Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... G... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 18 août 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Orano Cycle à procéder à son licenciement pour des faits de nature à causer un trouble objectif au sein de l'entreprise ainsi que la décision implicite de la ministre chargée du travail rejetant son recours hiérarchique.
Par une demande distincte, la société Orano Cycle, venant aux droits de la société Areva NC, a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 23 avril 2018 de la ministre du travail retirant sa décision implicite, annulant la décision du 18 août 2017 et refusant d'autoriser le licenciement de M. G....
Par un jugement nos 1800457, 1801392 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Caen a constaté que la demande de M. G... était devenue sans objet et a rejeté la demande de la société Orano Cycle.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 juin 2019 et 20 novembre 2020, la société Orano Cycle, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 4 avril 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 23 avril 2018 ;
3°) de mettre à la charge de M. G... le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'inspecteur du travail n'a fait référence à des témoignages recueillis dans le cadre de son enquête qu'en ce qui concerne la prescription disciplinaire ; il n'est pas établi que ce manquement au principe du contradictoire aurait porté préjudice à M. G... ;
- la décision de la ministre du travail est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où les détournements commis au préjudice du comité d'établissement et au profit de l'association Adan Spaen sont matériellement établis et que M. G..., de par ses fonctions de secrétaire du comité d'établissement et de président de l'association Adan Spaen, ne pouvait ignorer ou n'aurait pas dû ignorer les dépenses engagées par le comité d'entreprise et les recettes dont l'association a bénéficié à tort pendant près de deux ans à hauteur de 8 000 euros ; à tout le moins, il a indirectement bénéficié des fonds versés à l'association, qui ne percevait par ailleurs, aucune cotisation de ses six adhérents, et a ainsi, contribué à rendre possibles les détournements ; son comportement a occasionné des troubles objectifs au sein de la société d'autant qu'elle avait demandé des efforts importants à ses salariés pour contribuer au redressement de sa situation économique.
Une mise en demeure a été adressée le 29 mai 2020 à la ministre du travail, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2020, M. G..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Orano Cycle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Orano Cycle ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., substituant Me B..., représentant la société Orano Cycle.
Considérant ce qui suit :
1. La société Orano Cycle, qui fait partie du groupe Orano, ex Areva, emploie plus de 8 700 salariés sur plusieurs établissements, dont celui de la Hague qui compte 3 179 salariés et assure le traitement des déchets nucléaires. M. G... a été recruté par cet établissement à compter du 9 juin 1986 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée pour y exercer les fonctions de technicien. Accusé d'être à l'origine ou d'avoir contribué à des malversations au profit d'autres membres du comité d'entreprise et d'une association dont il était le président, M. G... a été convoqué à un entretien préalable fixé au 14 juin 2017. La société Orano Cycle a en effet estimé que les troubles occasionnés par ces faits rendaient impossible la poursuite de son contrat de travail. L'intéressé étant représentant de la section syndicale CFTC et conseiller du salarié, la société Orano Cycle a présenté auprès de l'inspecteur du travail une demande d'autorisation en vue de procéder à son licenciement. Par une décision du 18 août 2017, ce dernier a fait droit à sa demande. M. G... a saisi la ministre du travail d'un recours hiérarchique reçu le 30 août 2017. Par une décision du 23 avril 2018, la ministre du travail a retiré son rejet implicite, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et a refusé l'autorisation de licenciement de l'intéressé. M. G..., puis la société Orano Cycle, ont saisi le tribunal administratif de Caen de deux demandes distinctes tendant respectivement à l'annulation de ces deux décisions. Par un jugement du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Caen a constaté que la demande de M. G... était devenue sans objet et a rejeté celle présentée par la société Orano Cycle. Cette dernière relève appel de ce jugement en tant qu'il concerne la décision du 23 avril 2018.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision ministérielle du 23 avril 2018 :
2. En premier lieu, le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions du code du travail impose à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé à raison de l'impossibilité de poursuivre son contrat de travail, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation.
