La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/12/2020 | FRANCE | N°19NT02151

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 18 décembre 2020, 19NT02151


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision implicite par laquelle la société Enedis a refusé de déplacer la ligne électrique implantée sur leur propriété, d'enjoindre à cette société de déplacer cette ligne et de la condamner à réparer les préjudices résultant pour eux de cet ouvrage.

Par un jugement n° 1700222 du 2 avril 2019, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la société Enedis à verser à M. et Mme A... une indemnit

de 3 500 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision implicite par laquelle la société Enedis a refusé de déplacer la ligne électrique implantée sur leur propriété, d'enjoindre à cette société de déplacer cette ligne et de la condamner à réparer les préjudices résultant pour eux de cet ouvrage.

Par un jugement n° 1700222 du 2 avril 2019, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la société Enedis à verser à M. et Mme A... une indemnité de 3 500 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 juin et 15 juillet 2019 et le

2 septembre 2020 M. et Mme A..., représentés par Me Théobald, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 2 avril 2019 en tant qu'il n'a pas fait droit à leur demande ;

2°) à titre principal, d'enjoindre à la société Enedis de déplacer la ligne électrique litigieuse ; à titre subsidiaire, de déplacer le poteau électrique implanté à proximité immédiate de leur grange ;

3°) de condamner la société Enedis à leur verser la somme totale de 7 012 euros en réparation de leurs préjudices ;

4°) de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors qu'il a méconnu les dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative et n'est pas suffisamment motivé ;

- il est entaché d'une omission à statuer sur les conclusions subsidiaires tendant au déplacement de la ligne électrique et sur une partie des conclusions indemnitaires ;

- la ligne électrique a été irrégulièrement implantée, la société Enedis ne peut se prévaloir d'une convention signée par une simple usufruitière ; en outre, en implantant une ligne électrique à proximité immédiate de leur grange, elle a méconnu les dispositions de l'article L. 323-6 du code de l'énergie.

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le coût du déplacement de la ligne électrique était supérieur à l'évaluation des inconvénients résultants de la présence de cette ligne sur leur propriété ;

- ils sont fondés, à tout le moins, à demander le déplacement du poteau implanté à proximité immédiate de leur grange, de manière à leur permettre de mener les travaux de rénovation de ce bâtiment pour lesquels ils ont obtenu une autorisation le 10 août 2012 ;

- ils ont droit à la réparation intégrale des préjudices résultants pour eux des travaux d'élagage commandés par la société Enedis afin d'entretenir l'ouvrage public litigieux, notamment au titre du remplacement d'arbres inutilement abattus.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 juillet 2020 la société Enedis, représentée par Me Piquemal, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge des requérants la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est tardive ;

- les moyens soulevés par M. et Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'énergie ;

- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;

- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Berthon,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me Théobald, représentant les époux A....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A... sont propriétaire depuis mars 2012 d'une parcelle supportant une maison d'habitation et une grange en ruine formant un ensemble dénommé " Le Moulin de Sarré ", à Sancergues (Cher). Cette propriété est surplombée par une ligne électrique à moyenne tension, implantée en vertu d'une convention de passage signée le 19 janvier 1981. Par une lettre du 16 septembre 2016, M. et Mme A..., estimant que cet ouvrage public avait été construit irrégulièrement, ont demandé à la société Enedis de le déplacer hors de leur propriété ou, à tout le moins, de déplacer le poteau électrique implanté à proximité immédiate de leur grange, qu'ils souhaitent pouvoir rénover, et de réparer leurs préjudices. La société Enedis n'a pas répondu à cette demande. M. et Mme A... ont alors saisi le tribunal administratif d'Orléans qui, par un jugement du 2 avril 2019, après avoir constaté l'irrégularité de l'implantation de la ligne électrique, a indemnisé les requérants à hauteur de 3 500 euros et a rejeté le surplus de leur demande. M. et Mme A... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à leur demande.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Le jugement attaqué a été notifié le 5 avril 2019 à M. et Mme A.... Leur requête à fin d'annulation de ce jugement, enregistrée le 6 juin 2019, n'est donc pas tardive.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Le jugement attaqué est suffisamment motivé et doit être regardé, dès lors qu'il évoque à son point 8 les inconvénients résultant de la " dépose " de la ligne, de son " contournement " ou de son " enterrement ", comme ayant écarté l'ensemble des conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal et à titre subsidiaire par M. et Mme A... en première instance. En revanche, le tribunal a omis de statuer sur la demande de

