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17/07/2020 | FRANCE | N°19NT04181

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 juillet 2020, 19NT04181


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier Bretagne Atlantique à lui verser la somme de 341 575,99 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'infection nosocomiale qu'elle a contractée dans cet établissement.

Par un jugement n°1304328 du 19 novembre 2015 le tribunal administratif de Rennes a donné acte du désistement d'instance de Mme D... et a condamné le centre hospitalier Bretagne Atlantique à verser à la caisse primaire

d'assurance maladie du Morbihan la somme de 40 339,60 euros incluant l'indemnité...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier Bretagne Atlantique à lui verser la somme de 341 575,99 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'infection nosocomiale qu'elle a contractée dans cet établissement.

Par un jugement n°1304328 du 19 novembre 2015 le tribunal administratif de Rennes a donné acte du désistement d'instance de Mme D... et a condamné le centre hospitalier Bretagne Atlantique à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan la somme de 40 339,60 euros incluant l'indemnité forfaitaire de gestion et à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne la somme de 1 206 euros incluant l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 janvier 2016, 4 avril 2016 et 15 juin 2016 le centre hospitalier Bretagne Atlantique, représenté par Me C..., a demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 19 novembre 2015 en ses articles 2 à 6, au besoin après avoir ordonné une nouvelle expertise médicale ;

2°) de rejeter les demandes présentées par les caisses primaires d'assurance maladie du Morbihan et du Lot-et-Garonne devant le tribunal administratif de Rennes ;

3°) de mettre à la charge des caisses primaires d'assurance maladie du Morbihan et du Lot-et-Garonne la somme de 3 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutenait notamment que :

- l'expertise médicale rendue le 14 mars 2012 ne pouvait lui être opposée, dès lors qu'elle n'avait pas été réalisée à son contradictoire ;

- l'infection nosocomiale contractée par Mme D... était présente ou en incubation avant son admission au centre hospitalier d'Auray, ce qui le décharge de toute responsabilité.

Par des mémoires en défense enregistrés les 18 février 2016 et 22 mars 2017 la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne concluait au rejet de la requête et demandait à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Bretagne Atlantique la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutenait que les moyens soulevés par le centre hospitalier Bretagne Atlantique n'étaient pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés les 1er et 28 juin 2016 la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan concluait au rejet de la requête et demandait à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Bretagne Atlantique la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutenait que les moyens soulevés par le centre hospitalier Bretagne Atlantique n'étaient pas fondés.

Par un arrêt n° 16NT00148 du 26 janvier 2018, la cour a rejeté la requête du centre hospitalier Bretagne Atlantique.

Par une décision n° 419274 du 23 octobre 2019 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé devant la cour l'affaire, qui porte désormais le n°19NT04181.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un mémoire enregistré le 12 novembre 2019 le centre hospitalier Bretagne Atlantique, représenté par Me C..., reprend par les mêmes moyens les conclusions qu'il a présentées dans l'instance n° 16NT00148.

Par un mémoire enregistré le 20 mai 2020 la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, représentée par Me F..., conclut dans les mêmes conditions que dans l'instance n°16NT00148.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- les observations de Me B..., représentant le centre hospitalier Bretagne Atlantique ainsi que celles de Me A... représentant la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... a subi le 25 juin 2008 au centre hospitalier universitaire de Rennes une intervention pour changement de sa prothèse du genou gauche. Elle a ensuite été admise le 7 juillet au centre de rééducation fonctionnelle mutualiste de Kerpape, où elle a fait, le 23 juillet, une chute accidentelle qui a lésé cette articulation. Elle a enfin été transférée le 20 août suivant au centre hospitalier Bretagne Atlantique de Vannes-Auray, où une ponction réalisée le 29 septembre 2008 a révélé une infection par staphylocoque qui a nécessité le retrait de la prothèse.

2. Saisi par Mme D... dans le cadre d'un recours indemnitaire dirigé contre le centre de rééducation fonctionnelle de Kerpape, le juge des référés près le tribunal de grande instance de Lorient a ordonné une expertise aux fins de déterminer, notamment, les préjudices résultant pour elle de l'accident du 23 juillet 2008. Au vu de ce rapport d'expertise, déposé le 14 mars 2012, Mme D... a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande indemnitaire dirigée contre le centre hospitalier Bretagne Atlantique, fondée sur le caractère nosocomial de l'infection à staphylocoque dont elle avait été atteinte, avant de se désister de sa demande en cours d'instance. Par un jugement du 19 novembre 2015, le tribunal administratif a donné acte à Mme D... de son désistement, a admis le caractère nosocomial de l'infection et a condamné le centre hospitalier Bretagne Atlantique, sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, à indemniser les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) du Lot-et-Garonne et du Morbihan des prestations versées par celles-ci à la victime. Par un arrêt du 26 janvier 2018 la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel dirigé par le centre hospitalier Bretagne Atlantique contre ce jugement. Toutefois, à la suite du pourvoi en cassation formé par cet établissement, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, par une décision du 23 octobre 2019, annulé cet arrêt et renvoyé devant la cour l'affaire, qui porte désormais le n° 19NT04181.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

