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18/02/2020 | FRANCE | N°18NT04050

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 18 février 2020, 18NT04050


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans :

1 - la décharge de l'obligation de payer la somme globale de 16 501,62 euros mise à sa charge par les titres de perception n° 007-001-075-485571-2013-0004820, 007-001-075-485571-2013-0004821, 007-001-075-485571-2013-0005840, 007-001-075-485571-2013-0006351, 007-001-075-485571-2013-0006352, 007-001-075-485571-2013-0006380, 007-001-075-485571-2014-0002982 mis en recouvrement par le directeur général des finances publiques correspondant à un

précompte d'indemnité journalière de sécurité sociale et à un indu de rémun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans :

1 - la décharge de l'obligation de payer la somme globale de 16 501,62 euros mise à sa charge par les titres de perception n° 007-001-075-485571-2013-0004820, 007-001-075-485571-2013-0004821, 007-001-075-485571-2013-0005840, 007-001-075-485571-2013-0006351, 007-001-075-485571-2013-0006352, 007-001-075-485571-2013-0006380, 007-001-075-485571-2014-0002982 mis en recouvrement par le directeur général des finances publiques correspondant à un précompte d'indemnité journalière de sécurité sociale et à un indu de rémunération ;

2 - la décharge de l'obligation de payer la somme globale de 8 354,59 euros mise à sa charge par les titres de perception n° 007-001-075-485571-2014-0009660, 007-001-075-485571-2014-0009661, 007-001-075-485571-2014-0009662, 007-001-075-485571-2014-0009691, 007-001-075-485571-2014-0009692 mis en recouvrement par le directeur général des finances publiques correspondant à un précompte d'indemnité journalière de sécurité sociale et à un indu de rémunération ;

3 - la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 15 963,90 euros en réparation de son préjudice financier lié au prélèvement sur son traitement et sur son indemnité de licenciement de sommes que l'Etat n'était pas fondé à réclamer.

Par un jugement n°s 1502908, 1502909, 1502910 du 18 septembre 2018, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté :

1 - comme présentée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, la demande dirigée contre les titres numéros : 2982 (émis le 19 mai 2014) pour un montant de 1 056,84 euros, 4820 (émis le 12 décembre 2013) pour un montant de 1 090,81 euros, 4821 (émis le 12 décembre 2013) pour un montant de 1 056,84 euros, 5840 (émis le 16 décembre 2013) pour un montant de 1 056,84 euros, 6380 (émis le 26 décembre 2013) pour un montant de 9 351,87 euros, 6352 (émis le 23 décembre 2013) en tant qu'il concerne un montant de 1 452,97 euros, 6380 (émis le 26 décembre 2013) pour un montant de 8 501,87 euros, 9660 (émis le 12 novembre 2014) pour un montant de 1 056,84 euros, 9661 (émis le 12 novembre 2014) pour un montant de 1 020,78 euros, 9662 (émis le 12 novembre 2014) en tant qu'il concerne la somme de 860,86 euros, 9691 (émis le 14 novembre 2014) pour un montant de 1 089,01 euros, 9692 (émis le 14 novembre 2014) pour un montant de 3 980,60 euros ;

