Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 19 décembre 2016 par laquelle le directeur adjoint du travail de la 1ère section de la 2ème unité de contrôle de l'unité départementale du Calvados de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie a autorisé la société Elivia à le licencier du fait de son inaptitude.
Par un jugement n° 1700224 du 28 décembre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé l'autorisation de licenciement du 19 décembre 2016.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 février 2018, la société Elivia, représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 28 décembre 2017 ;
2°) de rejeter la demande de M. A...devant le tribunal administratif de Caen ;
3°) de mettre à la charge de M. A...le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a apprécié le tribunal, la société a procédé à une recherche loyale, sérieuse et exhaustive de reclassement, y compris à travers la diffusion d'une liste de postes disponibles au sein du groupe Terrena.
- par ailleurs :
. la société a respecté la procédure préalable au licenciement, tant en ce qui concerne la consultation des délégués du personnel qu'en ce qui concerne la consultation du comité d'entreprise, lequel a été complètement informé ;
. la demande d'autorisation de licenciement était recevable, aucune disposition légale ou règlementaire ne venant imposer, sous peine d'irrecevabilité, la communication de ces documents en annexe de la demande d'autorisation de licenciement à adresser à la DIRECCTE.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 et 19 décembre 2018, M.A..., représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Elivia au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée à la ministre chargée du travail, laquelle n'a pas produit de mémoire en défense.
L'instruction a été close au 28 janvier 2019, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant M.A....
Considérant ce qui suit
Les faits, la procédure :
1. M. C...A...a été recruté en 1977 par la société Elivia, qui appartient au groupe de l'agroalimentaire Terrena, comme pareur pour la découpe de viandes sur une chaîne d'abattage au sein de l'établissement situé à Villers-Bocage (Calvados), qui a pour activité l'abattage de bovins, le désossage et la fabrication de steaks hachés surgelés. Il exerçait par ailleurs les mandats de délégué du personnel titulaire. Le 7 septembre 2016, à la suite d'une maladie professionnelle, le médecin du travail a déclaré M. A...inapte à son poste de travail d'opérateur d'abattage, mais apte à un poste sans geste répétitif, sans cadencement, sans port de charge, sans travail au froid et sans élévation des bras au-dessus du plan des épaules chez un droitier, en précisant que le salarié pouvait être reclassé sur un poste de garde ou de secrétariat. Le 22 novembre 2016 l'employeur a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M.A.... Par décision du 19 décembre 2016 le directeur adjoint du travail de la DIRECCTE de Normandie a autorisé la société Elivia à licencier M. A...pour cause d'inaptitude consécutive à une maladie professionnelle. La société relève appel du jugement du 28 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen annulé cette autorisation au motif que l'employeur de M. A...avait manqué à son obligation de recherche de reclassement.
Sur les conclusions à fins d'annulation
2. Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa version applicable à la présente espèce : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail. ". Et aux termes de l'article de L. 1226-12 du même code : " Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement./ L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions. Il peut également rompre le contrat de travail si l'avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé./ S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III. "
3. Conformément aux dispositions précitées de l'article L 1226-12 il appartient à l'administration, dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en oeuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
4. Pour justifier de ses recherches sérieuses et loyales d'un reclassement au profit de M. A... avant de solliciter l'autorisation de le licencier pour inaptitude, la société Elivia indique avoir organisé avec l'intéressé trois entretiens qui se sont déroulés les 21 et 27 septembre et le 6 octobre 2016. Selon les comptes-rendus versés au dossier par l'employeur, qui n'a cependant notifié à M. A...lui-même aucune offre écrite, le salarié s'est vu proposer un poste d'opérateur de maintenance à occuper à Villiers Bocage dans l'entreprise Elivia, ainsi que deux postes dans le groupe Terrena dont fait partie la société, soit un poste d'employé administratif au sein de Ter Elevage à Noyers Bocage et un emploi de conseiller Vendeur au sein d'Espace Terrena à Pipriac.
