Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société L'Indochine a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 28 novembre 2017 par laquelle le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 28 160 euros, de la décision du 30 janvier 2018 rejetant son recours gracieux présenté le 17 janvier 2018 et du titre de perception émis le 5 décembre 2017 par le directeur général des finances publiques.
La société a également demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 28 novembre 2017 par laquelle le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 9 236 euros, de la décision du 30 janvier 2018 rejetant son recours gracieux présenté le 17 janvier 2018 et du titre de perception émis le 5 décembre 2017 par le directeur général des finances publiques.
Par un jugement n° 1800842 du 25 avril 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 juin 2019, la société L'Indochine, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 25 avril 2019 ;
2°) d'annuler les décisions mentionnées ci-dessus ;
3°) de mettre à la charge de l'OFII le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions contestées sont insuffisamment motivées ;
- ces décisions ont été prises au terme d'une procédure irrégulière dès lors que les droits de la défense et le droit au procès équitable ont été méconnus ;
- ces décisions sont fondées sur des faits matériellement inexacts ;
- les sanctions prononcées sont manifestement disproportionnées et les décisions contestées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2019, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société L'Indochine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société L'Indochine ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... est le gérant d'un fonds de commerce de restaurant thaïlandais exploité à Tours par la société L'Indochine sous l'enseigne du même nom. Le 6 janvier 2017, à la suite d'investigations qui ont débutées le 16 octobre 2016, les services de la gendarmerie ont constaté la présence au sein du restaurant de quatre ressortissants thaïlandais non autorisés à travailler en France et non autorisés à y séjourner. Par une décision du 28 novembre 2017, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de la société L'Indochine la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 28 160 euros ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 9 236 euros. Deux titres de perception ont été émis le 5 décembre 2017 par le directeur général des finances publiques pour le recouvrement de ces sommes. Le 17 janvier 2018, la société a présenté un recours gracieux contre ces décisions, lequel a été rejeté le 30 janvier 2018. Elle relève appel du jugement du 25 avril 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions contestées :
2. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée du 28 novembre 2017 : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux (...) L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. / Elle est recouvrée par l'Etat comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine. ". Aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée du 28 novembre 2017 : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. (...) L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution (...) ".
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) infligent une sanction ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Il résulte de ces dispositions qu'une décision qui met à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail ainsi que la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui fondent ces sanctions.
4. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 8253-2 du code du travail : " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. (...) ".
5. La décision contestée du 28 novembre 2017 mentionne les dispositions applicables du code du travail et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le relevé des infractions par référence au procès-verbal établi à la suite du contrôle du 16 octobre 2016, ainsi que le montant des sommes dues par la société L'Indochine en détaillant les modalités de calcul appliquées pour la contribution spéciale. S'agissant de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, la décision renvoie aux barèmes fixés par les arrêtés du 5 décembre 2006. Elle précise en annexe le nom des salariés concernés. Si la société requérante soutient que la société Le Mao, dont M. D... est également le gérant, et qui a fait l'objet d'un contrôle simultané, a été destinataire d'une décision rédigée dans des termes identiques alors que le taux appliqué pour le calcul de la contribution spéciale est différent pour ces deux établissements, il est constant qu'au verso de ces décisions figure le rappel de la législation en vigueur et notamment des dispositions précitées de l'article R. 8253-2 du code du travail qui permettent de comprendre les raisons de cette différence de traitement. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée du 28 novembre 2017 serait insuffisamment motivée ne peut qu'être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 8253-3 du code du travail : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours. ". Aux termes de l'article R. 626-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " I. - Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17 du code du travail, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 626-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours. II. - A l'expiration du délai fixé, le directeur général décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1, la liquide et émet le titre de perception correspondant (...). ". Aux termes de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant. ".
7. S'agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense, applicable même sans texte, suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu'elle en fait la demande. Si les dispositions législatives et réglementaires relatives à la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail et à la contribution forfaitaire mentionnée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoient pas expressément que le procès-verbal transmis au directeur général de l'OFII en application de l'article L. 8271-17 du code du travail, constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d'assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de ces contributions, qui revêtent le caractère de sanctions administratives. Il appartient seulement à l'administration, le cas échéant, d'occulter ou de disjoindre, préalablement à la communication du procès-verbal, celles de ses mentions qui seraient étrangères à la constatation de l'infraction sanctionnée par la liquidation des contributions spéciale et forfaitaire et susceptibles de donner lieu à des poursuites.