3. Dans sa décision du 18 août 2017, l'inspecteur du travail a indiqué qu'il ressortait des témoignages qu'il avait pu recueillir au cours de son enquête au sein de la société Orano Cycle, que les élus du comité d'établissement de la liste syndicale UNSA-SPAEN avaient constaté des anomalies affectant les demandes de remboursements déposées auprès de ce comité et que leurs investigations les avaient conduits à interroger MM. E... et G... au cours de l'année 2016. Il a ajouté que ces témoignages confirmaient que la société n'avait été informée de ces faits qu'au cours du mois de mai 2017. Il n'est cependant pas contesté que M. G... n'a pas eu connaissance de l'ensemble de ces témoignages. Par suite, et alors même que l'inspecteur du travail ne s'y est référé que pour constater que les faits litigieux n'étaient pas prescrits, la ministre du travail a pu estimer, contrairement à ce que soutient la société requérante, que la méconnaissance du caractère contradictoire de l'enquête menée par l'inspecteur du travail avait entaché sa décision d'illégalité. En conséquence, la société Orano Cycle n'est pas fondée à contester la décision du 23 avril 2018 à raison de ce motif.
4. En second lieu, il est constant que des détournements de fonds ont été commis au préjudice du comité d'établissement et au profit notamment de l'association Adan Spaen dont M. G... était le président. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les demandes de remboursements litigieuses, à l'exception de deux d'entre elles, ont été signées par M. E..., secrétaire du comité d'établissement et membre du conseil d'administration de l'association citée ci-dessus, et non par M. G... lui-même. Si la société requérante indique que la demande de remboursement concernant une facture de 680 euros de la société Défi CE pour une formation a été signée par M. G..., la pièce qu'elle produit ne l'établit pas alors que ce dernier a contesté en être l'auteur dans le cadre de l'enquête menée par l'inspecteur du travail, lequel a seulement pu constater que le chèque avait été émis par M. E... et non par M. G.... En outre, si ce dernier a signé la demande de remboursement relative à la facture de 405,92 euros correspondant à des frais de téléphonie et de matériels de bureau, il n'est pas établi qu'il n'en aurait pas été le bénéficiaire et qu'il ne pouvait se faire rembourser de ces frais en qualité de secrétaire du comité d'établissement.
5. Il est, par ailleurs, constant que M. G... était secrétaire du comité d'établissement du 18 octobre 2013 au 8 décembre 2015 mais qu'il n'en était pas le trésorier. Le document général joint par la société Orano Cycle, indiquant que le secrétaire se coordonne avec le trésorier sur la gestion comptable du comité d'établissement, n'est pas de nature, à lui seul, à établir que M. G... exerçait effectivement un rôle financier ou comptable au sein du comité d'établissement, alors que l'inspecteur du travail a seulement constaté lors de son enquête que le détail des factures n'était pas présenté lors de l'approbation des comptes. De même, la circonstance qu'une réflexion était menée au sein de la société Orano en vue de l'approbation d'un règlement intérieur du comité d'entreprise ne suffit pas à établir que M. G... aurait, de par ses fonctions de secrétaire du comité d'établissement, eu ou dû avoir connaissance de ces remboursements frauduleux, compte tenu notamment de leur fréquence et de leur ampleur, et aurait ainsi contribué directement ou indirectement à leur réalisation.
6. Par ailleurs, si M. G..., était président de l'association Adan Spaen au profit de laquelle les fonds ont été détournés et que M. E..., trésorier du comité d'établissement, était membre de son conseil d'administration, il résulte toutefois de l'enquête menée par l'inspecteur du travail qu'en dépit du fait que les statuts de l'association prévoyaient la tenue d'une assemblée générale annuelle au cours de laquelle le trésorier devait rendre compte de sa gestion et soumettre le bilan à l'approbation de l'assemblée et la réunion du conseil d'administration tous les six mois sur convocation de son président, l'association déclarée en préfecture le 10 septembre 2010 ne se réunissait pas et ne percevait aucune cotisation de ses six membres. Dans ces conditions, cette situation, pour anormale qu'elle puisse être, ne permet pas de considérer que son président, de par son inaction, aurait permis la réalisation des détournements de fonds en cause. Il n'est pas davantage établi que M. G... aurait bénéficié, même indirectement, de ces actes frauduleux. Par suite, c'est à juste titre que la ministre du travail a refusé d'autoriser la société Orano Cycle a procédé à son licenciement pour impossibilité de poursuivre l'exécution de son contrat en raison des troubles occasionnés par la découverte de ces malversations.
7. Il résulte de ce qui précède, que la société Orano Cycle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M G..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société Orano Cycle de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Orano Cycle le versement à M. G... de la somme qu'il demande au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Orano Cycle est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orano Cycle, à M. A... G... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02095