La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/05/2020 | FRANCE | N°18NT02702

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 15 mai 2020, 18NT02702


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) à l'indemniser pour les préjudices moral et financier qu'elle estime avoir subi en raison, d'une part, d'une rupture d'égalité, et, d'autre part, de comportements discriminatoires dont elle a été victime, les sommes allouées portant intérêts de retard, les intérêts étant capitalisés, enfin de mettre à la charge de l'AEFE la somme de 3 000 euros, pour chacune de ses dem

andes, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justic...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) à l'indemniser pour les préjudices moral et financier qu'elle estime avoir subi en raison, d'une part, d'une rupture d'égalité, et, d'autre part, de comportements discriminatoires dont elle a été victime, les sommes allouées portant intérêts de retard, les intérêts étant capitalisés, enfin de mettre à la charge de l'AEFE la somme de 3 000 euros, pour chacune de ses demandes, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement nos 1510686 et 1604960 du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 juillet 2018 et le 24 juin 2019, Mme C..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 mai 2018 ;

2°) de condamner l'agence pour l'enseignement français à l'étranger à lui verser, en réparation des préjudices qu'elle a subis, les sommes de 46 736 euros et de 35 000 euros, ces sommes portant intérêts et capitalisation des intérêts;

3°) de mettre à la charge de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger le versement de la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative au titre du litige de première instance ;

4°) de mettre à la charge de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative au titre de l'instance d'appel.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier ; d'une part, ce jugement est intervenu en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, sa minute ne comportant pas l'ensemble des signatures requises ; d'autre part, le tribunal ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;

- au fond, sa situation a été mal comprise des premiers juges et la responsabilité pour faute de l'AEFE est engagée ;

- d'une part, l'AEFE a méconnu le principe d'égalité de traitement de ses agents dès lors qu'il existe une différence de traitement entre elle-même à son arrivée au sein du lycée à la rentrée 2014 et certains de ses collègues résidents affectés auparavant qui sont logés à moindre coût par l'AEFE, alors qu'ils ont le même statut et exercent leurs fonctions dans des conditions identiques ; l'AEFE n'a pas, contrairement à ce qui est avancé, été contrainte par les autorités d'Abu Dhabi de libérer certains logements ; elle a choisi, en procédant à l'agrandissement de l'établissement, de ne pas conserver les logements de ses professeurs ; la prime d'installation destinée à compenser la difficulté que peuvent rencontrer certains résidents à se loger sur place s'est avérée trop faible ;

- d'autre part, l'AEFE a commis un détournement de procédure en la recrutant sur un statut de résident, qui est moins avantageux que celui des expatriés puisque ces derniers bénéficient d'une indemnité d'expatriation ; en effet, l'AEFE détourne le régime juridique du statut de résident en offrant un contrat de résident aux professeurs titulaires qu'elle recrute à distance, système de recrutement qu'elle qualifie elle-même de " personnels résidents à recrutement différé " ; ces enseignants signent, en effet, un premier contrat de droit local d'une durée de trois mois avant que ne leur soit proposé un contrat résident ; si l'AEFE fait valoir que les postes sous contrat d'expatrié sont limités à des fonctions particulières prédéterminées, cette pratique ne repose sur aucun fondement légal ou réglementaire ; elle exerçait en tout état de cause l'une de ces fonctions particulières en qualité " d'enseignant du second degré exerçant une mission de conseil pédagogique " et a écrit d'ailleurs un livre de conseil pédagogique ; elle aurait dû être recrutée sur un contrat d'expatrié car lors de son recrutement elle résidait à Paris et non à Abu Dhabi ; ce critère de résidence est rappelé à l'article D. 911-43 du code de l'éducation ; l'AEFE a méconnu l'article 2 du décret n° 2002-22 du 4 janvier 2002 relatif à la situation administrative et financière des personnels des établissements d'enseignement français à l'étranger ;