8. Le refus de communication du procès-verbal ne saurait toutefois entacher la sanction d'irrégularité que dans le cas où la demande de communication a été faite avant l'intervention de la décision qui, mettant la contribution spéciale à la charge de l'intéressé, prononce la sanction. Si la communication du procès-verbal est demandée alors que la sanction a déjà été prononcée, elle doit intervenir non au titre du respect des droits de la défense mais en raison de l'exercice d'une voie de recours. Un éventuel refus ne saurait alors être regardé comme entachant d'irrégularité la sanction antérieurement prononcée, non plus que les décisions consécutives, même ultérieures, procédant au recouvrement de cette sanction.
9. Il résulte de l'instruction que, par lettre du 4 octobre 2017, la société L'Indochine, employeur des salariés en situation irrégulière, a été invitée à présenter ses observations, ce qu'elle a fait par écrit le 17 octobre 2017 sans demander la communication d'aucun document. C'est seulement le 17 janvier 2018, dans le cadre de son recours gracieux, que la société a sollicité la copie des procès-verbaux rédigés dans le cadre des opérations de contrôle. Par courrier du 30 janvier 2018, l'OFII lui a communiqué le procès-verbal n° 17731/01126/2016. Si la société soutient qu'elle n'a été destinataire que du procès-verbal de synthèse rédigé le 23 janvier 2017 alors que le procès-verbal d'enquête préliminaire établi le même jour fait état de procès-verbaux de constatation, d'investigation, d'audition, de notification, de réquisition rédigés préalablement, elle n'établit pas en avoir fait la demande avant la décision contestée. Dans ces conditions, les écritures de l'officier de police judiciaire qu'elle a reçues étant suffisantes pour lui permettre de présenter utilement des observations en défense, le moyen tiré de ce que la décision contestée aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière en méconnaissance des droits de la défense et du droit au procès équitable ne peut qu'être écarté.
10. En troisième lieu, le procès-verbal de synthèse du 23 janvier 2017, dont les mentions font foi jusqu'à preuve contraire, indique que, sur la période de janvier 2013 à décembre 2016, 25 étrangers non munis d'une autorisation de travail ont travaillé au restaurant Le Mao ou au restaurant L'Indochine, représentant 25 % de l'effectif, qu'au cours du dernier trimestre 2016, 13 étrangers sans titre ont travaillé dans ces établissements, soit 60 % de l'effectif total et que 6 étrangers sans titre y travaillaient toujours en janvier 2017. Ces constatations sont corroborées par les autres pièces du dossier. Par suite, et alors même que Pôle emploi n'a pu trouver de cuisinier répondant à sa demande, qu'elle employait également des salariés étrangers en situation régulière, que des demandes de régularisation étaient en cours, que les salariés avaient fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche, qu'ils bénéficiaient d'un contrat de travail, qu'ils justifiaient de bulletins de paie et que les services de l'Urssaf, de la médecine du travail ou l'inspecteur du travail n'avaient émis aucune observation sur leur situation, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée aurait été prise sur la base de faits matériellement inexacts.
11. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, deux infractions ont été relevées lors des contrôles effectués au sein du restaurant L'Indochine, lequel employait des salariés démunis de titre de séjour les autorisant à travailler et à séjourner en France. La circonstance que la société a également fait l'objet d'une fermeture administrative et que dans son courriel du 23 mars 2018 adressé à la préfecture le Procureur de la République a indiqué que la procédure avait été classée sans suite " en opportunité " au motif que des sanctions non pénales avaient été prises, tout en précisant qu'il ne s'agissait pas d'un classement pour infractions non caractérisées, ne suffit pas à établir que les sanctions litigieuses seraient manifestement disproportionnées. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions contestées seraient entachées d'une erreur d'appréciation ne peut qu'être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède, que la société L'Indochine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'OFII, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société L'Indochine de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société L'Indochine le versement à l'OFII d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société L'Indochine est rejetée.
Article 2 : La société L'Indochine versera à l'OFII une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société L'Indochine et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 octobre 2020.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02133