Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Armand Cardeux à lui verser la somme de 62 833 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 6 mai 2011 la plaçant en congé de maladie ordinaire à compter du 27 avril 2010.
Par un jugement n° 1504143 du 24 mai 2018, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 juillet 2018 et 16 décembre 2019 Mme B..., représentée par la SCP Borie et associé, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 24 mai 2018 ;
2°) de condamner l'EHPAD Armand Cardeux à lui verser la somme totale de de 62 833 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 6 mai 2011 la plaçant en congé maladie ordinaire à compter du 27 avril 2010, au besoin après avoir ordonné une expertise afin de se prononcer sur l'imputabilité au service des arrêts maladie dont elle fait l'objet depuis le 27 avril 2010, de déterminer la date de consolidation de son état de santé et d'évaluer les préjudices qu'elle a subis ;
3°) de mettre à la charge de l'EHPAD Armand Cardeux le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur la demande d'expertise ;
- son action n'est pas prescrite car le point de départ du délai de prescription quadriennale n'est pas l'édiction de la décision contestée mais sa notification régulière à l'intéressé ;
- la décision du 6 mai 2011 est entachée d'un vice de procédure qui a exercé une influence sur le sens de la décision en litige ; elle n'a jamais été avisée de la tenue de la réunion de la commission de réforme du 19 avril 2011, n'a pas été mise en mesure de présenter des observations et n'a pas été destinataire de l'avis de la commission, qui n'est pas visé dans cette décision du 6 mai 2011 et qui lui était favorable ; elle a été privée d'une garantie ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de fait et procède d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle a mis fin à son congé pour accident de service à compter du 27 avril 2010 alors que son état de santé n'était pas consolidé, que le diagnostic de sa lésion n'a été posé que le 9 septembre 2010, et qu'elle n'a pu reprendre son travail que le 2 juillet 2012 dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique ;
- elle a droit à l'intégralité de son traitement jusqu'à la reprise de son activité à cette dernière date soit 6 184,70 euros au titre de la perte de salaire, 8 138 euros au titre des indemnités compensatoires, 600 euros au titre de l'avancement et 3 150 euros au titre des primes, pour un montant total de 51 206 euros ;
- elle doit être indemnisée de la décote qu'elle a subie au titre de sa retraite, à hauteur de 32 400 euros, dès lors que les indemnités de coordination perçues à partir du 27 juillet 2011 n'ouvrent pas droit à la retraite ;
- les frais médicaux restés à tort à sa charge s'élèvent à 1 807 euros ;
- les souffrances physiques et morales endurées du fait de l'accident de service doivent lui être indemnisées à hauteur de 5 000 euros ;
- du fait de la précarité dans laquelle l'a placée la décision du 6 mai 2011, elle a subi des troubles dans ses conditions d'existence qu'il y a lieu d'indemniser à hauteur de 5 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 28 octobre 2019 l'EHPAD Armand Cardeux, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable en ce qu'elle ne demande qu'une annulation partielle du jugement ;
- elle est irrecevable car la décision dont l'illégalité est invoquée est devenue définitive ;
- elle est atteinte par la prescription de la créance, dès lors que Mme B... était informée dès 2010 de ce qu'elle avait été placée en congé de maladie ordinaire ;
- aucun des moyens soulevés par Mme B... n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., substituant Me D..., avocat de l'EHPAD Armand Cardeux.
Une note en délibéré, enregistrée le 13 mars 2020, a été produite pour l'EHPAD Armand Cardeux.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... B..., née en 1970, est aide-soignante à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Armand Cardeux, situé à
Nohant-en-Gout (Cher). Le 25 décembre 2008, à la suite d'un mouvement brutal effectué pour retenir un patient qui allait chuter à l'occasion du transfert de son lit vers son fauteuil, elle a ressenti une vive douleur dans le bas ventre et une hernie para abdominale côté droit a été suspectée. Aucune anomalie n'a toutefois été décelée en dépit de nombreux examens exploratoires. L'imputabilité au service de cet accident a été reconnue par la commission de réforme le 18 septembre 2009 et les arrêts de travail et les soins dont l'intéressée a bénéficié jusqu'au 27 avril 2010 ont été pris en charge à ce titre. Par une décision du 6 mai 2011, la directrice de l'EHPAD a mis fin à cette imputabilité au service et placé Mme B... en congé de maladie ordinaire avec effet au 27 avril 2010. Cette dernière a en conséquence perçu un plein traitement jusqu'au 27 juillet 2010 puis un demi-traitement jusqu'au 27 avril 2011, et n'a ensuite plus perçu que des indemnités de coordination jusqu'à la reprise de son activité au mois de juillet 2012. Par un courrier du 3 septembre 2015, Mme B... a présenté à l'EHPAD une réclamation indemnitaire fondée sur l'illégalité de la décision du 6 mai 2011, qui a été rejetée le 27 octobre 2015. Mme B... relève appel du jugement du 24 mai 2018 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis dans ces conditions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ne relève que de l'office du juge d'apprécier la nécessité d'ordonner une mesure d'expertise. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le jugement du tribunal administratif d'Orléans serait entaché d'irrégularité au motif que ce dernier n'aurait pas statué sur la demande d'expertise qu'elle a présentée devant lui.
Sur la prescription quadriennale :
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ".
