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31/07/2020 | FRANCE | N°19NT04827

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 31 juillet 2020, 19NT04827


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite du préfet de Maine-et-Loire lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2019 du même préfet ordonnant son expulsion du territoire français et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 1903030 du 30 septembre 2019, le tribunal administratif de

Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une première requête ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite du préfet de Maine-et-Loire lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2019 du même préfet ordonnant son expulsion du territoire français et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 1903030 du 30 septembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une première requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement les 16 et 19 décembre 2019 sous le n° 19NT04828, M. B..., représenté par Me Gouache, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2019 ordonnant son expulsion du territoire français ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise psychologique se prononçant sur son risque de récidive ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative sous réserve de la renonciation de ce dernier au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier faute d'avoir été rendu en respectant le principe du contradictoire ;

- c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur une expertise réalisée en 2014 pour apprécier le bien-fondé de l'arrêté d'expulsion ;

- les conclusions de cette expertise sont contredites par une autre expertise également citée par le tribunal correctionnel ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il lui revenait d'apporter la preuve que sa présence sur le territoire français ne constituait pas une menace à l'ordre public ;

- compte tenu de son parcours exemplaire en détention, de sa volonté de réinsertion, de sa volonté de réparer les conséquences de son acte, il démontre que, contrairement à ce que soutient le préfet, sa présence en France ne constitue pas une menace à l'ordre public ;

- l'arrêté d'expulsion du préfet est donc entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- cet arrêté méconnaît également l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où il réside en France depuis près de dix ans et qu'il est marié avec une ressortissante française depuis le 13 juin 2014 ;

- il s'occupe des deux enfants de son épouse et a eu un fils et le maintien des liens familiaux est avéré alors qu'il continue de soutenir sa famille ;

- il n'a pu procéder à la régularisation de sa situation qu'avec beaucoup de retard compte tenu de son incarcération.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Le préfet soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés et précise que l'arrêté d'expulsion du 19 janvier 2019 a été mis à exécution le 11 janvier 2020, le requérant ayant été reconduit en Tunisie.

II. Par une deuxième requête et deux mémoires, enregistrés respectivement les 16 décembre 2019, 19 décembre 2019 et 29 janvier 2020 sous le n° 19NT04827, M. B..., représenté par Me Gouache, demande à la cour :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 21 janvier 2019 ordonnant son expulsion du territoire français ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative sous réserve de la renonciation de ce dernier au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative est constituée même si l'arrêté d'expulsion a été exécuté dans la mesure où cet arrêté ne lui permet pas de revenir sur le territoire français ;

- il existe un doute sérieux concernant la légalité de cet arrêté en raison des vices de forme dont il est entaché, du caractère irrégulier de la consultation de la commission d'expulsion, de l'erreur commise par le préfet en ce qui concerne l'appréciation de la menace à l'ordre public que constituerait sa présence en France et de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 24 janvier 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au non-lieu à statuer s'agissant de la requête tendant à la suspension de l'arrêté attaqué du 21 février 2019 dès lors que celui-ci a été entièrement exécuté du fait de la reconduite de M. B... vers la Tunisie opérée le 11 janvier 2020.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 5 novembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lenoir,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me Gouache représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier M. B..., ressortissant tunisien, est entré irrégulièrement en France, en 2011, et a fait l'objet d'une condamnation à une peine d'emprisonnement d'une durée de sept ans prononcée par jugement du 22 janvier 2016 du tribunal de Grande Instance de Bobigny en raison notamment d'un délit de violence aggravée par port d'arme ayant entrainé une incapacité de la victime supérieure à huit jours. Une demande de titre de séjour présentée par M. B... a été rejeté implicitement le 26 octobre 2017. Par la suite, le préfet de Maine-et-Loire a prononcé, par un arrêté notifié le 21 janvier 2019, l'expulsion du territoire français de cet étranger, cet arrêté étant motivé par la gravité de la menace à l'ordre public que représentait sa présence sur le territoire français. M. B..., qui avait contesté ces deux décisions devant le tribunal administratif de Nantes, relève appel du jugement en date du 30 septembre 2019 par lequel ce tribunal a rejeté ses demandes d'annulation, en tant seulement que ce jugement a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté d'expulsion prononcé le 21 janvier 2019. Par une deuxième requête, M. B... demande qu'il soit sursis à cet arrêté d'expulsion.

2. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre la même décision et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y lieu, par suite, de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 19NT04828 :

3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : 1° L'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; 2° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; (...) Par dérogation aux dispositions du présent article, l'étranger visé aux 1o à 5o peut faire l'objet d'un arrêté d'expulsion en application de l'article L. 521-1 s'il a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans ".

4. Par ailleurs, l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dispose que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit que : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

5. Ainsi qu'il l'a été relevé au point 1, M. B... a fait l'objet d'une condamnation à une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnement délictuel pour des faits de violence aggravée ayant entrainé une incapacité de longue durée pour la victime. De plus, il ressort de la lecture du jugement de condamnation de M. B... que l'agression qu'il a commise a été préméditée et mise à exécution alors que le requérant avait pleinement conscience de la gravité de son acte.

6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. B... est père d'un enfant français et qu'il a maintenu, y compris au cours de sa détention et à l'occasion des permissions de sortie de détention, des liens familiaux étroits avec son épouse et avec son enfant. Il établit ainsi la réalité et l'intensité de la vie familiale dont il se prévaut. De plus, il ressort de la lecture des mêmes pièces, notamment de celle des rapports des autorités chargées de son suivi en détention, ainsi que de l'examen de son comportement au cours de son incarcération, qu'il a pris conscience de la gravité de son acte. Il y a donc lieu de considérer que, comme il le soutient, le risque de récidive pouvait, à la date à laquelle le préfet de Maine-et-Loire a pris l'arrêté attaqué, être raisonnablement écarté sans qu'y fasse obstacle la référence à la lecture des extraits de l'expertise psychiatrique mentionnée en page 19 du jugement du tribunal correctionnel de Bobigny du 22 janvier 2016, non communiquée dans son intégralité par le préfet, extraits qui indiquent notamment que " sa réadaptabilité ne dépend que de lui ".

7. Par suite, M. B... est fondé à soutenir qu'en estimant, à la date de l'arrêté en litige, que sa présence était de nature à constituer une menace grave à l'ordre public, le préfet de Maine-et-Loire a inexactement qualifié les faits de nature à justifier sa décision et a méconnu les stipulations mentionnées au point 4 dès lors que la protection de l'ordre public ne justifiait pas, en l'espèce, l'atteinte ainsi portée aux droits garantis par les articles 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 21 janvier 2019 du préfet de Maine et Loire ordonnant son expulsion du territoire français.

Sur la requête n° 19NT04827 :

9. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin de suspension de l'exécution de l'arrêté du 21 janvier 2019 présentées par M. B....

Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application de ces dispositions, le versement au conseil de M. B... de la somme de 1 800 euros sous réserve de la renonciation, par Me Gouache, au bénéfice de la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 19NT04827.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 septembre 2019 et la décision du préfet de Maine-et-Loire du 21 janvier 2019 sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à Me Gouache une somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me Gouache renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 17 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 31 juillet 2020.

Le président -rapporteur,

H. Lenoir

Le président-assesseur,

O. COIFFET

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 19NT04827, 19NT04828


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04827
Date de la décision : 31/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Hubert LENOIR
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET MAXIME GOUACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-31;19nt04827 ?
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