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25/01/2019 | FRANCE | N°17NT01500

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 25 janvier 2019, 17NT01500


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I...J..., M. M...J...et Mme O...C..., épouseJ..., en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs L...et B...J..., Q...J..., épouseA..., et M. D...A..., en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs F...et E...A..., ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours à les indemniser des préjudices qu'ils ont subis en raison du décès de Jean-ClaudeJ...

, survenu le 17 juin 2012 alors qu'il était soigné dans cet établissement.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I...J..., M. M...J...et Mme O...C..., épouseJ..., en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs L...et B...J..., Q...J..., épouseA..., et M. D...A..., en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs F...et E...A..., ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours à les indemniser des préjudices qu'ils ont subis en raison du décès de Jean-ClaudeJ..., survenu le 17 juin 2012 alors qu'il était soigné dans cet établissement.

Par un jugement n° 1402122 du 30 mars 2017, le tribunal administratif d'Orléans a condamné le CHRU de Tours à verser à Mme I...J...la somme de 19 161,50 euros, à M. M...J...et à Mme N...J...épouse A...une somme de 4 400 euros chacun, à M. D...A...et Mme O...C...épouse J...une somme de 800 euros chacun, à M. M... J...et Mme O...C...épouseJ..., en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants, L...et Julie, une somme globale de 4 800 euros, enfin à M. D...A...et Mme N...J...épouseA..., en leur qualité de représentant légaux de leurs enfants, F...et Louise, une somme globale de 4 800 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 mai 2017 et régularisée le 18 mai 2017 les consortsJ..., représentés par Me H..., demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 30 mars 2017 en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à leurs conclusions indemnitaires ;

2°) d'évaluer leurs préjudices de la façon suivante :

- 161 546,32 euros à Mme I...J... ;

- 15 000 euros chacun à Guillaume et StéphanieJ... ;

- 3 000 euros chacun à Didier A...et ChristelleJ... ;

- 10 000 euros chacun aux quatre petits enfants de Jean-ClaudeJ... ;

3°) de mettre à la charge du CHRU de Tours les dépens et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il y a lieu de confirmer le taux de perte de chance de survie de 80% retenu par le tribunal administratif ainsi que le montant accordé au titre des frais d'obsèques ;

- leur préjudice d'affection a été insuffisamment indemnisé par les premiers juges ;

- Mme I...J...a droit au remboursement des frais notariaux qu'elle a engagés pour la succession de son mari ;

- pour le calcul de la perte de revenus du conjoint survivant, il y a lieu de retenir une part de consommation du défunt de 30% et non de 45% comme l'ont fait les premiers juges.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 juillet 2018 le CHRU de Tours, représenté par MeK..., conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué.

Il fait valoir que :

- le taux de perte de chance de survie de Jean-Claude J...doit être ramené à 60% et ne saurait, en tout état de cause, être supérieur à 78% qui est le pourcentage évalué par l'expert ;

- les demandes indemnitaires des consorts J...au titre du préjudice d'affection sont excessives et même infondées s'agissant du gendre et de la belle-fille de Jean-ClaudeJ... ;

- les autres moyens soulevés par les consort J... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Berthon,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Jean-ClaudeJ..., né en 1947, a souffert entre 2005 et 2010 de diverses pathologies, dont un cancer de la prostate, et en 2012 d'une sténose de l'artère iliaque primitive gauche pour laquelle il a subi un pontage aorto-bifémoral par approche coelioscopique le 13 juin 2012 au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours. Les suites de cette intervention ont notamment été marquées par des difficultés hémodynamiques et respiratoires. Une infection de la prothèse aortique a été diagnostiquée. Malgré les soins prodigués, Jean-Claude J...est décédé le 17 juin des suites d'un choc septique. Saisi par les consortsJ..., le tribunal administratif d'Orléans a prescrit en référé une première expertise, qui a été rendue le 24 avril 2013, puis, par jugement avant dire droit du 13 mai 2015, ce même tribunal a, après avoir retenu la responsabilité du CHRU de Tours, ordonné une expertise complémentaire afin notamment de déterminer le taux de perte de chance de survie de Jean-ClaudeJ.... Par un jugement du 30 mars 2017, les premiers juges, après avoir fixé ce taux à 80%, ont accordé une somme globale de 39 161,50 euros aux consortsJ.... Ceux-ci relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs conclusions indemnitaires. Par la voie de l'appel incident, le CHRU de Tours demande la réformation du jugement en tant qu'il a fixé le taux de perte de chance et le montant des réparations à un niveau trop élevé.

Sur la responsabilité du CHRU de Tours :

2. Il résulte de l'instruction que, pendant l'intervention du 13 juin 2012, Jean-Claude J...a été victime d'une perforation de l'anse jéjunale qui est à l'origine du choc septique dont il est décédé et qui aurait pu être évitée s'il avait été mieux tenu compte de ses antécédents chirurgicaux prostatiques. Par suite, et ainsi qu'il est d'ailleurs admis par les parties, la responsabilité pour faute du CHRU de Tours est engagée.

Sur les préjudices :

3. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

4. Il résulte du rapport de l'expert que le risque de décès à un an de Jean-Claude J...en raison de la pathologie dont il souffrait et en l'absence de soin aurait été, compte tenu de ses antécédents, de 22%. Le taux de perte de chance de survie de Jean-Claude J...doit donc être fixé à 78%, comme le propose l'expert, sans qu'il y ait lieu de tenir compte comme l'a fait le tribunal administratif d'un risque supplémentaire lié à la technique d'approche par coelioscopie choisie par les médecins du CHRU de Tours lors de l'intervention du 13 juin 2012.