- enfin, elle est fondée à exciper de l'illégalité de l'article 2 du décret du 4 janvier 2002 dans la mesure où il limite les contrats d'expatrié à des fonctions particulières arrêtées par le directeur de l'agence ; ce texte instaure une différence de traitement entre les agents, qui est directement fondée sur la fonction exercée ; or cette différence de traitement ne peut être justifiée par une différence de situations ou un motif d'intérêt général ;

- elle a subi des préjudices du fait de cette rupture d'égalité : un préjudice moral, qui peut être évalué à hauteur de 20 000 euros ; un préjudice financier, d'une part, qui tient au différentiel entre le montant de ses loyers et le montant qu'elle aurait dû régler si elle avait disposé d'un logement à conditions avantageuses comme ses collègues résidents, montant qui peut être évalué, pour la période de septembre 2014 à septembre 2016, à 46 736 euros, et d'autre part, qui tient à la différence de rémunération entre un professeur sous contrat de résident et un professeur expatrié et qui peut être évalué forfaitairement à la somme de 15 000 euros ;

- par ailleurs, c'est à tort tout d'abord que les premiers juges ont estimé que l'AEFE n'avait pas méconnu les dispositions des articles 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; elle a été privée d'un aménagement de son poste de travail et d'un accompagnement particulier ; la faute de l'AEFE ne consiste pas, en effet, dans le fait d'avoir organisé une visite médicale le 24 février 2016 soit plus d'une année après qu'elle a acquis la qualité de travailleur handicapé ; la faute consiste dans le fait qu'elle n'a trouvé au sein de l'AEFE aucun dispositif lui permettant de faire valoir ses droits ; elle a informé ses responsables de ce que son état de santé nécessitait un aménagement de son poste de travail afin qu'elle ne travaille pas plus de quatre heures consécutives par jour ; or les emplois du temps, qu'elle n'a pas acceptés, étaient soit, non conformes à cette prescription médicale s'agissant du 1er semestre de l'année 2015/2016, soit conformes à cette prescription mais réduisant illégalement le nombre de ses heures s'agissant du second semestre de l'année 2015/2016 ; en outre, l'AEFE a attendu le 24 février 2016, soit plus de six mois après qu'un médecin a recommandé un aménagement de son poste de travail, pour organiser une visite médicale ; elle n'a d'ailleurs été reçue que par un médecin conseil auprès de l'ambassade de France ;

- c'est également à tort que les premiers juges ont estimé que l'AEFE n'avait pas méconnu les dispositions des articles 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; elle a été victime de harcèlement moral ; elle a fait l'objet de dénigrement et de mesures d'intimidations ; à partir du moment où elle a dénoncé sa situation précaire, elle a subi un certain nombre d'agissements particulièrement malveillants.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2019, l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme C... le versement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n°2002-22 du 4 janvier 2002 ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me E... substituant Me A...-G..., représentant Mme C... et de Me B..., représentant l'agence pour l'enseignement français à l'étranger.

Une note en délibéré, présentée pour l'agence pour l'enseignement français à l'étranger, a été enregistrée le 19 mars 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., professeur du second degré, a été affectée en 2014 auprès de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) afin d'exercer les fonctions de professeur de sciences de la vie et de la terre (SVT) au lycée Louis-Massignon à Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis). Elle a d'abord, pour la période courant du 1er septembre au 30 novembre 2014, été placée en disponibilité et a travaillé pour cet établissement public sur la base d'un contrat de droit local. Puis, tout en gardant les mêmes fonctions, elle a ensuite été recrutée par le biais d'un contrat dit de " personnel résident " signé le 7 octobre 2014 et la recrutant comme professeur de SVT pour la période du 1er décembre 2014 au 31 août 2017. L'intéressée, venue avec sa famille à Abu Dhabi, a cependant été confrontée à d'importantes difficultés financières en lien avec le coût de la vie, en particulier en raison du montant très élevé des loyers locaux, difficultés accentuées par la dépréciation de l'euro par rapport à la monnaie locale. Estimant être placée dans une situation moins favorable que certains de ses collègues exerçant leurs fonctions dans les mêmes conditions mais bénéficiant de facilités de logement ou d'avantages financiers résultant de leur statut de " personnel expatrié ", elle a fait état de ses difficultés auprès du chef d'établissement, de l'AEFE ainsi que des autorités ministérielles. Bien que reçue le 17 août 2015 au siège de l'AEFE situé à Paris, ses demandes sont cependant demeurées sans effets. Par un courrier du 30 octobre 2015, Mme C... a alors demandé à l'AEFE de l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subi du fait d'une rupture d'égalité de traitement en ce qui concerne la situation des personnels de l'Etat affectés à Abu Dhabi. Cette demande a été rejetée par une décision de l'AEFE du 28 décembre 2015.

