Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...D...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision implicite de rejet née le 25 mai 2014 du silence gardé par la société Orange sur sa réclamation tendant à obtenir la reconstitution à titre posthume de la carrière de son défunt mari, M. B... D..., ainsi que le paiement d'une indemnité de 85 510,43 euros en compensation tant de la perte indiciaire subie par celui-ci que de ses propres préjudices, résultant du blocage illégal de la carrière de son époux.
Par un jugement n° 1403523 du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 mai 2017 MmeD..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 mars 2017 ;
2°) d'enjoindre à la société Orange de procéder à la reconstitution de sa carrière de son mari ;
3°) de condamner la société Orange à lui verser la somme de 85 510,43 euros en compensation du manque à gagner subi par son mari et du préjudice qu'elle a personnellement subi, cette somme devant porter intérêt au taux légal à compter de la réception de la demande préalable par la société ;
4°) de mettre à la charge de la société Orange le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé s'agissant de l'obligation incombant à l'employeur de son mari de reconstituer la carrière de ce dernier en raison des fautes commises, d'une part, de la méconnaissance du principe d'égalité, d'autre part ;
- la société Orange a méconnu le principe d'égalité de traitement ainsi que le principe de liberté du travail et de l'opinion, les fonctionnaires reclassés étant les seuls, du fait de leur intégration au sein de France Telecom, à avoir été privés de l'application des dispositions relatives à la promotion interne de la loi du 11 janvier 1984 ;
- M. D...remplissait les conditions pour accéder au grade de chef technicien des installations à compter d'avril 1994 et en tout état de cause au grade d'inspecteur à compter de l'année 1993 ;
- France Télécom s'est abstenue d'activer les voies de promotion interne qui demeuraient ouvertes ;
- le caractère fautif du comportement de France Télécom a été reconnu par la cour dans son arrêt du 30 décembre 2010 ;
- les illégalités commises par France Télécom dans la gestion de la carrière de son mari impliquent une reconstitution de celle-ci ;
- elle est fondée à obtenir le versement d'une somme correspondant aux traitements que son époux aurait dû percevoir s'il avait bénéficié d'un déroulement de carrière continu, perte indiciaire s'élevant à 70 510,43 euros ;
- elle doit aussi être indemnisée à concurrence de 5 000 euros des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral personnellement subis en raison de la répercussion des fautes de France Telecom sur les conditions de vie de son couple.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 novembre 2017 et 16 avril 2018, la société Orange, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme D...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire présenté pour la société Orange, enregistré le 24 septembre 2018, n'a pas été communiqué à défaut d'éléments nouveaux au sens de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
L'instruction a été close le 17 octobre 2018, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire, présenté pour la société Orange, a été enregistré le 17 octobre 2018, postérieurement à l'émission de l'ordonnance de clôture à effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée, portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom ;
- le décret n° 90-1231 du 31 décembre 1990 relatif au statut particulier du corps des techniciens des installations des télécommunications ;
- le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Les faits :
1. M. B... D..., fonctionnaire à France Télécom depuis le 9 février 1972 et titularisé le 12 février 1974 dans le grade de technicien des installations (TINT) puis promu au grade de technicien supérieur des installations (TSINT), a refusé, lors du changement de statut de son employeur en 1990, d'intégrer les corps dits de " reclassification " et a opté en faveur de la conservation de son grade régi par les décrets du 25 mars 1993. Il est décédé le 11 février 2008.
2. Par un arrêt du 30 décembre 2010 n° 08NT01767, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que France Télécom et l'Etat avaient commis des illégalités fautives en privant à partir de 1993 les fonctionnaires " reclassés " d'une possibilité de promotion interne. Elle a toutefois estimé qu'il ne résultait pas de l'instruction que M. D..., qui avait accédé au grade de conducteur de travaux du service des lignes (CDTXL) de France Télécom le 1er juillet 1982, aurait eu, alors même qu'il satisfaisait, depuis le 7 mai 1992, aux conditions posées par les statuts pour figurer sur la liste d'aptitude pour l'accès au grade de chef technicien (CTINT) puis au corps des inspecteurs des lignes de France Télécom (IN), compte tenu des appréciations portées sur sa manière de servir, une chance sérieuse d'accéder au grade hiérarchiquement supérieur, eu égard à la nature des fonctions susceptibles de lui être confiées si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après 1993. En conséquence la cour a rejeté les conclusions de Mme D..., venant aux droits de son défunt mari, tendant à ce qu'une indemnité lui fût versée au titre des préjudices financier et professionnel. En revanche elle a alloué à l'intéressée une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par son époux du fait de l'atteinte portée à ses droits statutaires à raison des illégalités fautives relevées à l'encontre de France Télécom et de l'Etat.
3. Par un courrier du 20 mars 2014, resté sans réponse, Mme D... a saisi la société Orange, succédant à France Télécom, d'une demande tendant à la reconstitution de la carrière de son mari à compter de 1993 et au versement d'une somme de 70 510, 43 euros, correspondant à la perte de traitements liée à son absence de promotion au grade d'inspecteur à compter de 1993, ainsi que d'une somme de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses propres conditions d'existence, de son préjudice moral et de l'incidence du blocage de la carrière de son mari sur la pension de retraite dont elle est désormais bénéficiaire. Elle relève appel du jugement du 16 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la reconstitution de la carrière de son mari et à la condamnation de la société Orange à lui verser la somme de 85 510, 43 euros.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. En premier lieu, au titre des préjudices patrimoniaux, Mme D...sollicite l'indemnisation, à concurrence de 70 510,43 euros de la " perte indiciaire " qu'aurait subie son mari en conséquence du blocage de carrière dû aux fautes commises par la société Orange dans la gestion de sa carrière ainsi que la réparation, à concurrence de 10 000 euros, du préjudice subi du fait de la minoration de la pension de retraite de son mari, dont elle est bénéficiaire.
5. La société Orange a expressément invoqué devant la cour le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu par cette même cour le 30 décembre 2010. Dès lors que Mme D...succède aux droits de son époux en ce qui concerne les préjudices patrimoniaux qu'elle invoque, le litige indemnitaire né entre Mme D...et l'ancien employeur de son mari, France Telecom, auquel a succédé la société Orange, oppose dans cette mesure les mêmes parties. Il est fondé sur la même cause juridique, à savoir le comportement fautif de l'administration, et se rapporte à la même demande, visant à l'indemnisation des préjudices liés au blocage illégal de la carrière de M.D..., que celle à l'origine du litige qui a donné lieu à l'arrêt de cette cour du 30 décembre 2010. Dès lors, l'autorité de la chose jugée, qui s'attache tant au dispositif de cet arrêt qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire, s'oppose à ce qu'il soit fait droit à la nouvelle action que Mme D...dirige, sur le même fondement, contre la société Orange.
6. En second lieu, si Mme D...sollicite également, à titre de réparation de préjudices personnels, une somme de 5 000 euros pour les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral lié à la répercussion des fautes de France Telecom sur les conditions de vie de son couple, elle n'assortit cette demande d'aucune justification quant à la matérialité de ces préjudices.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. D'une part les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Orange, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme que demande Mme D...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
9. D'autre part il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante le versement à la société Orange d'une somme au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Orange au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...D...et à la société Orange.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2018.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe Président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT01582