Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... H... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier de Saint-Lô à leur verser la somme de 90 000 euros en réparation des préjudices moraux et matériels qu'ils estiment avoir subis du fait de l'échec de l'interruption volontaire de grossesse dont a bénéficié Mme H... le 10 juin 2015 dans cet établissement.
Par un jugement n° 1600914 du 3 novembre 2017, le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à verser 2 000 euros à Mme H... et 1 000 euros à M. B... au titre de leur préjudice moral.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 janvier 2018 Mme H... et M. B..., représentés par Me I..., demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 novembre 2017 en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de leurs conclusions indemnitaires ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Lô à verser la somme totale de 60 000 euros à Mme H... et celle de 30 000 euros à M. B... au titre de leurs préjudices moraux et matériels ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Lô la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Saint-Lô est engagée en raison de l'échec de l'IVG ;
- leurs préjudices n'ont pas été suffisamment indemnisés par les premiers juges ; leur préjudice moral doit être évalué à respectivement 50 000 et 20 000 euros ; ils ont en outre subi un préjudice matériel de 10 000 euros chacun.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 mars 2018 le centre hospitalier de Saint-Lô, représenté par Me A..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande indemnitaire de Mme H... et M. B... ;
3°) à ce que soit mise à la charge de Mme H... et M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'expertise est irrégulière, dès lors qu'elle n'a pas pris en compte son dire du 25 novembre 2016 et que le tribunal administratif a méconnu les dispositions de l'article R. 621-9 du code de justice administrative ;
- aucune faute n'a été commise lors de l'interruption volontaire de grossesse du 10 juin 2015 ;
- l'absence de suivi de cette intervention n'est à l'origine d'aucun préjudice pour Mme H... et M. B... ;
- l'évocation d'une interruption médicale de grossesse après l'échec de la première intervention n'est pas fautive ;
- la naissance d'un enfant n'ouvre pas droit à indemnisation, même au titre du préjudice moral ;
- les moyens invoqués par Mme H... et M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de Me I..., représentant Mme H... et M. B..., et de Me F..., représentant le centre hospitalier de Saint-Lô.
Considérant ce qui suit :
1. Mme H..., alors enceinte de 12 semaines, a subi le 10 juin 2015 une interruption volontaire de grossesse au centre hospitalier de Saint-Lô. L'échec de cette intervention a été constaté le 2 septembre 2015, lorsqu'elle a été examinée en raison de douleurs au ventre. L'enfant est né le 9 décembre 2015, en bonne santé. A la demande de Mme H... et de M. B..., le père de l'enfant, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a confié une expertise à un gynécologue-obstétricien. Celle-ci a été rendue le 12 décembre 2016. Le tribunal administratif de Caen, par un jugement du 3 novembre 2017, a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à verser 2 000 euros à Mme H... et 1 000 euros à M. B... au titre de leur préjudice moral et a rejeté le surplus de leur demande. Mme H... et M. B... relèvent appel de ce jugement. Le centre hospitalier de Saint-Lô, par la voie de l'appel incident, demande son annulation et le rejet de la demande présentée en première instance par Mme H... et M. B....
Sur la responsabilité :
2. Selon l'article L. 2212-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable : " La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin l'interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu'avant la fin de la douzième semaine de grossesse. ". Aux termes de l'article L. 2213-1 du même code : " L'interruption volontaire d'une grossesse peut, à toute époque, être pratiquée si deux médecins membres d'une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. (...) ". L'article R. 4127-35 du même code dispose : " Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
3. Il résulte de l'expertise du 12 décembre 2016 qui, alors même qu'elle aurait été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière, peut être retenue comme élément d'information dès lors qu'elle a pu être commentée et critiquée par le centre hospitalier de Saint-Lô à l'occasion de la procédure contentieuse, que l'interruption volontaire de grossesse subie par Mme H... le 10 juin 2015 n'a pas été suffisamment attentive. En effet, le praticien qui a pris en charge Mme H... s'est contenté, selon les explications qu'il a lui-même fournies à l'expert, d'une vérification " à travers le tuyau " d'aspiration du résultat de son intervention, alors qu'une vérification anatomique aurait dû être réalisée. Il est également constant que, contrairement aux bonnes pratiques, il n'a pas proposé à Mme H... une consultation post-opératoire, qui aurait permis de détecter plus rapidement la poursuite de la grossesse. Cette prise en charge est donc fautive et de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Lô.