2. Par ailleurs, par un courrier du 7 mars 2016, elle demandé à cet établissement, de l'indemniser des préjudices qu'elle estimait avoir également subi du fait de comportements discriminatoires liés à l'absence de reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé et à la dégradation de ses conditions de travail.

3. Par une première requête, présentée le 28 décembre 2015, Mme C... a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de l'AEFE à réparer les préjudices moraux et financiers subis du fait de la situation liée à son affectation à Abu Dhabi. Par une seconde requête, présentée le 15 juin 2016, elle a demandé à être indemnisée des préjudices résultant du refus de prise en compte de sa situation de handicap et du harcèlement dont elle estime avoir été la cible. Par un jugement du 22 mai 2018, dont Mme C... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a, après les avoir jointes, rejeté ces deux demandes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article R 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué en date du 22 mai 2018 comporte les signatures exigées par ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'irrégularité au regard de ces dispositions ne peut qu'être écarté.

5. En second lieu, et contrairement à ce que soutient Mme C..., les premiers juges ont, aux points 10 à 13 du jugement attaqué, répondu au moyen qu'elle avait présenté et tiré de l'existence de faits constitutifs de harcèlement et d'une discrimination à la suite des démarches engagées par elle-même pour améliorer la situation financière des professeurs résidents à Abu Dhabi. Le tribunal, s'il n'a pas cité l'article 3 de la loi n° 2008-496 du 27 mars 2008 " portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ", a cependant, après avoir rappelé précisément le cadre juridique applicable, en particulier l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 " relative aux droits et obligations des fonctionnaires " et les principes régissant la dialectique de la preuve, répondu aux différents faits et agissements reprochés à l'AEFE. Par suite, les premiers juges n'ont pas entaché leur jugement d'un défaut de réponse à un moyen.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité pour illégalité fautive de l'AEFE lors du recrutement de Mme C... :

S'agissant du refus de mise à disposition d'un logement :

6. Il résulte de l'instruction que Mme C..., qui a dû, dès son arrivée en septembre 2014, acquitter un loyer très élevé, a été placée dans une situation moins favorable que certains de ses collègues recrutés auparavant sur la base des mêmes dispositions réglementaires et qui ont été logés à moindre coût par cet établissement bien qu'exerçant leurs fonctions dans des conditions identiques aux siennes. Toutefois, à l'exception des agents logés par nécessité absolue de service, l'AEFE n'est tenue par aucun texte de mettre des logements à la disposition des nouveaux agents recrutés. L'AEFE indique également, sans être contredite, qu'elle a procédé à une réutilisation de ses locaux amenant certains des personnels résidents recrutés avant 2014 à libérer leur logement. Enfin, il est constant que l'AEFE a accordé à la requérante en septembre 2014 une prime d'installation dont le montant avait été fortement réévalué pour tenir compte précisément des difficultés de logement et des contraintes propres à la réglementation locale en matière de loyer. Si la requérante soutient que cette indemnité aurait été notoirement insuffisante, elle ne le démontre pas. Dans ces conditions, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que l'AEFE, en refusant de mettre un logement à sa disposition, aurait méconnu le principe d'égalité de traitement de ses agents et aurait ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son égard.