S'agissant des préjudices de Mme I...J... :

5. Mme I...J...justifie avoir engagé des frais d'obsèques à hauteur de 3 951,88 euros. Après application du taux de perte de chance retenu au point 4, il y a lieu de condamner le CHRU de Tours à lui verser la somme de 3 082,47 euros au titre de ce chef de préjudice.

6. Le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime consacrés à son entretien compte tenu de ses propres revenus. Il résulte de l'instruction que le revenu du couple formé par M. P...et Mme I...J..., dont les deux enfants étaient majeurs et ne vivaient plus au foyer familial, s'est élevé à 51 803,68 euros en 2011. Eu égard à la composition du foyer, la part de consommation personnelle de Jean-Claude J...sera plus justement estimée à 40%, au lieu des 45% retenus par les premiers juges. Le revenu annuel disponible de Mme J...avant le décès de son époux était donc de 31 082,21 euros. Il résulte de l'avis d'imposition de Mme J...pour 2013 que ses revenus ont atteint 30 489 euros après le décès de son mari. Par conséquent sa perte patrimoniale annuelle s'élève à 593,21 euros. Pour capitaliser cette perte, il y a lieu d'utiliser la table de capitalisation des rentes viagères issue du barème 2018 de la Gazette du Palais en fonction de l'âge Jean-Claude J...au jour de son décès, soit soixante-cinq ans. Sur cette base, Mme J...a droit, après application du taux de perte de chance de 78%, à la somme de 7 975,16 euros au titre de son préjudice économique. Le jugement attaqué devra être réformé dans cette mesure.

7. Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu notamment de l'âge de Jean-Claude J...à la date de son décès, le préjudice d'affection subie par sa veuve doit être évalué, comme en première instance, à 20 000 euros. Après application du taux de perte de chance de 78%, il ya lieu de condamner le CHRU de Tours à lui verser la somme de 15 600 euros au titre de ce chef de préjudice.

8. Comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif d'Orléans, les frais de succession supportés par Mme J...ne présentent pas de lien de causalité directe avec la faute du CHRU de Tours. Par suite, la requérante n'est pas fondée à en demander le remboursement.

S'agissant des préjudices des autres membres de la famille :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de confirmer les sommes attribuées par le tribunal administratif d'Orléans aux enfants de Jean-Claude J...au titre de leur préjudice d'affection, soit 5 500 euros chacun. Après application du taux de perte de chance de 78%, il y a donc lieu de condamner le CHRU de Tours à verser des sommes de 4 290 euros à M. M... J...et à Mme N...A....

10. Le préjudice d'affection subi par les petits-enfants de Jean-Claude J...a été justement évalué à 3 000 euros chacun. Il y a lieu, par conséquent et après application du taux de perte de chance de 78%, de condamner le CHRU de Tours à leur verser à chacun la somme de 2 340 euros.

11. Les personnes dépourvues de lien de parenté directe avec une victime peuvent être indemnisées de leur préjudice d'affection à la condition d'établir par tout moyen avoir entretenu un lien affectif avec celle-ci. Par les quelques photographies non légendées qu'ils produisent, Mme O...C...et M. D...A..., respectivement belle-fille et gendre de Jean-ClaudeJ..., n'établissent pas avoir entretenu un lien affectif avec leur beau-père de nature à leur ouvrir droit à réparation au titre du préjudice d'affection. Le jugement attaqué doit donc être réformé sur ce point.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la somme globale de 39 161,50 euros allouée par les premiers juges aux consorts J...doit être portée à 44 597,63 euros.

Sur les frais de l'instance :

13. Il y a lieu, comme l'ont fait les premiers juges, de mettre les frais des deux expertises, tels que liquidés et taxés par les ordonnances du président du tribunal administratif d'Orléans du 13 février 2014 et du 6 décembre 2016 aux sommes de 2 000 euros et 3 144 euros, à la charge définitive du CHRU de Tours.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHRU de Tours la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts J...et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 19 161,50 euros accordée à Mme I...J...par le tribunal administratif d'Orléans est portée à 26 657,63 euros.

Article 2 : Les sommes de 4 400 euros chacun accordées respectivement à M. M...J...et à Mme N...J...par le tribunal administratif d'Orléans sont ramenées à 4 290 euros.

Article 3 : La somme globale de 4 800 euros accordée par le tribunal administratif d'Orléans à M. M...J...et à Mme O...C...en leur qualité de représentants légaux de L...J...et de Julie J...est ramenée à 4 680 euros.

Article 4 : La somme globale de 4 800 euros accordée par le tribunal administratif d'Orléans à M. D...A...et à Mme N...J...en leur qualité de représentants légaux d'F... A...et de Louise A...est ramenée à 4 680 euros.

Article 5 : La demande présentée par Mme O...C...et M. D...A...devant le tribunal administratif d'Orléans est rejetée.

Article 6 : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans en date du 30 mars 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1 à 5 ci-dessus.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts J...et le surplus des conclusions d'appel incident du CHRU de Tours sont rejetés.

Article 8 : Les frais d'expertise liquidés et taxés aux sommes de 2 000 euros et 3 144 euros sont maintenus à la charge du CHRU de Tours.

Article 9 : Le CHRU de Tours versera aux consorts J...la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I...J..., à M. M... J..., à Mme O...C..., épouseJ..., à Mme N...J..., épouseA..., à M. D... A..., au CHRU de Tours et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-Loire.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur

- M. Berthon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 janvier 2019.

Le rapporteur,

E. BerthonLe président,

I. Perrot

Le greffier,

M. G...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT01500


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01500
Date de la décision : 25/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : MARCONI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-01-25;17nt01500 ?
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