4. En revanche s'il n'est pas contesté que, le 2 septembre 2015, alors que Mme H... était enceinte depuis vingt-quatre semaines, les médecins du centre hospitalier de Saint-Lô qui l'ont examinée ont, à tout le moins, évoqué avec elle la possibilité d'une nouvelle interruption volontaire de grossesse en application des dispositions dérogatoires prévues par l'article L. 2213-1 du code de la santé publique, alors que les conditions légales pour la pratiquer n'étaient à l'évidence pas réunies, un tel comportement, alors même qu'il serait contraire au devoir des médecins de conseiller loyalement leurs patients, n'est pas de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Lô sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique rappelées au point 2.
Sur les préjudices :
5. Contrairement à ce que fait valoir le centre hospitalier de Saint-Lô, les préjudices moraux résultant d'une grossesse non désirée, notamment les troubles psychologiques liés à la découverte de cet état et aux choix auxquels il confronte l'intéressée, sont susceptibles d'ouvrir droit à réparation lorsqu'ils résultent directement d'une faute d'un centre hospitalier. En revanche, la naissance d'un enfant, même si elle survient après une intervention pratiquée sans succès en vue de l'interruption d'une grossesse demandée dans les conditions requises par le code de la santé publique par une femme enceinte, n'est pas génératrice d'un préjudice de nature à ouvrir à ses parents un droit à réparation par l'établissement hospitalier où cette intervention a eu lieu, même en cas de faute de celui-ci, à moins qu'existent des circonstances ou une situation particulière susceptibles d'être invoquées par l'intéressée.
6. Il résulte de l'instruction que Mme H... a souffert, à l'annonce de la poursuite de sa grossesse, d'un syndrome anxieux sévère pour lequel elle a d'ailleurs bénéficié de plusieurs arrêts de travail, en raison notamment de sa difficulté à envisager une relation maternelle avec son futur enfant et de la culpabilité qu'elle a ressentie envers celui-ci. Le père de l'enfant, qui a dû abandonner un projet professionnel nouveau, a également subi un préjudice particulier. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une plus juste appréciation de ces préjudices en les évaluant à la somme de 12 000 euros pour Mme H... et de 3 000 euros pour M. B....
7. Les préjudices matériels dont Mme H... et M. B... demandent à être indemnisés, à savoir des frais de déplacement en lien avec le suivi de la grossesse de Mme H..., une perte de revenus de Mme H..., au demeurant non justifiée, le changement d'affectation de Mme H... et l'abandon du projet professionnel de M. B..., résultent de la naissance de leur enfant et ne relèvent pas de circonstances ou d'une situation particulières. Ils n'ouvrent donc aucun droit à réparation.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme H... et M. B... sont seulement fondés à demander la réformation du jugement attaqué du tribunal administratif de Caen dans la mesure indiquée au point 6 et que les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par le centre hospitalier de Saint-Lô doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme H... et M. B..., qui ne sont pas la partie perdante à l'instance, versent au centre hospitalier de Saint-Lô la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de ce centre hospitalier la somme de 1 500 euros au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Les sommes de 2 000 et 1 000 euros que le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à verser à Mme H... et à M. B... sont portées à 12 000 et 3 000 euros.
Article 2 : Le jugement n°1600914 du tribunal administratif de Caen du 3 novembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par le centre hospitalier de Saint-Lô sont rejetés.
Article 4 : Le centre hospitalier de Saint-Lô versera à Mme H... et M. B... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... H..., à M. C... B..., au centre hospitalier de Saint-Lô et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Mony, premier conseiller,
- M. D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 octobre 2019.
Le rapporteur,
E. D...Le président,
I. Perrot
Le greffier,
M. E...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00006