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14/11/2019 | FRANCE | N°19NT00989

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 14 novembre 2019, 19NT00989


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 16 janvier 2019 par lesquels la préfète d'Ille-et-Vilaine a décidé leur remise aux autorités allemandes, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile, ainsi que les arrêtés du même jour les assignant à résidence.

Par un jugement n° 1900279, 1900280 du 24 janvier 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I)

Par une requête enregistrée le 7 mars 2019 sous le n° 19NT00989, M. F..., représenté par Me G..., ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 16 janvier 2019 par lesquels la préfète d'Ille-et-Vilaine a décidé leur remise aux autorités allemandes, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile, ainsi que les arrêtés du même jour les assignant à résidence.

Par un jugement n° 1900279, 1900280 du 24 janvier 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 7 mars 2019 sous le n° 19NT00989, M. F..., représenté par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 janvier 2019 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 16 janvier 2019 ;

3°) d'enjoindre à la préfète d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un récépissé en tant que demandeur d'asile dans le délai de 3 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision portant transfert est contraire aux articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans la mesure où sa demande d'asile déposée en Allemagne a été rejetée et que cela entraîne une obligation de quitter le territoire allemand ; en outre, cette décision aurait un impact néfaste sur la santé de son épouse qui doit accoucher prochainement ;

- cette décision est contraire aux articles 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 et 6 du règlement du 26 juin 2013 dans la mesure où leurs enfants sont scolarisés en France ;

- elle méconnaît également les stipulations des articles 3 et 17 du règlement du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juin 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées le 26 juillet 2019, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office suivant : non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert en raison de l'expiration du délai de 6 mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que ce délai aurait été prolongé dans les conditions prévues au 2 du même article, ni que cet arrêté aurait reçu exécution pendant sa période de validité.

Par un courrier du 31 juillet 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine indique que M. F... a pris la fuite, de sorte que son délai de transfert est prolongé jusqu'au 25 juillet 2020.

M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mars 2019.

II) Par une requête enregistrée le 7 mars 2019 sous le n° 19NT00990, Mme D..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement susvisé du tribunal administratif de Rennes du 24 janvier 2019 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 16 janvier 2019 ;

3°) d'enjoindre à la préfète d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un récépissé en tant que demandeur d'asile dans le délai de 3 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision portant transfert est contraire aux articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans la mesure où sa demande d'asile déposée en Allemagne a été rejetée et que cela entraîne une obligation de quitter le territoire allemand ; en outre, cette décision aurait un impact néfaste sur sa santé car elle doit accoucher prochainement ;

- cette décision est contraire aux articles 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 et 6 du règlement du 26 juin 2013 dans la mesure où leurs enfants sont scolarisés en France ;

- elle méconnaît également les stipulations des articles 3 et 17 du règlement du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juin 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées le 26 juillet 2019, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office suivant : non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert en raison de l'expiration du délai de 6 mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que ce délai aurait été prolongé dans les conditions prévues au 2 du même article, ni que cet arrêté aurait reçu exécution pendant sa période de validité.

Par un courrier du 31 juillet 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine indique que Mme D... a pris la fuite, de sorte que son délai de transfert est prolongé jusqu'au 25 juillet 2020.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les observations de Me B..., substituant Me G..., représentant M. F... et Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Par deux requêtes distinctes, M. F... et Mme D..., ressortissants russes, relèvent appel du jugement du 24 janvier 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 16 janvier 2019 par lesquels la préfète d'Ille-et-Vilaine a décidé leur remise aux autorités allemandes, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile, ainsi que des arrêtés du même jour les assignant à résidence. Ces deux requêtes, dirigées contre le même jugement, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ".

3. Si l'Allemagne est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient néanmoins à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

4. M. F... et Mme D..., d'origine tchétchène, soutiennent que leurs demandes d'asile déposées en Allemagne ont été rejetées et que cela entraînera automatiquement une obligation de quitter le territoire allemand à destination de la Russie. A supposer même que leurs demandes d'asile auraient été définitivement rejetées par les autorités allemandes, qui ont explicitement accepté leur reprise en charge, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que des décisions d'éloignement, devenues définitives, auraient été prises à leur encontre par ces autorités, ni qu'ils ne seraient pas en mesure de faire valoir devant celles-ci tout élément nouveau relatif à l'évolution de leur situation personnelle et aux raisons qui les ont conduit à fuir leur pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 3 du règlement du 26 juin 2013 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent qu'être écartés.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

6. Les requérants se prévalent de certificats médicaux, et notamment de celui du 4 février 2019. Ces documents ne suffisent toutefois pas à établir que la grossesse de Mme D... présentait un risque particulier l'empêchant de voyager vers l'Allemagne, ni qu'elle ne pourrait poursuivre son traitement médicamenteux ou recevoir les soins adaptés à son état de santé dans ce pays. Par suite, les intéressés ne sont pas fondés à soutenir qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de leurs demandes d'asile et en prononçant leur remise aux autorités allemandes, la préfète d'Ille-et-Vilaine aurait entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Par suite ces moyens ne peuvent qu'être écartés.

7. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article 6 du règlement du 26 juin 2013 susvisé : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les Etats membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement. (...) 3. Lorsqu'ils évaluent l'intérêt supérieur de l'enfant, les Etats membres (...) tiennent dûment compte, en particulier, des facteurs suivants : (...) d) l'avis du mineur en fonction de son âge et de sa maturité ". Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

8. La seule circonstance que les enfants de M. F... et Mme D..., nés respectivement en 2007, 2010, 2012, 2014 et 2015 ont été scolarisés en France, ne permet pas d'établir que les arrêtés contestés seraient contraires aux stipulations précitées des articles 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant et 6 du règlement du 26 juin 2013.

9. Il résulte de ce qui précède que M. F... et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Sur le surplus des conclusions :

10. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par M. F... et Mme D... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de leurs conclusions principales.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de M. F... et de Mme D... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., Mme E... D... et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 25 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 novembre 2019

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

H. LENOIR

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 19NT00989, 19NT00990


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00989
Date de la décision : 14/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : TUYAA BOUSTUGUE ; TUYAA BOUSTUGUE ; TUYAA BOUSTUGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-11-14;19nt00989 ?
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