4. Il ressort des termes du jugement attaqué que, pour juger que l'infection dont Mme D... avait été victime engageait la responsabilité du centre hospitalier Bretagne Atlantique, le tribunal administratif de Rennes s'est fondé sur les conclusions du rapport d'expertise du 14 mars 2012 dans lequel l'expert désigné par le juge judiciaire, se bornant sur ce point à renvoyer à l'opinion du sapiteur, concluait que " ...le mécanisme le plus probable est celui d'une inoculation de dehors en dedans à partir d'une fistule interne qui se serait constituée en septembre 2008. / Cette inoculation s'est révélée à un séjour hospitalier à l'hôpital d'Auray mais elle est considérée comme liée aux soins compte tenu de la nature du germe retrouvé ".

5. En prenant en compte les éléments du rapport d'une expertise ordonnée, ainsi qu'il a été dit au point 2, dans le cadre d'un autre litige constitué devant un autre ordre de juridiction et opposant des parties distinctes, qui ne constituaient ni des éléments de pur fait non contestés par les parties ni des appréciations corroborées par d'autres éléments du dossier, le tribunal administratif de Rennes a, alors même que ce rapport avait été soumis au débat contradictoire devant lui, méconnu les principes rappelés au point 3. Il suit de là que le jugement attaqué a été rendu dans le cadre d'une procédure irrégulière et doit être annulé en ses articles 2 à 6, l'article 1er prenant acte du désistement d'instance de Mme D....

6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par les caisses primaires d'assurance maladie du Morbihan et du Lot-et-Garonne devant le tribunal administratif de Rennes.

Sur la responsabilité :

7. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.(...) ".

8. Les pièces produites au dossier, et en particulier le rapport d'expertise remis le 14 mars 2012 au tribunal de grande instance de Lorient dans le cadre d'un litige opposant Mme D... au centre de rééducation fonctionnelle de Kerpape, ne sont pas de nature à permettre à la cour d'apprécier l'origine de l'infection nosocomiale dont a été victime Mme D... et dont le centre hospitalier Bretagne Atlantique conteste qu'elle a été contractée dans ses services. La cour n'étant pas en mesure de décider si les conditions requises par les dispositions précitées de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique sont réunies pour que soit mise en jeu la responsabilité de l'établissement hospitalier, il y a lieu, avant de statuer sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Rennes par les caisses primaires d'assurance maladie du Lot-et-Garonne et du Morbihan, d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1304328 du tribunal administratif de Rennes en date du 19 novembre 2015 est annulé en ses articles 2 à 6.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions des caisses primaires d'assurance maladie du Morbihan du Lot-et-Garonne et du Morbihan, procédé à une expertise médicale au contradictoire du centre hospitalier Bretagne Atlantique et des CPAM du Morbihan et du Lot-et-Garonne.

Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative et aura pour mission, après avoir pris connaissance de l'ensemble des pièces du dossier :

1°) de se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme D... et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins, et aux diagnostics pratiqués sur elle lors de ses prises en charge au centre hospitalier Bretagne Atlantique ; de convoquer et entendre les parties et tous sachants ; de procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de Mme D... ;

2°) de fournir au juge tous les éléments pouvant lui permettre de déterminer si les troubles dont a été atteinte Mme D... et qui ont générés les débours exposés par les caisses sont dus à une infection nosocomiale et de préciser, compte tenu de la nature du germe retrouvé, la date probable à laquelle l'infection a été contractée et le lieu où elle a été contractée ;

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Bretagne Atlantique, à la caisse primaire d'assurance malade du Morbihan et à la caisse primaire d'assurance maladie du

Lot-et-Garonne.

Copie en sera adressée à Mme D... et au centre de rééducation fonctionnelle de Kerpape.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président,

- Mme G..., présidente-assesseure,

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique le 17 juillet 2020.

La rapporteure

N. G...

Le président

I. Perrot

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°19NT04181 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04181
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SCP DUROUX-COUERY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;19nt04181 ?
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