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17/12/2018 | FRANCE | N°17NT02782

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 17 décembre 2018, 17NT02782


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alliance Bois Matériel a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler, d'une part, la décision du 13 mai 2015 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Cher de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Centre a refusé d'accorder l'autorisation de procéder au licenciement de M. D... C...J..., et d'autre part la décision implicite de rejet née le 2 novembre 2015 du silence conservé par la ministre

du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue soc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alliance Bois Matériel a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler, d'une part, la décision du 13 mai 2015 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Cher de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Centre a refusé d'accorder l'autorisation de procéder au licenciement de M. D... C...J..., et d'autre part la décision implicite de rejet née le 2 novembre 2015 du silence conservé par la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur le recours hiérarchique de la société.

Par un jugement n° 1504211 du 13 juillet 2017, le tribunal administratif d'Orléans a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 septembre 2017, M. C...J..., représenté par MeH..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 13 juillet 2017 ;

2°) de rejeter la demande de la société Alliance Bois Matériel devant le tribunal administratif d'Orléans ;

3°) de mettre à la charge de la société Alliance Bois Matériel le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, les premiers juges n'ayant pas écarté ses moyens de défense, qui étaient sérieux ;

- la procédure de licenciement est viciée, si bien que l'inspecteur du travail avait compétence liée pour refuser son autorisation ; en effet la lettre de convocation à l'entretien préalable ne mentionne pas la nature disciplinaire du licenciement envisagé ; de plus l'employeur a falsifié les procès-verbaux d'entretien préalable ;

- en ce qui concerne le bien-fondé du licenciement :

. il n'est pas entré en possession de matériel de la société de manière frauduleuse, dès lors qu'il y avait été autorisé par l'ancien chef d'agence en 2008, à l'occasion d'une opération de nettoyage ; matériellement le bloc n'aurait pu être pris qu'au vu et au su de l'employeur ;

. l'attestation de M. E...produite en sens inverse par l'employeur est douteuse au vu de la signature qui y figure ; il demande à ce sujet une vérification d'écritures en application de l'article R. 624-1 du code de justice administrative et verse en sens contraire d'autres attestations ; il a toujours nié le vol ;

. les faits sont prescrits au sens de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

. il est de bonne foi, n'ayant jamais caché avoir pris un bloc de climatisation ; il avait été autorisé par le chef d'agence à prendre le bloc de climatisation en cause ; la photographie produite par la société ne démontre pas que cette appropriation est récente ;

. dès lors que le matériel était destiné à être jeté au rebut, le préjudice n'est en tout état de cause pas établi et de ce fait les faits ne sont pas suffisamment graves pour justifier le licenciement.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 novembre 2017 et le 19 avril 2018, la société Alliance Bois Matériel, représentée par la SELARL Alciat-Juris, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. C...J...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 21 août 2018 la clôture de l'instruction a été fixée au 13 septembre 2018.

Un mémoire présenté pour M. C...J..., enregistré le 11 septembre 2018, n'a pas été communiqué à défaut d'éléments nouveaux au sens de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Les faits, la procédure :

1. M. C...J...est employé depuis le 4 mai 1998 en qualité de mécanicien, d'abord par la société anonyme Centre Ouest Matériel puis, à partir du 9 mars 2005, date du rachat du fonds de commerce de la SA Centre Ouest Matériel, par la société par actions simplifiée (SAS) Alliance Bois Matériel, qui a poursuivi son contrat de travail. Par un courrier du 16 mars 2015, la SAS Alliance Bois Matériel a demandé à l'inspecteur du travail, en application de l'article L. 2411-5 du code du travail, l'autorisation de licencier M. C...J...pour faute. Cette autorisation a été refusée aux termes d'une décision du 13 mai 2015 par laquelle l'inspecteur du travail a estimé qu'" il était difficile d'établir la matérialité des faits en l'absence d'inventaire et en présence de témoignages contradictoires ". Le recours hiérarchique que la société Alliance Bois Matériel a exercé auprès du ministre chargé du travail a été rejeté implicitement le 2 novembre 2015. M. C...J...relève appel du jugement du 13 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a annulé, à la demande de son employeur, le refus du 13 mai 2015 de l'inspecteur du travail ainsi que le rejet par la ministre chargée du travail du recours hiérarchique exercé par la société.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. C...J...avait fait valoir en défense l'irrégularité de la procédure de licenciement mise en oeuvre par son employeur. Alors qu'un tel grief est susceptible, s'il est fondé, de placer l'inspecteur du travail en situation de compétence liée pour refuser l'autorisation de licenciement sollicitée, et par suite d'entraîner le rejet des conclusions en annulation de la société contre le refus en litige, le tribunal administratif ne l'a pas expressément écarté avant de statuer.

3. M. C...J...a également contesté en première instance la valeur probante de l'attestation établie par M.E..., ancien chef d'agence, produite par la société Alliance Bois Matériel, en l'absence d'information sur l'adresse du signataire et de copie de sa pièce d'identité. Or le tribunal administratif a retenu cette attestation sans avoir auparavant écarté l'argumentation de M. C...J...à son encontre.