4. Lorsqu'est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise mais à celui au cours duquel elle a été valablement notifiée à son destinataire ou portée à la connaissance du tiers qui se prévaut de cette illégalité. Il est constant que la décision du 6 mai 2011 a été notifiée à Mme B... le 12 mai suivant. Le délai de prescription a donc commencé à courir le 1er janvier 2012 pour expirer le 1er janvier 2016. Par suite, et en dépit de la circonstance que Mme B..., alertée par un bulletin de situation, aurait contesté son placement en congé ordinaire dans le courant de l'année 2010, la créance en litige n'était pas prescrite à la date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Caen le 17 décembre 2015.
Sur la responsabilité de l'EHPAD Armand Cardeux :
5. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. (...) ". Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à l'existence de troubles présentant un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou avec une maladie contractée ou aggravée en service, l'existence d'un état antérieur, fût-il évolutif, ne permettant d'écarter l'imputabilité au service de l'état d'un agent que lorsqu'il apparaît que cet état a déterminé, à lui seul, l'incapacité professionnelle de l'intéressé.
6. Pour décider de mettre fin à l'imputabilité au service des arrêts de travail rendus nécessaires par l'état de santé de Mme B... et placer cette dernière en congé de maladie ordinaire à compter du 27 avril 2010, la directrice de l'EHPAD Armand Cardeux s'est fondée sur la circonstance que la date de consolidation de l'état de santé de l'intéressée avait été fixée au 26 avril 2010 aux termes des conclusions administratives de l'expertise médicale réalisée le
jour-même. Mme B... soutient toutefois que les problèmes de santé qui l'ont tenue éloignée du service entre le 27 avril 2010 et le 2 juillet 2012, date à laquelle elle a été jugée apte à reprendre le service dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, étaient liés à l'accident de service dont elle a été victime le 25 décembre 2008.
7. Il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions de l'expertise médicale réalisée le 6 juin 2012 à la demande du comité médical, qu'après plusieurs examens médicaux infructueux, le diagnostic lésionnel des séquelles de l'accident de service dont Mme B... a été victime, constituées par une atteinte du muscle obturateur interne droit sans atteinte du nerf pudendal, accident qui a été reconnu imputable au service, " n'a été posé que tardivement,
vingt-et-un mois après l'accident ". Dans ces conditions, et alors qu'aucun élément ne permet d'affirmer que les arrêts de travail accordés à Mme B... à compter du 27 avril 2010 auraient une autre cause que la pathologie ayant pour origine l'accident survenu le 25 décembre 2008, l'inaptitude physique de cette dernière à reprendre ses fonctions d'aide-soignante doit être regardée comme ayant été imputable au service jusqu'à la date à laquelle elle a pu reprendre son activité, soit le 1er juillet 2012. Par suite, et en dépit de la circonstance que la date de consolidation de son état de santé aurait été fixée au 27 avril 2010, les troubles dont Mme B... demeurait affectée doivent être regardés comme ayant un lien direct avec l'accident de service survenu le 25 décembre 2008. Il suit de là que la décision de la directrice de l'EHPAD Armand Cardeux du 6 mai 2011, fondée sur une erreur d'appréciation, était, contrairement à ce qu'ont estimé les juges de première instance, illégale. Cette illégalité constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'établissement.
Sur les préjudices indemnisables :
8. En premier lieu, Mme B..., qui a repris son activité le 2 juillet 2012, avait droit à son plein traitement jusqu'au 1er juillet 2012. Il y a lieu en l'espèce de renvoyer Mme B... devant l'EHPAD Armand Cardeux pour la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux y compris les droits à pension, dont il y aura lieu pour son employeur de déduire toutes les sommes et indemnités éventuellement perçues en remplacement de son traitement, notamment de la part du Comité de gestion des oeuvres sociales des établissements hospitaliers publics.
9. En deuxième lieu, si Mme B... sollicite l'indemnisation des frais médicaux demeurés à sa charge ainsi que des souffrances physiques et morales endurées du fait de l'accident de travail qu'elle a subi, de tels préjudices, qui ne présentent pas de lien de causalité directe avec la décision de la directrice de l'EHPAD du 6 mai 2011, ne sont pas indemnisables au titre de la réparation des préjudices résultant de l'illégalité fautive de cette décision.
10. En troisième et dernier lieu, en se bornant à faire valoir l'état de précarité dans lequel elle se serait trouvée du fait de la décision du 6 mai 2011, Mme B..., qui avait la faculté de contester cette décision dès sa notification le 12 mai suivant, n'établit pas la réalité des troubles dans les conditions d'existence dont elle se prévaut.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande et, d'autre part, à demander, dans la mesure précisée au point 8 du présent arrêt, l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité fautive de la décision du 6 mai 2011.
Sur les frais de l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à chacune des parties la charge des frais exposés dans la présente instance.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1504143 du 24 mai 2018 du le tribunal administratif d'Orléans est annulé.
Article 2 : L'EHPAD Armand Cardeux est condamné à verser à Mme B... les sommes dues au titre de la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux, y compris les droits à pension, à raison d'un plein traitement jusqu'au 2 juillet 2012. Mme B... est renvoyée devant son employeur pour le calcul des sommes auxquelles elle a droit à ce titre, déduction faite des sommes et indemnités éventuellement perçues en remplacement de son traitement, notamment de la part du Comité de gestion des oeuvres sociales des établissements hospitaliers publics.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présenté par l'EHPAD Armand Cardeux sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié Mme C... B... et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Armand Cardeux.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2020 à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président,
- Mme F..., présidente-assesseure,
- Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 2 avril 2020.
Le rapporteur
M. E...Le président
I. PerrotLe greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18NT027762
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