S'agissant des modalités de recrutement de Mme C... :

7. Aux termes de l'article D. 911-42 du code de l'éducation : " Les articles D. 911-43 à D. 911-52 fixent les modalités relatives à la situation administrative des fonctionnaires relevant de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, placés en position de détachement pour servir dans les établissements situés à l'étranger suivants : 1°) Établissements d'enseignement dépendant du ministère des affaires étrangères en application des articles D. 452-1 et suivants relatifs à l'administration et au fonctionnement de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et du décret no 79-1016 du 28 novembre 1979 relatif à l'administration et au fonctionnement de l'office universitaire et culturel français pour l'Algérie ; 2°) Établissements ayant passé une convention administrative, financière et pédagogique avec l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ; 3°) Établissements dont le fonctionnement en matière administrative, financière et pédagogique a fait l'objet d'un traité ou accord international. La liste de ces établissements est arrêtée conjointement par le ministre des affaires étrangères et le ministre chargé du budget. Les modalités de calcul des émoluments de ces fonctionnaires sont fixées par le décret n°2002-22 du 4 janvier 2002 relatif à la situation administrative et financière des personnels des établissements d'enseignement français à l'étranger. ". Aux termes de l'article 2 du décret n° 2002-22 du 4 janvier 2002 relatif à la situation administrative et financière des personnels des établissements d'enseignement français à l'étranger, codifié à l'article D. 911-43 du code de l'éducation : " Ces fonctionnaires sont détachés auprès de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) pour servir, à l'étranger, dans le cadre d'un contrat qui précise la qualité de résident ou d'expatrié, la nature de l'emploi et les fonctions exercées, la durée pour laquelle il est conclu et les conditions de son renouvellement. Les types de contrat sont arrêtés par le directeur de l'agence après consultation du comité technique. Pour les expatriés, le contrat est accompagné d'une lettre qui précise leur mission. / Les personnels expatriés sont recrutés par l'agence, après avis de la commission consultative paritaire centrale compétente, hors du pays d'affectation, sur des postes dont la liste limitative est fixée chaque année par le directeur de l'agence. / Les personnels résidents après avis de la commission consultative paritaire locale compétente de l'agence quand elle existe sont recrutés par l'agence sur proposition du chef d'établissement. / Sont considérés comme personnels résidents les fonctionnaires établis dans le pays depuis trois mois au moins à la date d'effet du contrat. / Sont également considérés comme résidents les fonctionnaires qui, pour suivre leur conjoint ou leur partenaire avec lequel ils sont liés par un pacte civil de solidarité, résident dans le pays d'exercice ou de résidence de ce conjoint ou de ce partenaire. ".

8. Il résulte de l'instruction que Mme C... a été recrutée par l'AEFE, par contrat signé le 7 octobre 2014 avec prise d'effets au 1er décembre 2014, en qualité de " personnel résident " au sens des dispositions citées au point 7. Cependant, pour que ce recrutement satisfasse à la condition, rappelée au même point 7, d'une durée de présence de trois mois, à la date d'effet du contrat, dans le pays d'exercice des fonctions, Mme C... avait initialement signé à Nantes, alors qu'elle était encore en exercice sur le territoire français, un contrat régi par le droit local d'Abu Dhabi d'une durée de trois mois courant du 1er septembre au 30 novembre 2014, pour exercer initialement, après mise en disponibilité par son administration, les mêmes fonctions que celles prévues par le contrat signé le 7 octobre 2014. De plus, lors de la signature à Nantes de ce contrat de statut " local ", l'intéressée avait été destinataire d'une lettre de mission normalement demandée dans l'hypothèse de la signature d'un contrat de " personnel expatrié ". Si l'AEFE soutient que cette pratique d'un " recrutement différé " en deux étapes serait conforme aux dispositions citées au point 7, aucune de ces dispositions ni aucun autre texte légal ou réglementaire ne prévoit le recrutement d'un agent exerçant initialement en France par l'intermédiaire d'un contrat de droit local. A cet égard, l'AEFE ne peut utilement se référer, pour justifier sa position, à sa propre doctrine exposée sur son site internet, la doctrine en question, non conforme aux dispositions réglementaires en vigueur, étant dépourvue de toute portée. Enfin, il résulte de l'instruction que la requérante est fondée à soutenir que cette pratique de " recrutement différé " a, en réalité, pour seul objet de priver délibérément du bénéfice du statut de " personnel expatrié ", plus favorable en ce qui concerne le montant des indemnités allouées ainsi que la prise en charge des frais de logement, des agents qui auraient normalement vocation à en bénéficier en raison de leur recrutement en France et de l'expatriation résultant de leur nouvelle affectation à l'étranger.

