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19/06/2020 | FRANCE | N°19NT03908

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 19 juin 2020, 19NT03908


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 14 septembre 2018 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1805511 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 octobre 2019 M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Renn

es du 11 juillet 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 14 septembre 2018 par laquelle le préfet d'Ille...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 14 septembre 2018 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1805511 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 octobre 2019 M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 juillet 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 14 septembre 2018 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " travailleur temporaire " ou à défaut de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer dans l'attente un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 800 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Il soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un vice de procédure ; le préfet aurait dû lui communiquer les conclusions du service " fraude documentaire " de la police de l'air et des frontières et effectuer des vérifications préalables auprès des autorités consulaires guinéennes ; il n'a pas été mis en mesure de justifier de l'authenticité des documents d'état civil qu'il a présentés ;

- elle n'a pas été précédée d'un examen approfondi de sa situation et est entachée d'une erreur de fait ; les actes qu'il a produits ont été légalisés par l'ambassade de Guinée en France le 21 décembre 2017 ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 47 du code civil ; aucune incohérence n'a été relevée dans les actes produits ; le jugement supplétif, dont l'authenticité n'est pas remise en cause, établit à lui seul son état civil ; le non-respect du délai d'appel est sans incidence sur la validité du jugement ; la circonstance que l'acte de naissance produit comporte des mention en chiffres et non en lettres est sans incidence sur la véracité des informations dont il fait état ; alors même que l'article 47 du code civil ne conditionne pas la validité d'un acte à sa légalisation, les documents d'état civil qu'il a produits ont été légalisés par les autorités consulaires guinéennes ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 31315 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La requête a été communiquée le 6 novembre 2019 au préfet d'Ille-et-Vilaine, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 août 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen né le 22 décembre 1999, est entré irrégulièrement en France le 18 décembre 2016. Il a été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département d'Ille-et-Vilaine à compter du 21 décembre suivant puis placé sous tutelle par une décision du 21 décembre 2017. Sa demande de délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a été rejetée par une décision du préfet d'Ille-et-Vilaine du 14 septembre 2018. Par un jugement du 11 juillet 2019 dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Rennes a rejeté son recours au fond contre cette décision.

Sur la légalité de la décision du préfet d'Ille-et-Vilaine du 14 septembre 2018 :

2. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Enfin, l'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

4. Pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. A..., le préfet s'est fondé sur la circonstance que le jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance et l'extrait du registre de l'état civil qu'il a produits ne permettent pas d'établir l'état civil de l'intéressé, dès lors qu'ils n'ont pas été égalisés et n'ont pas été dressés conformément à la réglementation guinéenne puisqu'ils comportent des dates rédigées en chiffres et que le délai d'appel de dix jours entre le jugement supplétif et sa transcription sur le registre de l'état civil n'avait pas été respecté, en méconnaissance des dispositions du code civil guinéen.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour, M. A... a produit un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance n° 1585 du tribunal de première instance de Labé du 2 novembre 2017 ainsi que l'extrait de l'acte de naissance n° 488 du 10 novembre 2017 dressé dans les registres de l'état civil en transcription de ce jugement supplétif, ces deux documents ayant été légalisés le 21 décembre 2017. Tout d'abord, la circonstance que le délai d'appel de dix jours n'a pas été respecté avant la transcription du jugement supplétif dans les registres d'état civil est sans incidence sur l'authenticité de ce jugement supplétif, dont le caractère probant n'est pas davantage remis en cause par le fait que la date de naissance qui y figure est partiellement mentionnée en chiffres, l'article 179 du code civil guinéen qui prescrit une mention en toutes lettres étant relatif aux actes de naissance et l'extrait d'acte produit par M. A... étant au demeurant conforme à ses dispositions. Le préfet ne remet par ailleurs pas sérieusement en cause la validité de la légalisation des deux actes produits, à laquelle ont procédé la direction des affaires juridiques et consulaires du ministère guinéen des affaires étrangères ainsi qu'un attaché de l'ambassade de Guinée en France, en se bornant à faire valoir qu'il n'est pas établi que l'agent du consulat de Guinée avait reçu délégation pour ce faire et en produisant à cette fin l'organigramme de l'ambassade de Guinée en France, et alors que le caractère probant de ces deux actes est de surcroît corroboré par les mentions concordantes portées sur la carte d'identité consulaire qui a été délivrée à M. A... par l'ambassade de Guinée à Paris le 18 décembre 2017. Par suite, la décision contestée du 14 septembre 2018 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a rejeté la demande de titre de séjour de M. A... au motif qu'il ne justifiait pas de son état civil par des documents probants méconnaît les dispositions précitées des articles L. 111-6 et R. 313-2-2 du CESEDA ainsi que celles de l'article 47 du code civil.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu, et après avoir vérifié qu'aucun autre moyen opérant et fondé n'était susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, le présent arrêt implique seulement que, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, le préfet d'Ille-et-Vilaine réexamine la demande de titre de séjour présentée par M. A... et délivre à celui-ci, dans l'attente, un récépissé de demande de carte de séjour en application des dispositions des articles R. 311-4 et R. 311-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'adresser au préfet d'Ille-et-Vilaine une injonction en ce sens et de fixer à deux mois le délai imparti pour son exécution.

Sur les frais d'instance :

8. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Ainsi son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à lui verser au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1805551 du tribunal administratif de Rennes du

11 juillet 2019 et la décision du préfet d'Ille-et-Vilaine du 14 septembre 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans cette attente un récépissé de demande de titre de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Me B... la somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de sa renonciation à la perception de la part contributive de l'Etat dans le cadre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera transmise au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 4 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme E..., présidente-assesseure,

- M. Berthon, premier conseiller,

- Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 juin 2020.

Le rapporteur

M. C...La présidente

N. E...Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°19NT03908


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03908
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : LE BIHAN

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-06-19;19nt03908 ?
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