5. En premier lieu la société Elivia ne conteste pas devant la cour l'appréciation portée par le tribunal administratif de Caen au point 3 du jugement attaqué, selon laquelle le poste d'employé administratif supposait des compétences professionnelles sans rapport avec les capacités de M.A..., cependant que, s'agissant du poste de conseiller vendeur en Bretagne, aucune fiche de poste n'a été transmise au salarié non plus qu'aucune précision sur les fonctions à exercer et la rémunération envisagée.
6. En deuxième lieu, s'agissant du poste d'opérateur de maintenance, la société se prévaut en appel d'une part des aménagements d'horaire, incluant un mi-temps thérapeutique, proposés à M. A...et d'autre part de la formation d'une durée minimale de trois semaines qui lui aurait été réservée à la prise de poste. Toutefois ces modalités sont sans effet sur l'appréciation portée par le tribunal administratif et non contestée par la requérante dans son principe, selon laquelle les tâches figurant à la fiche de poste correspondant à cet emploi nécessitaient le port de charges et l'élévation des bras au-dessus des épaules et étaient dès lors incompatibles avec les restrictions émises par le médecin du travail.
7. Par ailleurs, si la société soutient au contentieux que " le poste d'opérateur de maintenance avait pour objectif de venir en soutien du poste de magasinier de sorte que les tâches physiquement non réalisables par M. A...sont réalisées par le magasinier ", il ne résulte ni des comptes rendus des réunions mentionnées ci-dessus entre l'employeur et le salarié, ni du procès-verbal des réunions de consultation des délégués du personnel ou du comité d'entreprise, ni d'aucune autre pièce du dossier, qu'une telle répartition des tâches et par suite une telle limitation des activités dévolues à M. A...aurait été envisagée à l'occasion de la recherche de reclassement et de la définition des postes proposés à l'intéressé.
8. S'agissant du poste d'opérateur d'abattage également envisagé, il ressort des pièces du dossier et notamment de la fiche de poste correspondante, ainsi que des photographies versées au dossier d'appel par M. A...qu'il s'agit d'un poste à tenir dans un couloir en contact avec l'extérieur et donc exposé au froid, et qui nécessite de faire circuler les animaux et donc d'effectuer des gestes répétitifs avec le bras au-dessus des épaules, compte-tenu du positionnement des barrières délimitant le couloir d'amenée. Ce travail suppose aussi, le cas échéant, de relever les bovins couchés, ce qui implique le port de charges lourdes. Toutes ces sujétions étant contraires aux restrictions imposées par le médecin du travail, c'est avec raison que M.. A...n'a pas donné suite à cette proposition.
9. Enfin il n'est pas établi par les pièces du dossier que la société Elivia aurait procédé à des démarches pour trouver au sein du groupe Terrena auquel elle appartient, groupe de l'agroalimentaire qui regroupe 22 000 exploitations agricoles et exploite 470 sites industriels en France, des postes de reclassement susceptibles de convenir à M.A..., les circonstances que les postes proposés à Noyers-Bocage et Pipriac relèvent d'entreprises de ce groupe et que la liste des emplois alors disponibles au sein du groupe a été transmise à l'intéressé n'étant pas suffisantes pour établir l'existence d'une recherche sérieuse au sein du groupe.
10. Dans ces conditions la société Elivia, qui ne justifie pas de l'impossibilité de proposer un emploi de reclassement prenant en compte les restrictions résultant de l'avis du médecin du travail relativement à l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise, n'est pas fondée à se prévaloir du refus par M. A...des seuls postes qui lui étaient proposés. C'est donc à tort que le directeur adjoint du travail territorialement compétent a estimé, pour accorder l'autorisation de licenciement en litige, que l'employeur avait satisfait à son obligation de recherche de reclassement.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Elivia n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.A..., qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme que demande la société Elivia au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Elivia le versement à M. A...d'une somme de 1 500 euros au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Elivia est rejetée.
Article 2 : La société Elivia versera à M. A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Elivia, à la ministre du travail et à M. C...A....
Délibéré après l'audience du 1er mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 mars 2019.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00505