9. Pour s'exonérer de sa responsabilité, l'AEFE fait également valoir qu'en tout état de cause Mme C... n'exercerait pas des fonctions justifiant que lui soit accordé le statut de " personnel expatrié ", puisque les fonctions exercées par la requérante ne figuraient pas sur la liste des emplois, arrêtée par le directeur de cet établissement public, donnant droit au statut de " personnel expatrié ". Cependant, l'agence ne peut utilement faire référence à cette liste dès lors que celle-ci a été établie en méconnaissance des dispositions de l'article D. 911-43 du code de l'éducation. En effet, il résulte de l'instruction que le directeur de l'agence a défini, de manière permanente, une liste limitative de fonctions donnant droit au bénéfice du statut " de personnel expatrié " et que, ce faisant, il a méconnu les dispositions de l'article D. 911-43 du code de l'éducation qui lui faisaient obligation de dresser, annuellement, dans chaque établissement géré par l'agence, la liste limitative des postes régis par ce statut de " personnel expatrié " proposés à l'affectation. Au demeurant, la reconnaissance du statut de " personnel expatrié " n'est pas liée à la nature et au niveau des fonctions exercées par le fonctionnaire concerné mais à la constatation effective que, quel que soit le niveau et la nature des fonctions qu'il exerce, il a été recruté en France pour exercer à l'étranger. Par suite, la liste ainsi irrégulièrement établie ne peut justifier légalement le refus opposé à Mme C... de lui accorder le statut de " personnel expatrié ".

10. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que les décisions par lesquelles l'AEFE a procédé à son recrutement sur la base d'un contrat de trois mois régi par le droit local d'Abu Dhabi, afin de lui appliquer par la suite le statut de " personnel résident ", et a refusé de lui accorder le bénéfice du statut de " personnel expatrié ", sont entachées d'un détournement de procédure et que l'illégalité de ces décisions, aggravée en l'occurrence par un manque de loyauté de l'administration à l'égard de son agent, est constitutive d'une faute de l'AEFE de nature à engager la responsabilité de cet établissement public. En conséquence, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation pour faute de l'AEFE à raison des irrégularités commises dans le cadre de son recrutement comme professeur de SVT au lycée Louis-Massignon à Abu Dhabi.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés :

11. Aux termes de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, les employeurs visés à l'article 2 prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 323-3 du code du travail d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer et d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, sous réserve que les charges consécutives à la mise en oeuvre de ces mesures ne soient pas disproportionnées, notamment compte tenu des aides qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur. ".

12. Il résulte de l'instruction, et notamment des écritures de l'AEFE, que, dès le 11 septembre 2014, Mme C... a fait connaitre à cet établissement son statut de travailleur handicapé en lui communiquant l'accusé de réception de sa demande de renouvellement de reconnaissance de cette qualité auprès de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) des Alpes-Maritimes. Par ailleurs, Mme C... soutient, sans être contestée, qu'à plusieurs reprises, de janvier à juin 2015, elle a demandé en vain un rendez-vous avec le médecin de prévention afin d'obtenir une évaluation de ses besoins pour la compensation de son handicap. Il résulte également de l'instruction que ce n'est que le 24 février 2016 que cet agent a été reçu par le médecin conseil affecté à l'ambassade de France à Abu Dhabi. Un tel délai, qui ne saurait être justifié par la circonstance qu'il n'existait pas de médecin de prévention à Abu Dhabi, est de nature à caractériser une faute de l'AEFE. De plus, il résulte de l'instruction que la requérante a été dans l'obligation de consulter, lors de son passage à Paris au mois d'août 2015, effectué à ses frais, un médecin qui a certifié que " son état de santé nécessitait un aménagement de son poste de travail afin qu'elle ne travaille pas plus de 4 heures consécutives par jour ". Ces prescriptions ont, le 25 août 2015, été portées à la connaissance des responsables du lycée Louis-Massignon. Si des propositions d'aménagement d'emploi du temps ont alors été faites à Mme C..., ces propositions ne répondaient qu'en partie aux préconisations médicales mentionnés plus haut alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que, contrairement à ce qui est avancé par l'AEFE, elles auraient été acceptées par la requérante. En tout état de cause, ces démarches n'ont été engagées que tardivement du fait de la carence de l'AEFE, évoquée ci-dessus, pour organiser un rendez-vous médical avec Mme C....

