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31/07/2020 | FRANCE | N°18NT02148

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 31 juillet 2020, 18NT02148


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 18 novembre 2014 fixant à 400 euros le montant de la " réserve d'objectifs " qui lui est attribuée pour l'année 2014 ainsi que celle du 14 mars 2016 fixant à 200 euros celle de 2015.

Par un jugement n° 1602330 du 22 mars 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 30 mai 2018, 5 décembre 2019 et 12 juin

2020, Mme C..., représentée par Me D... puis Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 18 novembre 2014 fixant à 400 euros le montant de la " réserve d'objectifs " qui lui est attribuée pour l'année 2014 ainsi que celle du 14 mars 2016 fixant à 200 euros celle de 2015.

Par un jugement n° 1602330 du 22 mars 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 30 mai 2018, 5 décembre 2019 et 12 juin 2020, Mme C..., représentée par Me D... puis Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 22 mars 2018 ;

2°) d'annuler les décisions mentionnées ci-dessus ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à la réévaluation du montant de ces primes ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en se référant à une décision du Conseil d'Etat du 15 mai 2013 concernant la circulaire du ministre de l'intérieur du 3 août 2011 relative à la " réserve d'objectifs " de 2011, le tribunal administratif a soulevé d'office le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision portant attribution de la prime perçue au titre de 2015 ; à aucun moment le préfet délégué n'avait soutenu que la circulaire de 2015 était entachée d'illégalité ; or elle n'a pas été informée de ce que ce moyen était susceptible d'être retenu, ni invitée à faire valoir ses observations ainsi que le prévoit l'article R. 611-7 du code de justice administrative ; en outre, le Conseil d'Etat a jugé à plusieurs reprises que l'exception d'illégalité ne constituait pas un moyen d'ordre public ;

- elle a introduit sa demande devant le tribunal administratif, sans l'assistance d'un avocat, le 13 mai 2016, soit antérieurement à la décision Czabaj du 13 juillet 2016 ;

- les tergiversations de sa hiérarchie ne lui ont pas permis de faire valoir ses droits dans le délai d'un an opposé par le tribunal administratif ;

- ces décisions sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation compte tenu du fait que son travail était exemplaire et ne pouvait conduire à lui attribuer un montant de primes inférieur au taux moyen réel ; il ressort du compte rendu de son entretien professionnel qu'elle a rempli l'ensemble des objectifs qui lui ont été assignés au titre de l'année 2015 et a géré des contentieux " complexes " ; elle présentait des compétences indispensables pour le service auquel elle était affecté depuis le 20 décembre 2010 et faisait preuve d'un grand sens du service public de sorte qu'elle aurait dû bénéficier d'une prime correspondant au taux moyen réel de 480 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant Mme C....

Une note en délibéré, présentée pour Mme C..., a été enregistrée le 23 juillet 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., adjoint administratif de 1ère classe au ministère de l'intérieur, a occupé entre le 20 décembre 2010 et le 5 octobre 2015 le poste de " gestionnaire du contentieux contraventionnel " au sein du secrétariat du centre national de traitement des infractions routières (CNT) de Rennes. A cette occasion, elle a perçu une prime dite de " réserve d'objectifs ", dont le montant annuel s'est élevé à 400 euros puis à 200 euros au titre des années 2014 et 2015. Par une demande enregistrée le 8 septembre 2016 devant le tribunal administratif de Rennes, elle a sollicité l'annulation des décisions lui accordant ces primes, une réévaluation de leurs montants ainsi qu'une indemnisation de son préjudice. Par un jugement du 8 septembre 2016 le tribunal administratif a rejeté l'intégralité de ses conclusions. Mme C... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne la tardiveté des conclusions relatives à la " réserve d'objectifs " de l'année 2014 :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à la date de saisine du tribunal administratif de Rennes par Mme C... : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".

3. Toutefois le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

4. La règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d'un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs. Il appartient dès lors au juge administratif d'en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance.

5. Il est constant que Mme C... a reçu notification le 18 novembre 2014 de la décision lui attribuant une indemnité de 400 euros au titre de la " réserve d'objectifs " de l'année 2014, et que cette notification ne comportait aucune mention des voies et délais de recours. Si le délai de deux mois fixé par l'article R. 421-1 du code de justice administrative ne lui était ainsi pas opposable, l'intéressée n'a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande d'annulation de cette décision que le 13 mai 2016, et non le 8 septembre 2016 comme l'a indiqué par erreur le tribunal administratif. Pour justifier la contestation de cette décision plus de dix-sept mois après sa notification, Mme C... se prévaut du fait qu'elle est intervenue oralement auprès de sa hiérarchie, laquelle s'est montrée relativement vague sur les démarches à accomplir, qu'elle n'a pas eu recours à l'assistance d'un avocat devant le tribunal administratif et qu'enfin, le principe énoncé aux points 5 et 6 résultent d'une décision du Conseil d'Etat postérieure à l'introduction de son recours. Ces faits ne constituent toutefois pas des circonstances particulières susceptibles de proroger le délai raisonnable d'un an durant lequel elle pouvait contester cette décision. La requérante n'est par suite pas fondée à soutenir sa demande tendant à l'annulation de la décision portant attribution de la prime de " réserve d'objectifs " au titre de l'année 2014 n'était pas tardive.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la circulaire du 27 août 2015 :

6. Aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable à la date du jugement du tribunal administratif de Rennes : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement (...) en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué. / Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsqu'il est fait application des dispositions des articles R. 122-12, R.222-1, R. 611-8 ou L. 822-1. ". Ces dispositions, qui sont destinées à provoquer un débat contradictoire sur les moyens que le juge doit relever de sa propre initiative, font obligation à la formation de jugement, lorsqu'elle entend soulever d'office un moyen qui n'a pas été invoqué par les parties ni relevé par son président avant la séance du jugement, de rayer l'affaire du rôle de ladite séance et de communiquer le moyen aux parties.

