l'hypertension artérielle, mal équilibrée, que présentait Mme E... imposait de mettre en place un traitement lui-même susceptible d'emporter des effets sur sa fonction rénale.

6. Il résulte de ce qui précède, alors même qu'un médecin radiologue sollicité par la requérante a, dans une note du 21 janvier 2017, estimé que la responsabilité du centre hospitalier était susceptible d'être engagée eu égard à l'administration au long cours de lithium, que les manquements du centre hospitalier dans le choix et le suivi du traitement invoqués par Mme E... ne sont pas établis.

En ce qui concerne le défaut d'information :

7. En application de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. L'obligation d'information incombant au médecin ne peut porter que sur des risques suffisamment documentés par la littérature médicale.

8. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que ce n'est qu'en 2006 que les recommandations d'utilisation du Teralithe ont contre-indiqué son emploi en cas d'insuffisance rénale et d'impossibilité d'exercer une surveillance très stricte de la lithémie et de la créatinine.

9. Dans ces conditions, alors qu'elle suivait le traitement en cause depuis 1986, qu'elle avait été l'objet depuis cette date et jusqu'en 2013 de contrôles biologiques réguliers en matière sanguine et rénale et qu'elle savait que l'arrêt du lithium administré au long cours et sa substitution par un autre traitement représentaient également un risque pour sa santé et ne pouvaient être envisagés que si la pathologie psychiatrique était bien contrôlée,

Mme E... n'est pas fondée à soutenir qu'un défaut d'information sur les risques liés à l'usage du lithium concernant la période courant de 2006 à 2009, à le supposer établi, aurait entraîné une perte de chance de se soustraire au risque de complication rénale et serait, par suite, susceptible d'engager la responsabilité de l'établissement hospitalier.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale, que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier Guillaume Régnier qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par Mme E... ne peuvent dès lors être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., au centre hospitalier Guillaume Régnier et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme A..., président,

- M. Berthon, premier conseiller,

- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 janvier 2021.

Le président-rapporteur

C. A...

L'assesseur le plus ancien

E. BerthonLe greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT03943


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03943
Date de la décision : 15/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : BG ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-01-15;18nt03943 ?
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