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29/03/2019 | FRANCE | N°17NT01502

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 29 mars 2019, 17NT01502


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...E...a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 14 500 euros en réparation des préjudices résultant de ses conditions de détention à la maison d'arrêt de Coutances du 15 décembre 2011 au 24 juillet 2012 puis du 19 septembre au 4 novembre 2014.

Par un jugement n° 1600215 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 15 mai 2017 et 30

octobre 2018 M. E..., représenté par Me C... auquel s'est substitué MeA..., demande à la cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...E...a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 14 500 euros en réparation des préjudices résultant de ses conditions de détention à la maison d'arrêt de Coutances du 15 décembre 2011 au 24 juillet 2012 puis du 19 septembre au 4 novembre 2014.

Par un jugement n° 1600215 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 15 mai 2017 et 30 octobre 2018 M. E..., représenté par Me C... auquel s'est substitué MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 mars 2017 du tribunal administratif de Caen ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 14 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Il soutient que :

- pendant ses 290 jours de détention, il n'a jamais bénéficié d'un encellulement individuel, en méconnaissance des articles 716 et 717-2 du code de procédure pénale ;

- pendant toute cette période, il a dû partager ses cellules successives avec un nombre de détenus plus important que celui normalement prévu, il a pendant certaines périodes bénéficié de moins de 3 m2 à titre individuel et a été contraint de dormir sur un matelas posé par terre ;

- les locaux dans lesquels il a été détenu ne répondent pas aux exigences d'hygiène et de salubrité fixées par les articles D. 349 à D. 351 du code de procédure pénale ; la luminosité et l'aération sont insuffisantes ;

- il a été contraint de dormir par terre pendant 15 jours alors qu'il souffrait d'une hernie discale et d'une sciatique qui se sont aggravées de ce fait ;

- il a ainsi subi un préjudice moral du fait de ses conditions de détention contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aux dispositions de l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, préjudice qui peut être évalué à la somme de 50 euros par jour de détention.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 juin 2018 le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 juillet 2017 rectifiée le 2 août 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Bris,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M.E..., né en 1977, a été incarcéré à.... Après avoir, par un courrier du 20 novembre 2015, présenté au garde des sceaux, ministre de la justice, une demande préalable d'indemnisation, il a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 14 500 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions de sa détention. Il relève appel du jugement du 9 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article D. 349 du code de procédure pénale : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ". Aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus ".

3. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. Á conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi.

4. En premier lieu, M. E...se prévaut de la méconnaissance des dispositions des articles 716 et 717-2 du code de procédure pénale relatifs au placement en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt. Cependant, l'article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 permet de déroger à ce principe lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas un emprisonnement individuel, et cette exception au principe de l'encellulement individuel a été prorogée jusqu'en 2019 par la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014. Il résulte de l'instruction que la maison d'arrêt de Coutances est confrontée à une surpopulation carcérale et que, par suite, compte tenu du nombre de cellules disponibles, de la distribution des locaux et du nombre de personnes détenues, l'administration pénitentiaire pouvait légalement déroger au principe de l'encellulement individuel. Ainsi, M. E... n'est pas fondé à soutenir qu'en s'abstenant de respecter ce principe l'administration pénitentiaire a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que, pendant ses deux périodes de détention à la maison d'arrêt de Coutances, M. E...a occupé successivement plusieurs cellules allant de 21 m² à 28 m², qu'il a partagées en permanence avec un nombre de codétenus allant de cinq à douze, parfois avec un ou deux matelas disposés à même le sol. En dépit du fait que les données exactes quant au nombre de détenus par cellule n'ont pu être fournies par l'administration pour la première période, il est ainsi possible d'estimer qu'il a disposé d'un espace personnel inférieur à 3 mètres carrés ou compris entre 3 et 4 mètres carrés durant la quasi-totalité de son séjour.

6. Il ressort par ailleurs du rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté datant de 2011 et des photographies produites devant les premiers juges que les cellules où le requérant a été incarcéré restent vétustes malgré les différents travaux entrepris. Certaines de ces cellules disposaient de fenêtres de faible dimension recouvertes d'un caillebotis ne permettant d'assurer ni un renouvellement satisfaisant de l'air, ni l'apport suffisant de lumière naturelle. En outre, l'insalubrité des locaux a été aggravée par la promiscuité résultant de leur sur-occupation. Dans ces conditions, le requérant doit être regardé comme ayant été, pendant son incarcération au sein de la maison d'arrêt de Coutances, placé dans des conditions excédant le seuil d'atteinte à la dignité humaine et justifiant que soit retenue la responsabilité de l'Etat.

7. En dernier lieu, il ne résulte pas en revanche des pièces médicales produites par M. E... que les problèmes de dos dont il affirme souffrir depuis plusieurs années auraient été aggravés par les conditions de sa détention.

8. Il résulte de ce qui précède que la surpopulation et les conditions insatisfaisantes d'hygiène et de salubrité supportées par M. E...lors de sa détention dans la maison d'arrêt de Coutances lui ont causé un préjudice moral ouvrant droit à réparation. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par l'intéressé en condamnant l'Etat à lui verser à ce titre une somme de 1 800 euros.

9. Par suite, M. E...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

10. M. E...ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me A...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600215 du tribunal administratif de Caen du 9 mars 2017 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. E...la somme de 1 800 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le versement de la somme de 1 500 euros à Me A...est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E...et au garde des Sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme Le Bris, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 mars 2019.

Le rapporteur,

I. Le Bris Le président,

I. Perrot

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 17NT015022


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01502
Date de la décision : 29/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Isabelle LE BRIS
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : MARCHAND-KERFURUS

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-03-29;17nt01502 ?
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