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03/12/2019 | FRANCE | N°18NT03486

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 03 décembre 2019, 18NT03486


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Bretagne a rejeté sa demande de protection fonctionnelle du 16 septembre 2014, ainsi que la décision du 19 février 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours gracieux contre cette décisio

n et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Bretagne a rejeté sa demande de protection fonctionnelle du 16 septembre 2014, ainsi que la décision du 19 février 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours gracieux contre cette décision et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 7 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il déclare avoir été victime.

Par un jugement n° 1502031 du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Rennes a annulé ces décisions et a condamné l'Etat à verser à M. D... la somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 septembre 2018, la ministre du travail demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. D... présentée devant le tribunal administratif de Rennes.

Elle soutient que les faits de harcèlement moral invoqués par le requérant ne sont pas caractérisés, M. D... n'apportant aucun élément de fait suffisamment probant et susceptible de démontrer que les agissements de Mme C..., cheffe du service régional de contrôle, auraient outrepassé les fonctions que lui confèrent son statut et qu'elle aurait procédé à un exercice anormal de son pouvoir hiérarchique.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 mars et le 22 mai 2019, M. D..., représenté par la Selarl ABC, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident :

1°) à la réformation du jugement du 5 juillet 2018 en ce qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 2 500 euros au titre de son préjudice moral ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 2 000 euros au titre des frais de procédure avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable indemnitaire, avec capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la ministre du travail ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M D..., inspecteur du travail au sein du service régional de contrôle de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Bretagne, a, par un courrier du 16 septembre 2014, saisi la directrice générale de cette direction d'une demande de protection fonctionnelle pour des faits constitutifs de harcèlement moral dont il estime avoir été victime. Cette demande a fait l'objet d'une décision de rejet implicite. M. D... a formé un recours gracieux contre cette décision qui a été rejeté par une décision du 19 février 2015 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Par une demande du 29 avril 2015, M. D... a par ailleurs saisi la directrice de la DIRECCTE d'une réclamation indemnitaire qui a également fait l'objet d'un rejet implicite. La ministre du travail relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 juillet 2018 ayant fait droit partiellement aux conclusions de M. D.... Par la voie de l'appel incident, M. D... demande à la cour de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 2 500 euros au titre de son préjudice moral.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

3. Pour démontrer la réalité du harcèlement moral allégué, M. D... soutient que son travail a fait l'objet d'un dénigrement particulièrement appuyé de la part de Mme C..., cheffe du service régional de contrôle, tant en présence de ses autres collègues dans le cadre de réunions, que face aux entreprises contrôlées. Ce dénigrement systématique de la part de sa cheffe de service se serait accompagné d'attaques personnelles, d'une mise à l'écart, de contrôles directs de sociétés par Mme C... alors même que ces contrôles relevaient de sa responsabilité, de la substitution de son nom sur des documents dont il était l'auteur, d'interventions erronées sur son travail de contrôle, de la suppression du réseau commun du fichier comprenant l'historique du service ainsi que des dossiers de contrôle d'agents, dont ceux de M. D.... Le harcèlement moral dont il a fait l'objet transparaîtrait en outre de ses différentes notations.

4. Pour démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, la ministre fait valoir que les éléments avancés par M. D... et retenus par le tribunal pour affirmer que le harcèlement moral était constitué ne sont pas, pour les uns, de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral et, pour les autres, trouvent une justification dans des considérations étrangères à tout harcèlement.

5. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier et de l'analyse des différents échanges contradictoires que les agissements reprochés à Mme C..., cheffe du service régional de contrôle et supérieure hiérarchique de l'intéressé au moment des faits, excèdent les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et puissent être qualifiés d'agissements constitutifs de harcèlement moral.

6. La circonstance que Mme C..., responsable du service régional de contrôle, ait organisé en dehors du temps de travail un moment de convivialité, à ses frais, à la demande de proches collègues pour fêter le grade qu'elle venait d'obtenir, ne saurait sérieusement être retenu comme preuve d'une volonté de dénigrement de M. D... au motif qu'il n'aurait pas compté parmi les invités personnels de cette dernière. L'intervention reprochée de Mme C... dans une entreprise (SOGETRAP) dont le contrôle aurait relevé de M. D... n'est pas corroborée par les éléments du dossier, l'administration faisant valoir sans être valablement contredite que Mme C... a pris en charge ce contrôle parce que ce dossier n'était pris par aucun agent. Il ressort également des pièces du dossier que Mme C..., responsable du service régional de contrôle, n'a pas corrigé le rapport de contrôle de la SARL Rault Granit en y substituant sa signature à celle de M. D..., mais a substitué au rapport de contrôle proposé un projet de décision rédigé par ses soins, comme le lui permet son pouvoir hiérarchique. La note adressée au responsable de pôle en août 2013 se borne à mettre en exergue les problèmes juridiques liés au dossier concerné et ne comporte aucune mention de nature dégradante à l'encontre de M. D.... Il n'est pas en outre démontré que Mme C... aurait procédé en septembre 2013 à la suppression du réseau fichier comprenant l'historique du service et des dossiers de contrôle des agents, dont ceux de M. D.... De même, aucun élément ne permet d'affirmer que Mme C... aurait cherché à discréditer l'intéressé auprès de tiers, en informant certains établissements extérieurs que le contrôle auquel il devait procéder était annulé, alors même qu'il ressort d'un courriel de Mme C... adressé à M. D... le 24 avril 2014 , que ce dernier n'avait pas respecté le plan de contrôle nominatif, qui constitue la traduction régionale des orientations nationales en matière de politique de contrôle de la formation professionnelle. Egalement, les allégations selon lesquelles à l'occasion d'une réunion de service qui aurait eu lieu en février 2014, Mme C... aurait fait part à ses collègues des critiques virulentes émises à l'encontre de M. D... par une entreprise qu'il avait contrôlée en 2013, sans exposer la position du service ni leur apporter un soutien, ne reposent sur aucun élément probant. La circonstance que les recours formés par M. D... devant la commission administrative paritaire pour contester ses comptes-rendus d'entretiens professionnels 2014 et 2015 aient prospéré, n'est pas de nature à constituer des faits de harcèlement moral. Quant aux déclarations prêtées à Mme C... selon lesquelles elle aurait déclaré qu'elle " voulait mater le service " et aurait fait savoir à M. D... qu'il était considéré comme " un problème ", celles-ci ne sont corroborées par aucun élément du dossier. De plus, l'enquête du CHSCT diligentée début 2014 après saisine de l'instance par M. D... n'a nullement relevé d'actes constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de M. D.... Enfin, les autres arguments invoqués à l'appui de la requête introductive d'instance ne justifiaient pas la qualification de harcèlement moral. Par suite, la ministre du travail est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les agissements précédemment décrits devaient être regardés comme permettant de caractériser l'existence d'un harcèlement moral.

7. Il résulte de ce qui précède que la ministre du travail est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé tant la décision implicite par laquelle la directrice de la DIRECCTE de Bretagne a rejeté la demande de protection fonctionnelle de M. D... que la décision du 19 février 2015 du ministre en charge du travail rejetant son recours gracieux puis a condamné l'Etat à verser à M. D... la somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral.

8. Compte tenu de ce qui précède, les conclusions incidentes de M. D... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. D... au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 juillet 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions incidentes de M. D... sont rejetées.

Article 3 : La demande de M. D... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et à la ministre travail.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 décembre 2019.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°18NT03486


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03486
Date de la décision : 03/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : ABC ASSOCIATION BERTHAULT COSNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-12-03;18nt03486 ?
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