2 - comme infondée la demande dirigée contre les titres numéros : 9662 (émis le 12 novembre 2014) en tant qu'il porte sur la somme de 116,55 euros, 6351 (émis le 23 décembre 2013) pour un montant de 115,98 euros, 6352 (émis le 23 décembre 2013) en tant qu'il concerne un montant de 1 869,47 euros, ainsi que les conclusions indemnitaires de Mme E....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 novembre 2018 et le 22 mars 2019, Mme E..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 18 septembre 2018 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 5 589,12 euros, avec les intérêts de droit à compter du 19 janvier 2015 et capitalisation des intérêts, en réparation de son préjudice financier résultant du caractère fautif du précompte d'indemnité journalière de sécurité sociale mis à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier, dès lors que la minute du jugement n'a été signée ni par le président de la formation de jugement, ni par le rapporteur, ni par le greffier d'audience en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- elle est fondée à solliciter une indemnisation en réparation de son préjudice financier résultant du caractère fautif du précompte d'indemnité journalière de sécurité sociale mis à sa charge dès lors qu'elle établit n'avoir jamais perçu les indemnités journalières de sécurité sociale correspondantes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 février 2019, les ministres de l'économie et des finances et de l'action et des comptes publics concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que la requête est irrecevable faute de moyens dirigés contre le jugement attaqué et faute de recours préalable contre les titres de perception querellés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... a été recrutée en tant qu'agent contractuel au ministère de l'économie et des finances. Elle a été placée en congé de longue maladie du 20 avril au 19 octobre 2010, puis du 28 mars 2012 au 27 mars 2014. A l'issue de la dernière période de son congé de longue maladie, soit au bout de trois ans, l'intéressée a été placée à compter du 28 mars 2014 en congé de maladie sans traitement. Le 24 mai 2014, Mme E... a été licenciée pour inaptitude physique. Il résulte de l'instruction que pendant toute la durée de son congé de longue maladie, l'administration a néanmoins continué de verser à l'intéressée l'intégralité de son traitement pendant une période de douze mois (du 20 avril 2010 au 19 octobre 2010, puis du 20 octobre 2010 au 19 avril 2011), puis la moitié de son traitement pendant les vingt-quatre mois suivants (du 28 mars 2012 au 27 mars 2014). L'article 2 du décret du 17 janvier 1986 prévoyant que les prestations en espèces versées par les caisses de sécurité sociale en matière de maladie sont déduites du plein ou du demi-traitement maintenu par l'administration durant les congés de grave maladie, cette dernière a émis des titres de perception pour recouvrer le montant des indemnités journalières de sécurité sociales perçu. D'autres titres ont été émis pour recouvrer des " indus de rémunération " au titre des années 2013 et 2014 sans autres précisions. Par sa requête susvisée, Mme E... doit être regardée comme demandant à la cour, l'annulation du jugement attaqué, en tant seulement qu'il a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Une fin de non-recevoir tirée de l'absence de recours préalable auprès du comptable chargé du recouvrement, sur le fondement de l'article 118 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, n'est opposable que dans le cadre d'une contestation de la légalité d'un titre de perception, et non dans le cadre d'une réclamation indemnitaire qui a en l'espèce fait l'objet, le 15 janvier 2015, d'une demande préalable régulière auprès du ministre. Par suite, les fins de non recevoir soulevées en défense par les ministres de l'économie et des finances et de l'action et des comptes publics doivent être rejetées.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

3. Par sa présente requête, Mme E... recherche la responsabilité de l'Etat en réparation de son préjudice financier résultant du caractère fautif du précompte d'indemnité journalière de sécurité sociale mis à sa charge. Par suite, la circonstance qu'elle n'invoque aucun moyen contre les titres de perception relatifs aux indus de rémunérations contestés en première instance est sans incidence sur la recevabilité de sa requête, qui satisfait aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué comporte les signatures prévues par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le jugement qu'elle critique serait irrégulier pour ce motif.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'existence d'une faute de l'administration :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 142-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable : " Le tribunal des affaires de sécurité sociale connaît en première instance des litiges relevant du contentieux général de la sécurité sociale, de ceux relatifs à l'application de l'article L. 4162-13 du code du travail ainsi que de ceux relatifs au recouvrement des contributions, versements et cotisations mentionnés aux articles L. 143-11-6, L. 1233-66, L. 1233-69, L. 351-3-1 et L. 351-14 du code du travail. (...) ". Aux termes de l'article L. 142-3 du même code : " les dispositions de l'article L. 142-2 ne sont pas applicables (...) 3°) aux recours formés contre les décisions des autorités administratives ou tendant à mettre en jeu la responsabilité des collectivités publiques à raison de telles décisions ".

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 323-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " L'attribution de l'indemnité journalière prévue à l'article L. 323-4 est exclusive de l'allocation de chômage. La caisse primaire de l'assurance maladie n'est pas fondée à suspendre le service de l'indemnité journalière lorsque l'employeur maintient à l'assuré, en cas de maladie, tout ou partie de son salaire ou des avantages en nature, soit en vertu d'un contrat individuel ou collectif de travail, soit en vertu des usages, soit de sa propre initiative. Toutefois, lorsque le salaire est maintenu en totalité, l'employeur est subrogé de plein droit à l'assuré, quelles que soient les clauses du contrat, dans les droits de celui-ci aux indemnités journalières qui lui sont dues. Lorsque, en vertu d'un contrat individuel ou collectif de travail, le salaire est maintenu en totalité ou en partie sous déduction des indemnités journalières, l'employeur qui paie tout ou partie du salaire pendant la période de maladie sans opérer cette déduction est subrogé de plein droit à l'assuré dans ses droits aux indemnités journalières pour la période considérée, à condition que le salaire maintenu au cours de cette période soit au moins égal au montant des indemnités dues pour la même période. Dans les autres cas, l'employeur est seulement fondé à poursuivre auprès de l'assuré le recouvrement de la somme correspondant aux indemnités journalières, dans la limite du salaire maintenu pendant la même période. ". Aux termes de l'article R. 313-3 du même code applicable dans les mêmes conditions : " 1° Pour avoir droit aux indemnités journalières de l'assurance maladie pendant les six premiers mois d'interruption de travail (...) l'assuré social doit justifier aux dates de référence prévues aux 2° et 3° de l'article R. 313-1 : (...) avoir effectué au moins 150 heures de travail salarié ou assimilé au cours des trois mois civils ou des quatre-vingt-dix jours précédents. "

