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12/11/2020 | FRANCE | N°19NT01339

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 12 novembre 2020, 19NT01339


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

­ le code du travail ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

­ le rapport de M. B...,

­ les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

­ et les observations de Me E..., substituant Me C... pour M. D... et de Me F..., pour la SAS Compagnie IBM France.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., recruté depuis le 17 septembre 1984 par la SAS Compagnie IBM France,

occupait en dernier lieu un poste de " Private digital commerce relationship sales ", ou " cadre spécialiste ", sur le si...

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

­ le code du travail ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

­ le rapport de M. B...,

­ les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

­ et les observations de Me E..., substituant Me C... pour M. D... et de Me F..., pour la SAS Compagnie IBM France.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., recruté depuis le 17 septembre 1984 par la SAS Compagnie IBM France, occupait en dernier lieu un poste de " Private digital commerce relationship sales ", ou " cadre spécialiste ", sur le site de Charbonnière de la société, à Boigny-sur-Bionne (45760). Il avait par ailleurs la qualité de salarié protégé en tant que membre élu du comité d'établissement jusqu'aux élections du 31 mars 2016 et candidat à ces élections jusqu'au 1er octobre 2016. La société a décidé, début 2016, de regrouper sur un même site géographique à Bois-Colombes (92270) toutes les équipes relevant du département " Digital sales " dans lequel M. D... était affecté. Dans ce cadre, elle a adressé le 23 mai 2016 à M. D... un courrier l'informant de sa mutation sur le site de Bois-Colombes à compter du 1er septembre 2016, en application de la clause de mobilité figurant dans son contrat de travail du 15 juillet 1985. M. D... a refusé sa mutation par lettre du 20 juillet 2016. Après un entretien préalable en date du 22 septembre 2016 et un avis du comité d'établissement centre-Ouest du 4 octobre 2016, la SAS Compagnie IBM France a saisi, par lettre du 12 octobre 2016, l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Loire-Atlantique de la DIRECCTE des Pays de la Loire d'une demande d'autorisation de licenciement de M. D... pour motif disciplinaire. Le 1er décembre 2016, l'inspectrice du travail a rejeté cette demande pour incompétence, au motif que la période de protection de l'intéressé était expirée. Par une nouvelle décision du 17 février 2017, elle a retiré sa décision du 1er décembre 2016 et a autorisé le licenciement de M. D... pour faute disciplinaire. A la suite du recours hiérarchique formé par M. D... contre cette décision, la ministre du travail a, par une décision du 24 juillet 2017, confirmé sa décision implicite de rejet née le 10 juillet 2017. Par sa requête, M. D... relève appel du jugement du 7 février 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 17 février 2017 et du 24 juillet 2017.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur la demande d'autorisation de licenciement formée par l'employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur. Par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués au soutien des conclusions dirigées contre cette décision. Ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du ministre est inopérant.

3. D'une part, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

4. D'autre part, le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en oeuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.

5. Il est fait grief à M. D... d'avoir refusé la modification de ses conditions de travail de par l'application de la clause de mobilité prévue à son contrat de travail en refusant, le 20 juillet 2016, la proposition de mutation qui lui avait été faite par la SAS Compagnie IBM France par courrier du 23 mai 2016, de le muter du site de Charbonnières vers le site de Bois-Colombes.

6. En premier lieu, le contrat de travail du 15 juillet 1985 de l'intéressé contient une clause de mobilité selon laquelle : " Durant votre carrière à IBM, pour tenir compte des nécessités du fonctionnement de notre entreprise, vous pourrez être affecté à l'un des lieux de travail de notre Compagnie, à Paris ou en Province. Toute mutation sera, bien entendu, soumise aux règles en vigueur en la matière à la Compagnie IBM France et à celles contenues dans les conventions collectives de la métallurgie ". Dès lors que cette clause précise que la mobilité en cause peut concerner l'un des lieux de travail de la compagnie, à Paris ou en province, elle définit de façon suffisamment précise la zone géographique concernée. Cette clause ne confère pas à la société la faculté d'étendre unilatéralement la portée de cette mobilité, dans la mesure où elle ne prévoit pas que l'employeur pourra décider de modifier la zone géographique ainsi définie. La circonstance que le site de Bois-Colombes ait été ouvert postérieurement au jour de la signature du contrat de travail est sans incidence sur la validité de la clause de mobilité, dès lors que cette clause n'impose pas de lister les établissements dans lesquels le salarié peut être muté pour son application et que le nouvel établissement est situé dans la zone géographique de mobilité précisée par la clause. Dans ces conditions, la clause de mobilité incluse dans le contrat de travail de M. D..., qui doit être regardée comme licite, présente un caractère opposable et le refus de l'intéressé d'un simple changement de ses conditions de travail est établi et constitue une faute.

7. En second lieu, la SAS Compagnie IBM France fait valoir que la mise en oeuvre de la clause de mobilité en cause poursuit l'objectif d'organiser le regroupement de plusieurs entités sur le site de Bois-Colombes afin de s'adapter aux comportements d'achat des clients et d'assurer sa pérennité en captant de nouveaux marchés. Le projet de mobilité est motivé par l'évolution des activités numériques de la société afin de créer une dynamique française et de renforcer le collectif de travail sur le site de Bois-Colombes et de s'adapter ainsi aux évolutions du marché. Les allégations du requérant selon lesquelles le transfert du service " Digital Sales " masquerait en fait, pour la société, une volonté de se séparer de certains de ses salariés les plus anciens et dissimulerait un projet de restructuration qui ne dit pas son nom, ne reposent sur aucun élément probant. Il ressort en outre des pièces du dossier que, contrairement à ce que prétend le requérant, les salariés qui ont accepté leur mutation ont bien été transférés progressivement sur le site de Bois-Colombes dès le mois de septembre 2016. Dans ces conditions, aucun élément ne permet d'affirmer que la décision de l'employeur aurait été prise pour des raisons étrangères à son intérêt ou que la clause de mobilité en cause, eu égard notamment à la procédure suivie, au délai de prévenance observé entre la notification de la mutation et sa prise d'effet et à la prime de mobilité proposée, aurait été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle. Enfin, il n'est pas établi que la mobilité contestée porterait une atteinte disproportionnée à la vie personnelle et familiale de l'intéressé. Par suite, la faute commise par M. D... revêt un caractère de gravité suffisante pour justifier son licenciement et c'est à bon droit que le tribunal a estimé que l'inspectrice du travail et la ministre du travail n'avaient pas entaché leurs décisions d'erreur d'appréciation en autorisant le licenciement de M. D....

8. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 7 février 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SAS Compagnie IBM France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. D... demande au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... la somme réclamée par la SAS Compagnie IBM France au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la SAS Compagnie IBM France tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à la SAS Compagnie IBM France et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Centre-Val de Loire.

Délibéré après l'audience du 23 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M. Coiffet, président assesseur,

- M. B..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.

Le rapporteur,

F. B...Le président,

O. GASPON

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°19NT01339


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01339
Date de la décision : 12/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET MICHELE ARNAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-12;19nt01339 ?
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