13. Par suite, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions tendant à ce que la responsabilité de l'AEFE soit engagée du fait de la méconnaissance par cet établissement public des dispositions de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983.

En ce qui concerne le harcèlement moral :

14. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés...".

15. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

16. Si, comme il a été rappelé ci-dessus, l'AEFE n'a pas toujours été suffisamment attentive aux demandes présentées par Mme C... quant à la dégradation de ses conditions de vie locales et est restée inactive pendant plusieurs mois s'agissant de la prise en compte de sa situation de travailleur handicapé, il ne résulte toutefois pas de l'instruction, en l'absence d'éléments suffisamment probants versés au dossier par l'intéressée, qu'elle aurait fait l'objet d'un dénigrement systématique de la part du chef de son établissement ou de mesures d'intimidations de la part de son administration. Par ailleurs, la tenue de propos l'invitant, à la suite de la réitération de ses démarches, à réintégrer son affectation d'origine ne caractérisent pas, en dépit de leur maladresse, une réelle volonté de harcèlement. Ainsi, les différents éléments avancés par Mme C... ne permettent pas, en dépit de l'absence d'écoute de son administration, d'établir l'existence d'un harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. En conséquence, la requérante n'est pas fondée à soutenir que ce serait à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à ce que soit engagée la responsabilité de l'AEFE pour ce motif.

17. Il résulte de ce tout qui précède que Mme C... est seulement fondée, compte tenu des fautes retenues à l'encontre de l'AEFE évoquées aux points 7 à 10 et 11 à 13, à demander la condamnation de cet établissement à raison des décisions illégales et agissements fautifs en cause, et à obtenir réparation des préjudices en découlant directement.

Sur les préjudices :

18. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 6, Mme C... ne peut prétendre à être indemnisée d'un préjudice lié aux frais qu'elle a engagés pour se loger pendant sa période d'activité au lycée Louis-Massignon à Abu Dhabi.

19. En deuxième lieu, Mme C... a subi un préjudice de rémunération dès lors, ainsi qu'il a été rappelé aux points 8, 9 et 10, qu'elle n'a pas été recrutée dans le cadre d'un contrat de professeur expatrié lui donnant droit aux avantages prévus en faveur des agents recrutés directement en France pour exercer leurs fonctions à l'étranger. Cependant, les pièces du dossier ne permettent pas de procéder à l'évaluation exacte du montant de l'indemnité qui doit être versée à Mme C... en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive commise par l'AEFE. Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer la requérante devant son administration afin que celle-ci procède, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, tout d'abord, à un nouvel examen de la situation de Mme C... après prise en compte du droit au bénéfice du statut " de personnel expatrié " qui lui est reconnu par le présent arrêt au titre de la période courant du mois de septembre 2014 au mois de septembre 2016, au cours de laquelle elle a été affectée au lycée Louis-Massignon à Abu Dhabi, puis, au paiement de l'indemnité due à la requérante correspondant à la différence entre la rémunération qu'elle a effectivement perçue au titre de cette période et la rémunération à laquelle elle pouvait prétendre en qualité de " personnel expatrié " au cours de cette même période.

20. Enfin, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme C... en lien direct avec les fautes commises par l'AEFE dans la gestion de sa situation, du fait de la dégradation de ses conditions de travail et de vie pendant la période en cause, liée à la prise en compte tardive de sa situation de handicap ayant entrainé son placement en congé de maladie reconnue imputable au service, ainsi que de la méconnaissance par l'AEFE de son devoir de loyauté envers son agent, en lui allouant une somme globale de 15 000 euros à ce titre.