4. Il résulte de ce qui précède que le tribunal a donné satisfaction à la société Alliance Bois Matériel sans répondre à certains arguments de défense qui n'étaient pas inopérants. M. C... J...est dès lors fondé à soutenir que le jugement, insuffisamment motivé au sens de l'article L. 9 du code de justice administrative, est par suite irrégulier et doit être annulé.

5. Dans les circonstances de l'espèce il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Alliance Bois Matériel devant le tribunal administratif d'Orléans.

Sur la légalité du refus d'autorisation de licenciement :

6. Pour solliciter l'autorisation de licencier M. C...J..., la société Alliance Bois Matériel lui fait grief d'avoir commis un vol au détriment de la société en s'appropriant sur son lieu de travail un bloc de climatisation destiné à équiper un chariot élévateur. Elle indique s'être rendue compte des faits en consultant en décembre 2014 une annonce, accompagnée d'une photographie récente prise dans les locaux de l'entreprise, déposée sur un site internet par la compagne de M. C...J..., qui avait mis en vente cet équipement en le présentant comme neuf.

7. M. C...J..., qui ne nie pas s'être approprié du matériel provenant de la société, conteste toute intention frauduleuse. Il soutient avoir été autorisé à prendre possession de ce matériel en 2008 ou en 2009 par l'ancien directeur de l'établissement, à la suite d'une opération de mise au rebut. Il ajoute avoir voulu illustrer l'annonce sur internet par une photographie prise récemment d'un matériel semblable présent dans l'entreprise.

8. Pour conforter ses dires M. C...J...verse au dossier plusieurs attestations d'anciens salariés de la société. Toutefois la valeur probante des attestations de M. F...qui a quitté l'entreprise en décembre 2007, de M.G..., qui a quitté la société en mars 2008 et de M. I...qui a succédé à M.F..., sont à relativiser en raison de l'ancienneté des faits et du peu de précision apporté par M. C...J...sur la date à laquelle il aurait été autorisé à prendre le matériel. En revanche la société Alliance Bois Matériel n'est pas fondée à demander que soient écartés les témoignages réitérés et circonstanciés de M. B...au seul motif que ce dernier, qui a quitté l'entreprise en décembre 2010, aurait présenté en vain sa candidature pour y revenir en janvier 2014.

9. La société Alliance Bois Matériel se prévaut d'une attestation, datée du 23 févier 2015, signée par M. A...E.... La circonstance, regrettable, que cette attestation ne comporte pas d'adresse et ne soit pas accompagnée d'une photocopie de la carte d'identité de son signataire ne lui enlève pas toute valeur probante dès lors notamment que, contrairement à ce que soutient M. C... J..., la signature qu'elle comporte émane manifestement de la même personne que celle qui a signé un courrier relatif aux congés payés en 2008 en tant que dirigeant de l'établissement, alors que cette fonction était occupée par M.E....

10. Toutefois cette attestation de M.E... qui mentionne " Je n'ai jamais, durant toute ma période ABM, donné à quiconque, l'autorisation de prendre des groupes de climatisation pour les vendre à son propre compte " n'exclut nullement qu'une telle autorisation n'aurait pu être consentie par lui à d'autres usages, ce qu'accréditent les explications de l'intéressé, qui n'ont pas reçu de démenti, selon lesquelles " les blocs de climatisation étaient offerts par la société Manitou pour être montés en option sur les véhicules de chantier ou les tracteurs vendus aux utilisateurs finaux par la société ABM. Lorsque la société Manitou a équipé ses engins de chantiers et tracteurs de climatisation en série, ces blocs de climatisation sont soudain devenus inutiles ".

11. Par ailleurs et alors qu'elle est la seule à pouvoir produire une telle information, la société Alliance Bois Matériel ne produit aucun élément issu de sa comptabilité ou provenant des données de ses inventaires, de nature à établir, d'une part, l'exercice au cours duquel le bloc de climatisation aurait disparu de son stock et, d'autre part, le mode de sortie de ce bloc - mise au rebut ou " démarque inconnue ".

12. En conséquence de cette absence d'information et du caractère contradictoire des témoignages produits il existe un doute sérieux quant à l'intention frauduleuse avec laquelle M. C... J...est entré en possession du matériel issu de la société. Ce doute devant profiter au salarié en application de l'article L. 1233-4 du code du travail, c'est à bon droit que l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de licencier M. C...J...que sollicitait la société Alliance Bois Matériel.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire de procéder à la vérification d'écritures demandée par M. C...J..., que la société Alliance Bois Matériel n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail refusant l'autorisation de le licencier.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Alliance Bois Matériel une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...J...et non compris dans les dépens. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C...J..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Alliance Bois Matériel et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 13 juillet 2017 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Alliance Bois Matériel devant le tribunal administratif d'Orléans est rejetée.

Article 3 : La société Alliance Bois Matériel versera à M. C...J...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions d'appel présentées par la société Alliance Bois Matériel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...C...J..., à la société Alliance Bois Matériel et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 30 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 décembre 2018.

Le rapporteur,

J. FRANCFORTLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 17NT02782


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT02782
Date de la décision : 17/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Jérôme FRANCFORT
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL ALCIAT-JURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-12-17;17nt02782 ?
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