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03/12/2019 | FRANCE | N°18NT03441

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 03 décembre 2019, 18NT03441


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du directeur départemental des territoires de Loir-et-Cher du 3 mai 2016 par laquelle il a refusé de reconnaître le caractère imputable au service de la maladie contractée par M. C... D... et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros à parfaire en réparation des préjudices subis en raison de l'illégalité de la décision contestée.

Par un jugement n° 1602199 du 10 juillet 2018, le tribunal adminis

tratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du directeur départemental des territoires de Loir-et-Cher du 3 mai 2016 par laquelle il a refusé de reconnaître le caractère imputable au service de la maladie contractée par M. C... D... et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros à parfaire en réparation des préjudices subis en raison de l'illégalité de la décision contestée.

Par un jugement n° 1602199 du 10 juillet 2018, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 septembre 2018 et le 13 juin 2019, Mme D..., représentée par la Selarl Derec, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 juillet 2018 ;

2°) à titre principal, d'annuler la décision du directeur départemental des territoires de Loir-et-Cher du 3 mai 2016 par laquelle il a refusé de reconnaître le caractère imputable au service de la maladie contractée par M. C... D... ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros à parfaire en réparation des préjudices subis en raison de l'illégalité de la décision contestée ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale et nommer un expert avec pour mission l'analyse du lien de cause à effet entre l'inhalation de poussières d'amiante et la maladie de M. D... et d'ordonner la communication des comptes-rendus du CHSCT de la direction départementale des territoires de Loir-et-Cher et des avis du médecin du travail concernant M. D... ;

5°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu'aux dépens.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que son mari n'a pas été exposé à l'amiante à l'occasion des travaux qui lui ont été confiés et sa maladie présentait un lien de causalité avec le service ;

- elle est fondée à demander la réparation de l'intégralité de ses préjudices moraux et financiers subis de son vivant par son époux et elle-même.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2019, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les conclusions indemnitaires de Mme D... sont irrecevables et que les moyens soulevés sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D... a travaillé au sein de la direction départementale de l'équipement en qualité d'agent d'exploitation des travaux publics de l'Etat à compter du 1er février 1992, à la subdivision de Lamotte Salbris. Il a été nommé chef d'équipe puis contrôleur des travaux publics de l'Etat en 2002. Il a été placé en congé de longue durée du 14 janvier 2013 au 13 janvier 2014 avant de reprendre son service à temps partiel thérapeutique du 14 janvier 2014 au 13 avril 2014, puis à temps plein à compter du 14 avril 2014. Il a de nouveau été placé en congé de longue durée du 16 septembre 2014 au 15 décembre 2015. M. D... a formulé une demande de reconnaissance de l'imputabilité au service d'un carcinome bronchique le 6 décembre 2015. Par une décision du 3 mai 2016, le directeur départemental des territoires a, après avoir recueilli l'avis de la commission de réforme, rejeté la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie. M. D... est décédé le 24 juin 2016 des suites d'un carcinome bronchique. Par sa présente requête, Mme D... relève appel du jugement du 10 juillet 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur départemental des territoires de Loir-et-Cher du 3 mai 2016 et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros à parfaire en réparation des préjudices subis en raison de l'illégalité de la décision contestée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; (...) ".