Sur les intérêts :

21. L'indemnité versée par l'AEFE en application du point 19 du présent arrêt portera intérêts à compter du 30 octobre 2015. L'indemnité de 15 000 euros mise à la charge de l'AEFE en application du point 20 du présent arrêt portera intérêt à compter du 7 mars 2016.

Sur les intérêts des intérêts :

22. La capitalisation des intérêts peut être demandée tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée devant le tribunal administratif le 4 novembre 2015. Il y a donc lieu de faire droit à la demande de Mme C... à compter du 30 octobre 2016, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie principalement perdante, le versement de la somme que l'AEFE demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AEFE, partie principalement perdante, le versement à Mme C... des sommes de 1 500 euros et de 2 500 euros au titre des frais respectivement exposés par cette dernière devant le tribunal administratif et devant la cour et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement nos 1510686/1604960 du tribunal administratif de Nantes du 22 mai 2018 est annulé.

Article 2 : L'agence pour l'enseignement français à l'étranger est condamnée à verser à Mme C... la somme de 15 000 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 4 novembre 2015, ces intérêts étant capitalisés à compter du 4 novembre 2016 pour porter eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Mme C... est renvoyée devant le directeur de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger pour qu'il soit procédé, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, à la liquidation et au paiement d'une indemnité correspondant à la différence entre la rémunération qui lui a été versée au cours de son affectation au lycée Louis-Massignon d'Abu Dhabi et la rémunération à laquelle elle pouvait prétendre, au titre de cette même affectation, en qualité de " personnel expatrié " au sens de l'article D. 911-43 du code de l'éducation. L'indemnité ainsi liquidée portera intérêt à compter du 4 novembre 2015, ces intérêts étant capitalisés à compter du 4 novembre 2016 pour porter eux-mêmes intérêts.

Article 4 : L'agence pour l'enseignement français à l'étranger versera à Mme C..., sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative, les sommes de 1 500 euros et de 2 500 euros au titre des frais d'instance exposés par elle tant devant le tribunal administratif que devant la cour.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête ainsi que les conclusions présentées par l'agence pour l'enseignement français à l'étranger tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... C... et à l'agence pour l'enseignement français à l'étranger.

Délibéré après l'audience du 6 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. D..., premier conseiller,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 15 mai 2020.

Le président,

H. LENOIR

La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°18NT02702


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02702
Date de la décision : 15/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - DÉTOURNEMENT DE POUVOIR ET DE PROCÉDURE - DÉTOURNEMENT DE PROCÉDURE.

01-06-02 Sont entachées de détournement de procédure les décisions de l'Agence française pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) procédant au recrutement d'une fonctionnaire, résidant initialement en France, par le biais d'un contrat de travail d'une durée de trois mois régi par le droit du pays d'accueil (« contrat de droit local »), puis, dans un deuxième temps, au recrutement de ce même agent sur la base du statut dit de « personnel résident » défini par l'article D.911-43 du code de l'éducation, ces deux décisions ayant pour seul objet de priver délibérément l'intéressée du bénéfice du statut de « personnel expatrié ».

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITÉ - RESPONSABILITÉ ET ILLÉGALITÉ - ILLÉGALITÉ ENGAGEANT LA RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE.

60-01-04-01 Engagent la responsabilité de l'AEFE les décisions, illégales car entachées de détournement de procédure, par lesquelles elle procède au recrutement d'une fonctionnaire, résidant initialement en France, par le biais d'un contrat de travail d'une durée de trois mois régi par le droit du pays d'accueil (« contrat de droit local »), puis, dans un deuxième temps, au recrutement de ce même agent sur la base du statut dit de « personnel résident » défini par l'article D.911-43 du code de l'éducation, ces deux décisions ayant pour seul objet de priver délibérément l'intéressée du bénéfice du statut de « personnel expatrié ».


Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : ATHON-PEREZ

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-05-15;18nt02702 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award