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22/10/2020 | FRANCE | N°19NT04533

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 22 octobre 2020, 19NT04533


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... épouse F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2019 par lequel le préfet de la Mayenne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré et l'a astreinte à se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Laval.

Par un jugement n° 1908368 du 30 octobre 2019, le magistrat désigné par le pré

sident du tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision (article 1er), a en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... épouse F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2019 par lequel le préfet de la Mayenne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré et l'a astreinte à se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Laval.

Par un jugement n° 1908368 du 30 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision (article 1er), a enjoint au préfet de la Mayenne de délivrer une autorisation provisoire de séjour à Mme F... et de procéder à un nouvel examen de sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement (article 2) et a condamné l'Etat à verser à Me L'Helias, avocat de M. F..., la somme de 800 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 novembre 2019, 28 novembre 2019, 28 janvier 2020 et 31 juillet 2020, le préfet de la Mayenne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme F... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler son arrêté, sur la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense et des mémoires, enregistrés les 27 décembre 2019, 10 juin 2020 et 13 juillet 2020, Mme G... épouse F..., représentée par Me L'Helias, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête ;

2°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Mayenne de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours et de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou, à titre subsidiaire, sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 de ce code ou, à titre infiniment subsidiaire, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai de quinze jours sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 300 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que :

- le moyen soulevé par le préfet de la Mayenne n'est pas fondé ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant obligation de se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Laval doit être annulée par voie de conséquence.

Par une décision du 29 janvier 2020, Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Brasnu a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le statut de réfugié et le bénéfice de la protection subsidiaire ont été refusés à Mme F..., de nationalité azerbaïdjanaise, née le 26 mars 1958, par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 novembre 2018 confirmée par une décision du 19 juin 2019 de la Cour nationale du droit d'asile. Le 5 juillet 2019, le préfet de la Mayenne a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixant son pays de retour, en application du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a assorti ces décisions d'une astreinte de présentation au commissariat de Laval une fois par semaine. Mme F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cet arrêté. Par un jugement n° 1908368 du 30 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté. Mme F... relève appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme F... et son époux sont arrivés en France le 3 août 2018, soit à une date très récente. Mme F... fait valoir que deux de leurs trois fils vivent en France et ont obtenu le statut de réfugié. L'appelante précise qu'ils vivent actuellement chez l'un d'eux, à Laval, en compagnie de leurs petits-enfants, et que leur deuxième fils réside à Besançon. Elle fait enfin valoir qu'elle suit des cours de français. Toutefois, il est constant que Mme F... a vécu avec son époux en Azerbaïdjan jusqu'à l'âge de 61 ans, pays dans lequel vivent ses quatre frères et soeurs ainsi que deux belles-soeurs. En outre, le recours de M. E... à l'encontre de l'arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français a été rejeté par la présente cour par un arrêt de ce jour. Dans ces conditions, la présence en France de deux de ses fils et de ses petits-enfants ne saurait caractériser le fait que le préfet de la Mayenne aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Mayenne est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté en se fondant sur la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par Mme F... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.

Sur les autres moyens invoqués par Mme F... :

6. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté a été signé par M. A... C..., qui disposait pour ce faire d'un arrêté de délégation de signature du 7 janvier 2019 régulièrement publié. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision faisant obligation de quitter le territoire français fait suite au constat de ce que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou de ce que celui-ci ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2 du même code, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a été entendu dans le cadre du dépôt de sa demande d'asile à l'occasion de laquelle l'étranger est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnue la qualité de réfugié ou accordé le bénéfice de la protection subsidiaire et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Mme F..., qui, au demeurant, ne pouvait ignorer que, depuis le rejet devenu définitif de sa demande d'asile, elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, n'établit ni même n'allègue qu'elle aurait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ni qu'elle ait été empêchée de présenter des observations avant que soit prise la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendu qu'elle tient du principe général du droit de l'Union européenne tel qu'il est notamment exprimé à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

8. En deuxième lieu, il ressort de la motivation même de la décision portant obligation de quitter le territoire français que la situation de Mme F... a fait l'objet d'un examen particulier des circonstances la concernant.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; ".

10. En l'espèce, ni l'attestation établie par le Dr Darlot, ni les autres éléments médicaux fournis ne permettent d'établir que le défaut de prise en charge médicale pourrait avoir pour Mme E... des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Aucun des éléments produits ne permet en outre d'établir que l'intéressée ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

11. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, et compte tenu de qui est dit aux points 3 et 10, que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

12. Si Mme F... fait valoir qu'elle est exposée, en cas de retour dans son pays d'origine, à des traitements inhumains ou dégradants, les éléments produits ne permettent pas de remettre en cause les conclusions faites par les instances chargées de l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, dans sa décision du 30 novembre 2018, ainsi que la Cour nationale du droit d'asile, dans son arrêt du 19 juin 2019, ont en effet relevé le fait que, en dépit des persécutions avérées à l'égard de leurs fils, M. et Mme E... ne démontraient pas qu'ils seraient personnellement menacés en cas de retour en Azerbaïdjan. La demande de réexamen de Mme F... a en outre été déclarée irrecevable par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 17 mars 2020. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant obligation de se présenter au commissariat de police de Laval :

13. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, Mme F... n'est pas fondée à soutenir que cette décision devrait être annulée par voie de conséquence.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Mayenne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 5 juillet 2019.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de Mme F... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1908367 du 30 octobre 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande de Mme F... devant le tribunal administratif de Nantes et les conclusions présentées en appel au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme G... épouse F... et à Me L'Helias.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Mayenne.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- M. Brasnu, premier conseiller.

Lu en audience publique le 22 octobre 2020.

Le rapporteur,

H. BrasnuLe président,

F. Bataille

La greffière,

A. Rivoal

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT04533


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04533
Date de la décision : 22/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: M. Harold BRASNU
Rapporteur public ?: Mme CHOLLET
Avocat(s) : SCP BARBARY MORICE L'HELIAS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-22;19nt04533 ?
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