7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que seules peuvent être déduites du traitement ou du demi-traitement d'un agent non titulaire ayant effectué au moins 150 heures de travail salarié ou assimilé au cours des trois mois civils ou des quatre-vingt-dix jours précédents son placement en congé de maladie, les sommes effectivement versées par les caisses de sécurité sociale. Dès lors, et en cas de maintien du plein traitement de l'intéressé à l'initiative de l'administration, il appartient à cette dernière, en vertu de la subrogation légale dont elle dispose, de recouvrer directement auprès de la caisse primaire d'assurance maladie les indemnités journalières dues à l'agent.

8. Mme E... démontre, en produisant un courrier du directeur de la Mutualité Fonction Publique (MFP) en date du 6 septembre 2018 lui notifiant l'interruption du versement des indemnités journalières à compter du 1er février 2012, qu'elle n'a jamais perçu les indemnités journalières pour maladie dont l'administration s'est estimée créancière au titre des années 2012 à 2014 et que cette dernière a unilatéralement prélevées sur son traitement, puis sur son indemnité de licenciement. Dans ces conditions, les dispositions citées au point 6 faisaient obstacle à toute reprise d'indemnités journalières dues par la sécurité sociale à partir du 1er février 2012 qui n'avaient pas été effectivement versées à la requérante. Il appartenait seulement à l'administration, dans la mesure où elle avait continué, de sa propre initiative, à verser à son agent la totalité de son traitement ou de son demi-traitement, de récupérer en temps utile auprès de la caisse primaire d'assurance maladie concernée les indemnités journalières dues à l'intéressée, dès lors qu'elle était subrogée dans les droits de Mme E... en application des dispositions de l'article R. 323-11 du code de la sécurité sociale. Il suit de là que l'administration ne pouvait légalement lui réclamer, par les titres exécutoires en cause, les sommes correspondant aux indemnités journalières de la sécurité sociale auxquelles elle aurait pu prétendre au titre de la période postérieure au 1er février 2012. Par suite, en émettant à l'encontre de Mme E... ces titres exécutoires, l'administration a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat et à justifier la condamnation de ce dernier, en l'absence de toute faute de Mme E..., à payer à la requérante une somme du même montant.

En ce qui concerne le préjudice :

9. Mme E... soutient que les indemnités journalières prélevées à tort sur son traitement, puis sur son indemnité de licenciement, s'élèvent à la somme totale de 5 589,12 euros entre 2012 et 2014. L'administration ne conteste pas cette évaluation et il ne résulte pas de l'instruction que ce montant soit erroné. Dans ces conditions, elle est fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 589,12 euros en réparation de son préjudice résultant du caractère fautif du précompte d'indemnité journalière de sécurité sociale mis à sa charge.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

10. Mme E... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à la somme de 5 589,12 euros à compter du 19 janvier 2015, date de réception de sa demande indemnitaire préalable par le ministre de l'économie et des finances.

11. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 16 novembre 2018, date d'introduction de la requête de Mme C... devant la cour. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 17 novembre 2019, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme E... la somme de 5 589,12 euros en réparation de son préjudice résultant du caractère fautif du précompte d'indemnité journalière de sécurité sociale mis à sa charge. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 2015. Les intérêts échus sur cette somme à la date du 17 novembre 2019 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 18 septembre 2018 est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme E... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et aux ministres de l'économie et des finances et de l'action et des comptes publics.

Copie sera adressée au directeur régional des finances publiques du Centre-Val de Loire.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 février 2020.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne aux ministres de l'économie et des finances et de l'action et des comptes publics en ce qui les concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°18NT04050


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT04050
Date de la décision : 18/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : ANNOOT-SCHLESINGER

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-02-18;18nt04050 ?
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