M. et Mme A... tendant à ce qu'ils soient indemnisés du préjudice résultant selon eux du coût de remplacement d'arbres inutilement abattus lors des travaux exécutés pour l'entretien de la ligne électrique litigieuse. Il y a donc lieu d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas statué sur ces conclusions indemnitaires.

4. Il y a lieu pour la cour de se prononcer sur ces conclusions par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions de la requête.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

En ce qui concerne les conclusions principales :

5. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonné la démolition ou le déplacement d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition ou le déplacement à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition ou le déplacement n'entraînent pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

6. En vertu des dispositions de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, aujourd'hui codifiée à l'article L. 323-4 du code de l'énergie et de l'article 1er du décret du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de cette loi, la déclaration d'utilité publique d'une distribution d'énergie confère au concessionnaire le droit de faire passer des lignes électriques au-dessus des propriétés privées, sous réserve notamment que la présence de ces ouvrages à proximité des bâtiments ne soit pas de nature à présenter, malgré les précautions prises, des dangers graves pour les personnes ou les bâtiments. Une telle servitude peut être établie soit à l'issue d'une enquête publique, soit par convention passée entre le distributeur d'énergie et le propriétaire du terrain d'implantation.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la convention du 19 janvier 1981 qui a permis à EDF, aux droits de laquelle est venue la société Enedis, de faire passer la ligne électrique litigieuse au-dessus de la propriété des requérants, a été signée par une personne qui, en sa qualité d'usufruitière de cette propriété, ne pouvait concéder une servitude de passage. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, tiré de la violation des dispositions de l'article L. 323-6 du code de l'énergie, cet ouvrage public doit être regardé comme ayant été irrégulièrement implanté.

8. En deuxième lieu, il est constant que M. et Mme A... ont refusé de signer la nouvelle convention que la société Enedis leur a soumise afin de régulariser la situation de l'ouvrage public et il ne résulte pas de l'instruction que cette société aurait envisagé de régulariser cet ouvrage par une déclaration d'utilité publique. Dès lors, au regard de la nature de l'irrégularité constatée, il y a lieu de considérer qu'aucune régularisation appropriée n'est possible.

9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la présence d'une ligne électrique à moyenne tension, pour partie implantée en surplomb de la grange en ruine appartenant à

M. et Mme A..., est à l'origine d'un préjudice visuel, d'une gêne liée à son entretien, notamment à l'obligation de faire passer des engins lourds sur la propriété, et rend plus difficile la réalisation en toute sécurité du projet immobilier pour lequel les intéressés ont obtenu un permis de construire le 10 août 2012. Toutefois, il résulte également de l'instruction que la ligne litigieuse est une ligne principale qui alimente 1 201 points de livraisons, un poste de transformation basse tension desservant lui-même sept usagers et un éclairage public, qu'elle permet de secourir des lignes de mêmes caractéristiques interconnectées et que le coût de son déplacement en dehors de la propriété des requérants s'élèverait à 56 000 euros dans le cas où l'architecture aérienne serait conservée ou à 316 200 euros si elle devait être enfouie. Dans ces conditions, le déplacement de la ligne électrique litigieuse entraînerait une atteinte excessive à l'intérêt général et les conclusions à fin d'injonction en ce sens ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions subsidiaires :

