Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 99 412,90 euros au titre des frais qu'elle a exposés pour la prise en charge de Mme I....
Par un jugement n° 1302147 du 21 décembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 27 février 2018 et le 24 octobre 2019 la CPAM d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me A... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 décembre 2017 ;
2°) de condamner le CHU de Rennes à lui verser la somme de 98 365,90 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Rennes les dépens, la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le CHU de Rennes a manqué à son devoir d'information en n'informant pas Mme I... de l'existence d'une alternative thérapeutique à l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 23 mars 2010 et de l'ensemble des complications possibles de cette intervention ;
- c'est également à tort que le tribunal a écarté la faute du CHU de Rennes dans l'indication thérapeutique et dans la prise en charge post-opératoire de Mme I... ;
- les frais qu'elle a exposés pour la prise en charge de Mme I... en lien direct avec les fautes commises par le CHU de Rennes s'établissent comme suit : 960,50 euros au titre des consultations médicales, 1 127 euros au titre des frais de transport et 96 278,40 euros au titre des hospitalisations.
Une mise en demeure a été adressée le 06 mars 2019 à Mme I... et à M. D... qui n'ont pas produit de mémoire.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 avril 2019 le CHU de Rennes, représenté par Me H..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la CPAM d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme I..., née le 9 juin 1944, qui a vu son état de santé cardiovasculaire se dégrader entre 2002 et 2010, a subi le 23 mars 2010 au CHU de Rennes une intervention chirurgicale de remplacement des valves cardiaques mitrales et aortiques par des valves mécaniques. L'intervention s'est bien déroulée, mais les suites ont été marquées par une instabilité hémodynamique qui a justifié, le 26 mars, son transfert dans le service de réanimation du CHU. La situation cardiologique de Mme I... s'est progressivement stabilisée mais les médecins ont échoué à trois reprises, les 8, 12 et 15 avril, dans leurs tentatives d'extubation en raison de la détresse respiratoire aiguë dont elle souffrait. Le 19 avril, une trachéotomie a dû être réalisée, qui a permis un sevrage ventilatoire rapide. Mme I... reste cependant atteinte d'importantes séquelles en lien avec cette complication.
2. Mme I... a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Malo qui a désigné un expert, anesthésiste réanimateur, dont le rapport définitif a été déposé le 19 avril 2012. Le 10 juin 2013, elle a engagé devant le tribunal administratif de Rennes une action indemnitaire contre le CHU de Rennes, dont elle s'est toutefois désistée en cours d'instance. La CPAM d'Ille-et-Vilaine a, devant ce même tribunal, demandé le remboursement des frais médicaux qu'elle avait exposés dans l'intérêt de Mme I.... Par un jugement du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Rennes a donné acte du désistement d'instance de Mme I... et ordonné une expertise médicale avant de statuer sur les conclusions de la caisse. Par une décision du 8 novembre 2016, le président du tribunal a désigné un expert, spécialiste ORL et en chirurgie cervico-faciale. Le rapport d'expertise a été rendu le 12 juillet 2017. Par un jugement du 21 décembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la CPAM d'Ille-et-Vilaine. Celle-ci relève appel de ce jugement.
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne l'indication thérapeutique :
3. Il résulte de l'instruction que Mme I... présentait des insuffisances mitrale et aortique importantes et très symptomatiques avec une dyspnée de grade 3 et une hypertension artérielle pulmonaire correspondant à une indication opératoire selon les sociétés savantes nord-américaines et européennes de cardiologie. Si l'expert désigné en 2012 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Malo a estimé que sa pathologie était relativement bien compensée de sorte qu'elle aurait pu faire l'objet d'une simple surveillance cardiologique au lieu d'être opérée, il a néanmoins reconnu que le choix du remplacement des valves mitrales et aortiques était conforme aux recommandations et bonnes pratiques médicales. Dans ces conditions, l'intervention chirurgicale du 23 mars 2010 était indiquée au regard de l'état de santé de Mme I....
En ce qui concerne les conditions de prise en charge de Mme I... :
4. Il résulte du rapport d'expertise du 12 juillet 2017, particulièrement détaillé et bien étayé sur ce point, que la prise en charge post-opératoire de Mme I... a été réalisée conformément aux règles de l'art, que les échecs d'extubation des 8, 12 et 15 avril 2010 et les soins prodigués à la suite de ces échecs ne révèlent aucune faute et que l'indication d'une trachéotomie après 26 jours d'intubation était adaptée, la littérature médicale ne démontrant aucun bénéfice certain à une trachéotomie plus précoce. Par conséquent, alors même que le premier expert, à l'issue d'une analyse d'ailleurs succincte et non documentée, a émis des doutes sur ce point, aucune faute ne peut être reprochée au CHU de Rennes à l'occasion des soins de réanimation qui ont été prodigués à Mme I....
En ce qui concerne l'obligation d'information :
5. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. ".
6. En premier lieu, la CPAM d'Ille-et-Vilaine soutient, s'appuyant sur les conclusions du premier expert, qu'une simple surveillance cardiologique était possible en lieu et place d'une intervention chirurgicale et que Mme I... n'a pas été informée de cette possibilité. Mais il résulte de l'instruction, en particulier d'un courrier du 12 mars 2010 du médecin qui a opéré Mme I..., que celle-ci présentait, en raison de la dégradation rapide de son état de santé cardiovasculaire, une symptomatologie très handicapante ayant un fort retentissement sur sa vie sociale et familiale, qui justifiait une intervention chirurgicale à court terme. Le CHU de Rennes n'a donc pas commis de faute en n'informant pas Mme I... de l'existence d'une alternative à l'intervention du 23 mars 2010.
7. En second lieu, il résulte de l'instruction que l'intubation prolongée de Mme I... après l'intervention du 23 mars 2010, suivie d'une trachéotomie, et les séquelles qui en sont résultées, n'étaient pas des risques normalement prévisibles de cette intervention. Par suite, les médecins du CHU de Rennes ne peuvent être regardés comme ayant manqué à leur devoir d'information en omettant d'indiquer à la patiente l'existence de tels risques.
8. Il résulte de ce qui précède que la CPAM d'Ille-et-Vilaine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais de l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Rennes la somme demandée par la CPAM d'Ille-et-Vilaine au titre des frais de l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la CPAM d'Ille-et-Vilaine est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la CPAM d'Ille-et-Vilaine, au CHU de Rennes, à Mme F... I... et à M. B... D....
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. E..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.
Le rapporteur
E. E...Le président
I. Perrot
Le greffier
M. G...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00882