7. Après avoir rappelé les termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 en vertu desquels les fonctionnaires ont droit aux indemnités instituées par un texte législatif ou règlementaire, le tribunal administratif a précisé que l'indemnité litigieuse avait été instaurée par une circulaire du 27 août 2015 du ministre de l'intérieur. Il a ensuite indiqué que par une décision du 15 mai 2013 le Conseil d'Etat avait annulé la partie II d'une circulaire du ministre de l'intérieur du 3 août 2011 relative à la " réserve d'objectifs " de 2011 au motif que ces dispositions qui présentaient un caractère réglementaire avaient été prises par une autorité incompétente, le ministre ne tenant d'aucun texte le pouvoir d'instituer cette prime. Les premiers juges ont estimé que " pour le même motif ", l'attribution de la prime dite de " réserve d'objectifs " pour l'année 2015 contestée par Mme C... devait " être regardée comme étant dépourvue de base légale ". Les moyens soulevés par l'intéressée tirés de ce que l'administration ne lui avait pas notifié par écrit le montant de cette prime avant son versement et de ce que le ministre aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ont alors été jugés inopérants. Mme C... soutient en appel qu'elle n'a pas été informée de ce que ce moyen d'ordre public était susceptible d'être retenu, ni invitée à faire valoir ses observations ainsi que le prévoit l'article R. 611-7 du code de justice administrative. Il ressort toutefois des écritures de première instance, que dans son mémoire du 2 novembre 2016, le préfet délégué pour la défense et la sécurité Ouest indiquait qu'aucun texte législatif ou décret ne prévoyait l'attribution de la prime dite " réserve d'objectifs ", que Mme C... ne pouvait donc se prévaloir de la circulaire du ministre de l'intérieur du 27 août 2015 et qu'en conséquence, tous ses moyens étaient inopérants. Pour rejeter la demande de l'intéressée, le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif, qu'il n'a dès lors pas soulevé d'office. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en vertu des dispositions précitées de l'article R. 611-7 du code de justice administrative le tribunal administratif aurait dû l'inviter à présenter ses observations sur ce moyen et qu'en conséquence, le jugement attaqué serait irrégulier à raison de ce motif.

Sur la " réserve d'objectifs " perçue au titre de l'année 2015 :

8. La circulaire du 27 août 2015 du ministre de l'intérieur instaurant la prime dite " réserve d'objectifs " indique en son point II que l'attribution de cette indemnité est liée à l'atteinte des objectifs déterminés dans le cadre des entretiens professionnels des agents. Elle est destinée aux agents fortement sollicités devant faire face à un surcroît momentané d'activité, à ceux qui se manifestent par la qualité de leur travail, par leur engagement personnel ou leur esprit d'équipe, leur implication dans la modernisation des procédures ou des projets de service. Elle n'a pas vocation à bénéficier à tous les agents, ni à être attribuée de façon égalitaire à l'ensemble des bénéficiaires.

9. Mme C... se prévaut de ce qu'elle a perçu une prime de réserve d'objectifs de 600 euros en 2009 au SGAP de Versailles et de 480 euros en 2013 au CET de Rennes, a bénéficié d'une réduction d'ancienneté en 2014. Elle indique également qu'un avis défavorable a été émis à sa demande de mutation le 25 février 2013 au motif que depuis 2010 elle avait acquis un savoir-faire et des compétences professionnelles indéniables lui permettant de traiter des dossiers complexes. Ces éléments sont toutefois sans incidence sur la décision contestée, laquelle ne se fonde que sur l'appréciation de sa charge de travail et sa manière de servir au cours de l'année 2015. Par ailleurs, s'il ressort des pièces du dossier, et notamment de son compte-rendu d'entretien professionnel réalisé le 14 mars 2016, que Mme C... a atteint ses objectifs, a géré avec une grande efficacité l'ensemble des dossiers qui lui avaient été confiés, s'était impliquée dans la formation de ses collègues et avait fourni un travail de qualité sur des dossiers complexes, ses capacités et son comportement professionnel ont cependant été jugés " satisfaisants " et non " très satisfaisants ". En outre, la requérante n'indique pas avoir dû faire face à un surcroît de travail au cours de l'année 2015. Dans ces conditions, Mme C... n'établit pas que la décision lui accordant une prime dite de " réserve d'objectifs " de 200 euros au titre de l'année 2015, alors que cette indemnité n'a pas vocation à être attribuée systématiquement chaque année, à chaque agent, et pour un même montant, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, et, en tout état de cause, ce moyen doit être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions lui accordant une prime dite de " réserve d'objectifs " de 400 euros et de 200 euros au titre des années 2014 et 2015.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme C... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 17 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 31 juillet 2020.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT02148


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02148
Date de la décision : 31/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL BOURGES-BONNAT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-31;18nt02148 ?
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