Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire-Atlantique a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui verser la somme de 421 246,55 euros en remboursement des débours qu'elle a exposés pour le compte de son assurée, Mme A....
Mme A..., appelée à la cause, a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement le CHU de Nantes et la SHAM à lui verser la somme de 395 672,95 euros en réparation de ses préjudices.
Par un jugement n° 1410488 du 30 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement le CHU de Nantes et la SHAM à verser à la CPAM de la Loire-Atlantique la somme de 64 192 euros au titre de ses débours, la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et à lui rembourser les arrérages de la pension d'invalidité versée à Mme A... à compter du 12 juin 2016. Il les a également condamnés à verser à Mme A... la somme de 352 458 euros en réparation de ses préjudices.
Par un arrêt avant dire droit du 19 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a ordonné une expertise médicale complémentaire.
Par une ordonnance du 28 août 2019, le vice-président de la cour administrative d'appel de Nantes a désigné un médecin neurochirurgien en qualité d'expert.
Le rapport d'expertise a été déposé et enregistré le 29 novembre 2019 au greffe de la cour.
Par une ordonnance du 3 décembre 2019, le président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expert à la somme de 1 500 euros.
Par des mémoires enregistrés les 13 décembre 2019 et 16 janvier 2020 le CHU de Nantes et la SHAM, représentés par Me G..., maintiennent par les mêmes moyens leurs conclusions antérieures tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 juin 2017 et au rejet des conclusions incidentes présentées par la CPAM de la Loire-Atlantique et par Mme A....
Ils soutiennent que :
- l'impartialité de l'expert n'a pas été mise en cause pendant les opérations d'expertise ;
- il n'est pas établi que l'expert ne remplissait pas les conditions énoncées au code de justice administrative pour réaliser l'expertise en litige.
Par un mémoire enregistré le 24 décembre 2019 Mme A..., représentée par Me E..., conclut à la nullité du rapport d'expertise déposé le 29 novembre 2019, à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée, enfin et subsidiairement au maintien de ses précédentes conclusions par les mêmes moyens.
Elle soutient que :
- l'expert désigné a fait l'objet de poursuites pénales ; il n'a pas répondu à son dire et a fait preuve de partialité pendant les opérations d'expertise ;
- les conclusions de son rapport sont critiquables quant à l'absence de perte de chance ;
- elle a subi un préjudice moral exceptionnel.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de Me H..., représentant le CHU de Nantes et la SHAM, de Me D..., représentant la CPAM de Loire-Atlantique, et de Me E..., représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., infirmière née en 1969, a ressenti dans la soirée du 4 octobre 2010 des symptômes qu'elle a attribués à un accident vasculaire cérébral et a appelé le SAMU à 22h20. Le médecin régulateur, croyant à un épisode de dépression avec prise d'alcool, a refusé de faire intervenir les secours. Mme A..., qui était de plus en plus paralysée du côté droit, a dû se rendre en rampant chez ses voisins de palier et heurter leur porte de la tête pour les alerter. Le 5 octobre, à 0h27, Mme A... a finalement été admise au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes où elle a passé une IRM. L'équipe médicale a décidé, au vu du résultat de cet examen, de ne pas pratiquer une thrombolyse en raison du délai écoulé depuis le début des symptômes et de l'extension de la dissection de l'artère vertébrale observée, et donc d'administrer à Mme A... un traitement classique. Mme A... a conservé un déficit fonctionnel permanent évalué à 66% au 3 octobre 2012, date de consolidation de son état de santé.
2. Mme A... a saisi le 20 mai 2011 la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) des Pays de la Loire, qui a ordonné une expertise, confiée à un médecin anesthésiste réanimateur et à un médecin neurologue, dont le rapport a été déposé le 19 décembre 2012, puis un complément d'expertise neurologique remis le 30 janvier 2014. Par un avis du 10 avril 2014, la CCI a conclu que les conditions de la prise en charge Mme A... étaient fautives et avaient privé la patiente de 30 % de chance d'échapper au dommage dont elle a été victime. Par un jugement du 30 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement le CHU de Nantes et la SHAM à verser à Mme A... la somme de 352 458 euros et à la CPAM de la Loire-Atlantique la somme de 64 192 euros en remboursement de ses débours ainsi que la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Le CHU de Nantes et la SHAM ont relevé appel de ce jugement. La CPAM de la Loire-Atlantique a demandé, par la voie de l'appel incident, la condamnation solidaire du CHU de Nantes et de la SHAM à lui verser la somme totale de 452 519,89 euros. Mme A... a demandé, à titre subsidiaire, que la somme due au titre de son préjudice moral soit portée à 350 000 euros.
3. Par un premier arrêt n°17NT02664 du 19 juillet 2019, la cour a jugé que les conditions de prise en charge de Mme A... par le centre 15 étaient constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier, tout en constatant que l'absence de réalisation d'une thrombolyse était sans lien avec cette faute, a censuré le jugement du tribunal administratif de Nantes en ce qu'il avait retenu la responsabilité du CHU de Nantes à raison d'un défaut d'information et, enfin, ne s'estimant pas en mesure d'apprécier si le retard de prise en charge et les coups portés par Mme A... avec sa tête sur la porte de ses voisins avaient pu avoir des conséquences défavorables sur l'évolution de l'AVC ni de quantifier une éventuelle perte de chance, a ordonné une mesure d'expertise sur ces deux points.