3. D'une part, lorsqu'un agent public ne peut bénéficier d'une présomption légale d'imputabilité et que, par ailleurs, cette imputabilité n'est pas admise par l'administration, il incombe à cet agent d'apporter la preuve de l'imputabilité de l'affection au service par tous moyens de nature à emporter la conviction du juge. D'autre part, dans les cas où est en cause une affection à évolution lente et susceptible d'être liée à l'exposition de l'agent à un environnement ou à des substances toxiques, il appartient au juge administratif de prendre en considération les éléments du dossier relatifs à l'exposition de l'agent à cet environnement ou à ces substances, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer. Il revient ensuite au juge administratif de déterminer si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle. Lorsque tel est le cas, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'administration n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. D... est décédé " des suites d'une maladie pulmonaire grave, possiblement causée par une exposition professionnelle à des aéra-contaminants potentiellement cancérigènes " selon les termes du certificat médical du 19 décembre 2016 du docteur Yaici, pneumologue au sein du centre hospitalier régional d'Orléans. Le docteur Grégoire, médecin généraliste, a attesté le 27 mai 2013 par un certificat médical que " M. D... présente un carcinome bronchique (...) à petites cellules qui peut-être en rapport avec l'utilisation de produits bitumineux ". La direction départementale des territoires de Loir-et-Cher a également reconnu les risques sanitaires liés à l'amiante dans le cas des travaux routiers par une note adressée à l'ensemble de ses agents le 24 février 2015. Cette même direction a attesté le 26 septembre 2016, à propos d'un autre agent d'exploitation pour la période de septembre 1986 à décembre 2006, que " les missions d'entretien et d'exploitation réalisées par l'agent étaient susceptibles de l'exposer au risque de l'amiante ". Un collègue de M. D... témoigne avoir été exposé aux poussières d'amiantes et avoir travaillé dans les mêmes conditions que M. D.... Un compte rendu du CHSCT de la direction départementale des territoires de Loir-et-Cher du 12 septembre 2017 conclut que : " Bernard D... a été exposé directement, dans le cadre de ses activités professionnelles, à des produits chimiques dont certains sont reconnus aujourd'hui nocifs pour la santé ". Il ressort également du rapport du 10 décembre 2015 du responsable d'antenne territoriale sud, supérieur hiérarchique de M. D..., que ce dernier manipulait : " des produits hydrocarbonés, enrobés froids et chauds, dégageant des vapeurs de solvants, émulsions à base de bitume ", participait " aux travaux de marquage routier, utilisant des peintures à base de solvants ", " à de nombreux travaux d'aménagement nécessitant le balayage, le rabotage, le sciage et le découpage des revêtements routiers, le découpage de matériaux en béton, et pierres naturelles s'exposant à des dégagements importants de poussière ", et que " ces travaux ont été réalisés manuellement à cette époque et toujours à proximité d'engins de chantier, camions, compacteurs, compresseurs ... à moteur diesel, desquels émanaient des gaz d'échappement, inhalés par M. D... ", que dans le cadre de l'entretien des dépendances du domaine routier, il a aussi " été amené à utiliser des produits phytosanitaires, désherbants et débroussaillant ", et enfin qu'il " a également participé à la viabilité hivernale, au salage des voies de circulation ", et cela tous les ans. M. E..., contrôleur de travaux, a confirmé la réalité de ces travaux. Dans ces conditions, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie ayant affecté M. D... ait été en rapport avec son activité professionnelle. La seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs, comme les goudrons inhalés du fait de la fumée de cigarettes ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, l'administration n'étant pas en mesure d'établir que ce facteur a été la cause déterminante de la pathologie. Par suite, c'est à tort que le tribunal a estimé que la pathologie de M. D... ne présentait pas de lien de causalité avec le service.

Sur les conclusions indemnitaires :

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a, par courrier du 15 novembre 2016, demandé réparation des préjudices qu'elle a subis à l'administration. Dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal, Mme D... a demandé : " une reconnaissance de maladie professionnelle pour tous les préjudices subis, énorme perte physique, morale, financière, j'attends que l'Etat prenne ses responsabilités et les assume ". Dans son mémoire en date du 17 aout 2017, Mme D... a chiffré son préjudice à la somme de 20 000 euros. Par sa requête introductive d'instance devant le tribunal, Mme D... doit être regardée comme ayant formulée des conclusions indemnitaires du fait de l'illégalité de la décision attaquée, liées par sa demande du 15 novembre 2016, ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet avant que les premiers juges ne statuent. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, doit être rejetée.

6. Mme D... soutient que du fait de l'illégalité de la décision du 3 mai 2016, elle a subi un préjudice moral et financier résultant du refus de reconnaissance par l'administration de la cause réelle de la maladie de son époux, et des divers désagréments subis pour obtenir la reconnaissance de leurs droits. Toutefois, Mme D... se borne à soutenir que l'illégalité de la décision a eu pour effet : " de la priver son époux et elle-même d'un régime plus protecteur (...) et donc de ressources supplémentaires ", sans produire aucun élément pour établir la réalité de son préjudice financier dans son principe et dans son montant. Par suite, les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice financier allégué ne peuvent qu'être rejetées. En revanche, l'illégalité de la décision en cause a été de nature à induire un préjudice moral pour la requérante dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 10 000 euros.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation de la décision du directeur départemental des territoires de Loir-et-Cher du 3 mai 2016 refusant de reconnaître le caractère imputable au service de la maladie contractée par M. D... et de condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 10 juillet 2018 du tribunal administratif d'Orléans est annulé.

Article 2 : La décision du directeur départemental des territoires de Loir-et-Cher du 3 mai 2016 par laquelle il a refusé de reconnaître le caractère imputable au service de la maladie contractée par M. C... D... est annulée.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser à Mme D... la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Article 4 : L'Etat versera à Mme D... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus de conclusions de Mme D... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera transmise au préfet de Loir-et-Cher.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 décembre 2019.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

H. LENOIR

Le greffier,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 18NT03441


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03441
Date de la décision : 03/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL DEREC

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-12-03;18nt03441 ?
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