10. Il résulte de l'instruction que la solution consistant à déplacer le poteau implanté à proximité immédiate de la grange en retrait de celle-ci, sur la parcelle des requérants ou sur la parcelle limitrophe, ne saurait avoir un coût supérieur à la somme de 56 000 euros, évaluée par la société Enedis pour le déplacement de l'intégralité de la ligne électrique. Par ailleurs, la société Enedis n'allègue ni que cette solution serait techniquement irréalisable, ni qu'elle risquerait d'entraîner une interruption du service public. Le déplacement de ce poteau dans les conditions rappelées ci-dessus doit donc être regardé comme ne présentant pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

11. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'il y a lieu d'enjoindre à la société Enedis de déplacer le poteau électrique implanté à moins d'un mètre de la grange appartenant à M. et Mme A..., de manière à leur permettre de rénover ce bâtiment dans des conditions acceptables de sécurité. Toutefois, cette injonction ne pourra être exécutée qu'à la condition que M. et Mme A... ou le propriétaire de la parcelle limitrophe acceptent de signer avec la société Enedis une convention instaurant au bénéfice de celle-ci une servitude de passage prévoyant notamment l'endroit où sera réimplanté le poteau électrique litigieux. Sous cette réserve, il est enjoint à la société Enedis de déplacer ce poteau dans un délai de neuf mois à compter de la notification du présent arrêt.

12. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A... sont fondés à soutenir, dans la mesure énoncée au point 11, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté les conclusions aux fins d'injonction de leur demande.

Sur les conclusions indemnitaires :

13. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il est également responsable vis-à-vis des tiers des dommages causés par l'exécution d'un travail public. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure.

14. M. et Mme A... demandent à être indemnisés des préjudices résultant pour eux des travaux d'élagage réalisés en octobre 2015 par un prestataire pour le compte de la société Enedis, en ce que ces travaux ont nécessité pour eux de procéder à une remise en état leur terrain et de replanter des arbres inutilement abattus.

15. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que le prestataire de la société Enedis n'a pas achevé les travaux d'entretien qui lui ont été confiés, laissant des arbres partiellement élagués et ne procédant pas à l'enlèvement des troncs et des branchages coupés. Il y a lieu à cet égard de confirmer l'indemnité de 3 500 euros allouée à M. et Mme A... par les premiers juges en remboursement des frais qu'ils ont exposés pour remettre leur terrain en état, sur la base d'une évaluation établie par un expert forestier le 11 mars 2016. En revanche,

M. et Mme A... ne produisent aucun document établissant que le prestataire d'Enedis aurait inutilement coupé plusieurs de leurs arbres, leur occasionnant ainsi un préjudice évalué par le même expert à la somme de 3 512 euros. Leurs prétentions à ce titre doivent donc être rejetées.

16. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à demander la majoration de l'indemnité qui leur a été accordée par les premiers juges.

Sur les frais liés au litige :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A... et non compris dans les dépens et de rejeter les conclusions présentées au même titre par la société Enedis.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700222 du tribunal administratif d'Orléans du 2 avril 2019 est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions de M. et Mme A... tendant à l'indemnisation du préjudice résultant pour eux du remplacement d'arbres leur appartenant. Il est réformé en tant qu'il a rejeté les conclusions aux fins d'injonction en vue du déplacement du poteau électrique litigieux présentées à titre subsidiaire par les requérants.

Article 2 : Il est enjoint à la société Enedis de déplacer le poteau électrique implanté à proximité immédiate de la grange de M. et Mme A... selon les modalités indiquées au point 11 du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La société Enedis versera à M. et Mme A... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de la société Enedis tendant à l'application de ces mêmes dispositions sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et à Mme C... A... et à la société Enedis.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. Berthon, premier conseiller,

- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2020.

Le rapporteur

E. BerthonLe président

C. Brisson Le greffier

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT02151


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02151
Date de la décision : 18/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : PIQUEMAL et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-12-18;19nt02151 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award