Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle l'établissement public de santé mentale (EPSM) Etienne Gourmelen de Quimper a refusé de donner suite à sa demande de rente d'invalidité et, d'autre part, de condamner cet établissement à l'indemniser à hauteur de 300 000 euros des différents chefs de préjudice qu'elle estime avoir subis du fait de l'accident de service dont elle a été victime le 8 mai 2005.
Par un jugement n° 1505939 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Rennes, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l'annulation de la décision refusant de donner suite à sa demande de rente d'invalidité, a partiellement fait droit à ses conclusions indemnitaires en condamnant l'EPSM Etienne Gourmelen à lui verser la somme de 6 000 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 octobre 2018 Mme D..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 18 avril 2018 du tribunal administratif en ce qu'il a limité à 6 000 euros l'indemnisation qu'il lui a accordée et de porter celle-ci à 300 000 euros, cette somme portant intérêts au taux légal ;
2°) de mettre à la charge de l'Etablissement public de santé mentale Etienne Gourmelen, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 3 000 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif s'est mépris en jugeant que la responsabilité pour faute de l'EPSM n'était pas engagée ; son employeur était tenu à une obligation de résultat s'agissant des mesures de protection qu'il se devait de mettre en place pour la protection des travailleurs isolés ;
- la responsabilité de l'établissement doit avoir pour conséquence une réparation intégrale des préjudices qui ont résulté de cette faute ;
- elle est fondée à réclamer à son employeur une somme de 194 000 euros au titre de la perte de revenus et une somme de 20 000 euros au titre de son préjudice de carrière ;
- par ailleurs la somme accordée par le tribunal administratif sur le terrain de la responsabilité sans faute ne couvre pas l'ensemble des préjudices qu'elle a subis ;
- l'importance du syndrome post traumatique dont elle souffre a été à l'origine de plusieurs rechutes et de difficultés personnelles et familiales qui justifient, alors même que son état n'est pas consolidé, une indemnisation à hauteur de 30 000 euros en raison des souffrances morales endurées ;
- le déficit fonctionnel temporaire l'ayant empêchée de reprendre pleinement son travail jusqu'à sa retraite pour invalidité doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros ;
- son taux d'invalidité de 44% doit être indemnisé à hauteur de 20 000 euros ;
- les troubles qu'elle a rencontrés dans ses conditions d'existence justifient une indemnisation à hauteur de 20 000 euros ;
- elle est également fondée à réclamer 3 000 euros pour chacun de ses enfants au titre de leur préjudice d'affection et d'accompagnement.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 décembre 2019 l'établissement public de santé mentale Etienne Gourmelen, représenté par Me H..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme D... ne sont pas fondés.
Vu- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de Me F..., représentant Mme D..., et de Me E..., représentant l'EPSM Etienne Gourmelen.
Une note en délibéré a été produite le 14 février 2020 pour Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., infirmière de nuit à l'établissement public de santé mentale (EPSM) Etienne Gourmelen de Quimper, a subi le 8 mai 2005, alors qu'elle était en service, un important choc émotionnel alors qu'elle était le témoin de l'agression d'une collègue par un malade agité et qu'elle a dû appeler de l'aide pour mettre fin à l'incident. Cet événement a été reconnu comme imputable au service par une décision de l'EPSM du 21 février 2006. Mme D... a été ensuite placée en congé de maternité, puis en congé parental. Après avoir brièvement repris son travail en 2009, d'abord à temps partiel, puis à temps complet, elle a bénéficié d'un congé de formation à compter du 1er janvier 2010, jusqu'au mois de novembre 2011. Elle a cependant été victime d'une rechute fin 2011 et a alors alterné les périodes d'activité et d'arrêts de maladie jusqu'en 2015. La commission de réforme hospitalière a reconnu en avril 2015 son inaptitude totale et définitive à l'exercice des fonctions d'infirmière et émis un avis favorable à sa mise à la retraite pour invalidité, Mme D... obtenant également le bénéfice d'une rente d'invalidité de 30%. L'intéressée a adressé à son employeur une demande préalable d'indemnisation des différents chefs de préjudice qu'elle estimait avoir subis du fait de l'accident de service du 8 mai 2005, que l'EPSM a rejetée expressément le 29 décembre 2015. L'intéressée relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 18 avril 2018 en ce que ce dernier n'a que partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires dont elle l'avait saisi.
2. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
Sur la responsabilité pour faute de l'EPSM Etienne Gourmelen :
3. Malgré les pièces produites par Mme D..., en particulier des comptes-rendus de CHSCT, il ne résulte pas de l'instruction que l'établissement hospitalier aurait été défaillant en ce qui concerne la mise en place d'un plan local d'évaluation et de prévention des risques psychosociaux. Ni les circonstances de l'accident, au cours duquel la requérante, qui a donné l'alerte pour une de ses collègues agressées, n'a pas elle-même été blessée ni même touchée par le patient agité, ni les évolutions décrites par Mme D... relatives à la mise en place progressive dans l'établissement de moyens supplémentaires de prévention des accidents ne permettent d'établir que l'accident de service dont elle a été victime le 8 mai 2005 serait imputable à une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité de l'établissement. En effet, le fait d'être confronté au comportement violent d'un malade agité ne peut être regardé comme exceptionnel dans un établissement psychiatrique, et le choc émotionnel subi par Mme D... aurait été le même si elle-même ou sa collègue avaient été en possession d'un émetteur-récepteur permettant de donner l'alerte. Les griefs que Mme D... adresse en outre à son employeur en ce qui concerne son manque de compassion à son égard après l'évènement du 8 mai 2005 et les difficultés administratives rencontrées pour mener à bien son projet de réorientation professionnelle, à les supposer même établies, sont sans relation avec l'accident du 8 mai 2005 et ne peuvent, en tout état de cause, être regardés comme des éléments révélant un comportement fautif de l'établissement.