Sur la régularité des opérations d'expertise :
4. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction que l'expert n'aurait pas répondu aux dires des parties ou qu'il aurait manifesté au cours de son expertise une attitude partiale, défavorable aux intérêts de Mme A....
5. D'autre part, aux termes de l'article R. 221-11 du code de justice administrative : " Peuvent être inscrites sur le tableau des experts les personnes physiques qui remplissent les conditions suivantes : (...) / 3° Ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation pénale ou d'une sanction disciplinaire pour des faits incompatibles avec l'exercice d'une mission d'expertise ; ". S'il est soutenu par Mme A... que l'expert désigné par la cour s'est vu infliger une sanction disciplinaire pour des faits incompatibles avec l'exercice d'un mission d'expertise par un jugement du 7 décembre 2018 de la chambre disciplinaire de première instance du Centre-Val de Loire de l'ordre des médecins, il n'est pas contesté que l'intéressé a fait appel de ce jugement et que, la sanction qui lui a été infligée n'étant pas devenue définitive, il figure toujours régulièrement sur la liste des experts. Dans ces conditions, la désignation de cet expert dans la présente instance n'est pas irrégulière.
Sur l'étendue de la responsabilité du CHU de Nantes :
6. Il résulte sans ambiguïté des conclusions du rapport de l'expert judiciaire désigné dans les conditions rappelées au point 3 que ni le retard avec lequel le CHU de Nantes a pris en charge Mme A..., ni le fait que celle-ci a été contrainte, en conséquence de ce retard, de heurter de la tête la porte de ses voisins pour obtenir de l'aide, n'ont eu d'impact sur l'évolution de l'AVC dont elle a été victime le 4 octobre 2010 et des séquelles qu'elle en a conservées. Dans ces conditions, il n'est pas possible de retenir un lien de causalité entre le retard fautif de prise en charge de la patiente par le centre 15, le ou les coups portés en raison de ce retard par elle sur une porte, et les préjudices subis par Mme A.... C'est, par suite, à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a indemnisé la CPAM de la Loire-Atlantique à hauteur des débours exposés par elle pour son assurée et Mme A... des préjudices résultant des séquelles de l'AVC dont elle a été victime, à l'exception du préjudice moral, dont le lien direct avec la faute commise par le SAMU dans la prise en charge de l'intéressée est établi.
Sur le préjudice de Mme A... restant indemnisable :
7. Il résulte de ce qui a été rappelé aux points 1 et 3 que Mme A... a été abandonnée par l'institution qui aurait dû lui porter secours alors qu'elle était dans un état de grande souffrance physique et morale et qu'elle avait conscience de la pathologie dont elle était atteinte et de l'urgence à intervenir. L'expert a indiqué à cet égard que " (...) la prise en charge réalisée par le SAMU 44 (...) a été particulièrement fautive. Les conversations ont été inadaptées, les questions très orientées et l'ensemble de cet appel reflète une absence totale d'humanité face à la détresse que pouvait ressentir Mme A.... ". Mme A... a ainsi subi un préjudice moral spécifique, distinct des conséquences que la faute commise par le centre 15 aurait pu avoir sur la prise en charge de sa pathologie, et qui doit donc être indemnisé dans son intégralité. Dans les circonstances particulières de l'espèce, ce préjudice moral sera justement évalué à la somme de 40 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2015, date à laquelle le recours indemnitaire de Mme A... a été enregistré au greffe du tribunal administratif de Nantes.
Sur les droits de la CPAM de la Loire-Atlantique :
8. Il résulte de ce qui a été indiqué aux points 3 et 6 que la CPAM de la Loire-Atlantique n'est pas fondée à demander le remboursement des frais qu'elle a exposés pour le traitement de l'AVC dont a été victime Mme A....
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que le CHU de Nantes et la SHAM sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a remboursé à la CPAM de la Loire-Atlantique les frais qu'elle a exposés pour la prise en charge médicale de Mme A... et que la somme qu'ils ont été condamnés à verser à Mme A... doit être ramenée à 40 000 euros.
Sur les frais de l'instance :
10. Il y a lieu de mettre définitivement à la charge du CHU de Nantes les frais d'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 3 décembre 2019 du président de la cour administrative d'appel de Nantes à la somme de 1 500 euros.
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chacune des parties la charge des frais exposés dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 352 458 euros que le tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement le CHU de Nantes et la SHAM à verser à Mme A... est ramenée à 40 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2015.
Article 2 : Le jugement n°1410488 du tribunal administratif de Nantes du 30 juin 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er et est annulé en tant qu'il a fait droit aux conclusions présentées par la CPAM de la Loire-Atlantique.
Article 3 : Les conclusions présentées par la CPAM de la Loire-Atlantique devant le tribunal administratif de Nantes sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du CHU de Nantes et de la SHAM est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées devant la cour par Mme A... et par la CPAM de la Loire-Atlantique sont rejetées.
Article 6 : Les frais d'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 3 décembre 2019 du président de la cour administrative d'appel de Nantes à la somme de 1 500 euros sont mis à la charge définitive du CHU de Nantes.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au CHU de Nantes, à la SHAM, à la CPAM de la Loire-Atlantique et à Mme F... A....
Délibéré après l'audience du 6 février 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Mony, premier conseiller,
- M. B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 février 2020.
Le rapporteur
E. B...Le président
I. Perrot Le greffier
M. C...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
4
N° 17NT02664