4. En l'absence de faute, les conclusions indemnitaires de Mme D... tendant à la réparation des préjudices patrimoniaux relatifs à une perte de revenus et à un préjudice de carrière qu'elle estime non réparés par la rente d'invalidité qui lui a été attribuée ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la responsabilité sans faute de l'EPSM :
5. Si Mme D... soutient qu'elle est en droit d'obtenir, au titre de la responsabilité sans faute de son employeur, la réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'évènement traumatisant dont elle a été témoin le 8 mai 2005, son employeur fait de son côté valoir que les troubles psychologiques dont souffre l'intéressée ne sont pas exclusivement imputables au stress subi lors de l'épisode violent dont elle a été témoin à cette date mais trouvent, au moins partiellement, leur origine dans la personnalité même de l'intéressée, et fait état à cet égard d'un " trouble bipolaire sous jacent ", d'un " vécu persécutif à l'encontre de son institution " ou de " personnalité sous-jacente de type cyclothymique ". Toutefois, l'état du dossier ne permet pas à la cour de distinguer les préjudices résultant de manière directe et certaine de l'accident de service du 8 mai 2005 de ceux qui sont ainsi susceptibles d'avoir une autre cause. Dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur la requête de Mme D..., d'ordonner une expertise contradictoire par un expert dont la mission est fixée ci-après.
D E C I D E :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de Mme D..., procédé à une expertise médicale par un expert désigné par le président de la cour. Cet expert aura pour mission de :
1°) se faire communiquer tous les documents médicaux utiles à sa mission, d'entendre tout sachant, examiner Mme D... et décrire son état actuel ;
2°) préciser si, et dans l'affirmative, dans quelle mesure l'état de santé qui est aujourd'hui celui de Mme D... est, en tout ou partie, imputable à l'évènement dont elle a été le témoin le 8 mai 2005 ;
3°) préciser si, et, dans l'affirmative, dans quelle mesure cet état de santé peut, en tout ou partie, s'expliquer par l'évolution d'une pathologie indépendante de cet évènement ;
4°) dans l'hypothèse où l'état présenté par l'intéressée résulterait exclusivement des conséquences de l'évènement du 8 mai 2005, déterminer, le cas échéant, la date de consolidation et préciser la durée et l'étendue du déficit fonctionnel temporaire, l'importance des souffrances endurées, l'étendue du déficit fonctionnel permanent, le préjudice moral ou psychologique, le préjudice d'affection et d'accompagnement, ainsi que les troubles de toute nature dans les conditions d'existence, en relation directe et certaine avec l'évènement du 8 mai 2005 ;
5°) dans l'hypothèse où l'état présentée par l'intéressée pourrait résulter à la fois des conséquences de l'évènement du 8 mai 2005 et de l'évolution d'une pathologie indépendante, préciser les parts respectives de ces deux causes, dire si l'une a pu influencer l'autre et déterminer la durée et l'étendue du déficit fonctionnel temporaire, l'importance des souffrances endurées, l'étendue du déficit fonctionnel permanent, le préjudice moral ou psychologique, le préjudice d'affection et d'accompagnement, ainsi que les troubles de toute nature dans les conditions d'existence en relation directe et certaine avec l'évènement du 8 mai 2005 ;
6°) dans l'hypothèse où l'état présenté par l'intéressée résulterait exclusivement d'une pathologie indépendante de l'évènement du 8 mai 2005, dire si les conséquences de ce dernier sur l'état de santé de Mme D... peuvent être regardées comme consolidées, et dans l'affirmative, à compter de quelle date ;
7°) dire le cas échéant si l'état de Mme D... est susceptible de modification en amélioration ou en aggravation ; dans l'affirmative, fournir toutes précisions utiles sur cette évolution, son degré de probabilité et, dans le cas où un nouvel examen serait nécessaire, mentionner dans quel délai ;
8°) de fournir toutes précisions complémentaires que l'expert jugera utile à la solution du litige et de nature à apprécier l'étendue du préjudice.
Article 2 : L'expert accomplira sa mission contradictoirement avec Mme D... et l'EPSM Etienne Gourmelen, dans les conditions prévues aux articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. Il déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires dans un délai de quatre mois et en notifiera copie aux partie dans ce même délai.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et à l'établissement public de santé mentale Etienne Gourmelen de Quimper.
Délibéré après l'audience du 6 février 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président,
- M. A..., premier conseiller,
- M. Berthon, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 février 2020.
Le rapporteur
A. A...
Le président
I. Perrot
Le greffier
M. G...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°18NT03866 2