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01/10/2018 | FRANCE | N°17NT01436

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 01 octobre 2018, 17NT01436


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Honeywell Matériaux de Friction a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 15 mai 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, saisi par la société d'un recours hiérarchique contre la décision du 24 septembre 2014 par laquelle l'inspecteur du travail avait refusé l'autorisation de licencier Mme E...D..., a, d'une part annulé ce refus et d'autre part refusé de délivrer l'autorisation de licenciement sol

licitée.

Par un jugement n° 1501478 du 16 mars 2017, le tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Honeywell Matériaux de Friction a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 15 mai 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, saisi par la société d'un recours hiérarchique contre la décision du 24 septembre 2014 par laquelle l'inspecteur du travail avait refusé l'autorisation de licencier Mme E...D..., a, d'une part annulé ce refus et d'autre part refusé de délivrer l'autorisation de licenciement sollicitée.

Par un jugement n° 1501478 du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du ministre chargé du travail du 15 mai 2015 en tant qu'elle refusait l'autorisation de licenciement sollicitée par la société Honeywell Matériaux de Friction.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 mai et 27 septembre 2017, Mme D..., représentée par la SCP LBBA, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 16 mars 2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'inspecteur du travail avait en mains les éléments suffisants pour estimer que les recherches de reclassement n'avaient pas été sérieuses ; par suite le ministre chargé du travail n'avait pas, dans le cadre du recours hiérarchique, à organiser une nouvelle enquête contradictoire ;

- la société Honeywell Matériaux de Friction ne justifie pas du sérieux et de la loyauté des recherches de reclassement ; elle n'a, à l'appui de sa demande de licenciement de MmeD..., apporté aucune précision actualisée concernant la qualification, les compétences professionnelles, la nature du poste et le salaire de l'intéressée, empêchant ainsi le ministre de contrôler la loyauté de ces recherches ;

- elle n'a pas été informée de la possibilité de bénéficier des formations financées par la société Honeywell Matériaux de Friction et mises en place par la cellule de reclassement, formations qui lui auraient permis, le cas échéant, d'accepter les offres de reclassement qui ont pu lui être proposées ;

- la société Honeywell Matériaux de Friction ne justifie pas de la réalité du motif économique de son licenciement.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 août et le 9 novembre 2017, la société Honeywell Matériaux de Friction, représentée par la SCP Flichy Grange Avocats, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à l'annulation de la décision du 15 mai 2015 ainsi qu'à ce qu'il soit enjoint à la ministre du travail de prendre une décision d'autorisation de licenciement de Mme D...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;

3°) à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme D...ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 15 mai 2018, la ministre du travail a produit des observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Francfort, président assesseur,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me B...substituant MeF..., représentant MmeC..., et de MeA..., représentant la société Honeywell Matériaux de Friction.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E...D...a été embauchée en contrat à durée indéterminée par la société Honeywell Matériaux de Friction le 19 février 1990 en qualité de technicienne Installations, statut technicien, au sein du site de Condé-sur-Noireau (Calvados). Elle était déléguée syndicale et membre du CHSCT (Comité d'Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail). La société Honeywell Matériaux de Friction a, pour des raisons économiques, cessé toute activité le 30 juin 2013. Elle a sollicité auprès de l'inspecteur du travail une demande d'autorisation de licenciement de MmeD.... Cette autorisation lui a été refusée par décision de l'inspecteur du travail du 7 octobre 2013. La société Honeywell Matériaux de Friction a présenté une seconde demande d'autorisation de licenciement de MmeD.... Par une décision du 24 septembre 2014, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder cette autorisation. Par un courrier du 21 novembre 2014, la société a saisi le ministre chargé du travail d'un recours hiérarchique. Par décision du 15 mai 2015 le ministre chargé du travail a retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique de la société, annulé la décision de refus de l'inspecteur du travail du 24 septembre 2014 et refusé de délivrer l'autorisation de licenciement sollicitée. Mme D...relève appel du jugement du 16 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé, à la demande de la société Honeywell Matériaux de Friction, le refus du 15 mai 2015 du ministre chargé du travail.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié.

3. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient. Il appartient à l'administration de tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que, le cas échéant, les recherches de reclassement ont donné lieu à une proposition précise et, dans ce cas, des motifs de refus avancés par le salarié.

4. Aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du même code, de procéder lui-même à cette enquête contradictoire, hormis le cas où l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire et où, par suite, le ministre annule et statue lui-même sur la demande d'autorisation.

5. D'une part, il ressort de la décision en litige que le ministre n'a pas annulé le refus de l'inspecteur du travail au motif que ce dernier n'avait pas procédé à une enquête contradictoire avant de prendre sa décision. D'autre part, il incombe à l'employeur, avant de formuler une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique, de justifier du sérieux et de la loyauté des recherches de reclassement poursuivies afin de tenter d'éviter le licenciement. Or la société Honeywell Matériaux de Friction ne démontre pas avoir apporté, lors de l'enquête organisée par l'inspecteur du travail, les éléments dont l'omission a motivé le refus en litige du ministre chargé du travail.

6. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal administratif de Caen a annulé le refus du 15 mai 2015 au motif que le ministre ne démontrait pas avoir demandé des éléments nécessaires au contrôle de l'autorité administrative.

En ce qui concerne, par l'effet dévolutif de l'appel, les autres moyens soulevés par la société Honeywell Matériaux de Friction :

7. En premier lieu la circonstance que la société justifierait pleinement du motif économique du licenciement est inopérante, dès lors que le ministre ne s'est fondé, pour refuser l'autorisation de licenciement demandée, que sur la circonstance que la société Honeywell Matériaux de Friction ne justifiait pas avoir contribué loyalement à la mise en oeuvre de son obligation de reclassement.

8. En deuxième lieu, la société Honeywell Matériaux de Friction soutient que la décision a été prise en considération d'une enquête de l'inspecteur du travail qui n'a pas respecté le principe du contradictoire, dès lors que, pour considérer que Mme D...n'avait pas été informée de la possibilité d'accéder aux formations proposées par la cellule de reclassement, l'inspecteur du travail a nécessairement pris en compte des informations communiquées par la salariée, mais non transmises au préalable à l'employeur. Toutefois il ressort de la lecture de la décision du 15 mai 2015, qui a annulé le refus opposé par l'inspecteur du travail, que le ministre n'a pas repris cet élément au nombre des motifs de sa propre décision. L'argumentation de la société est en conséquence sans incidence sur la légalité du refus en litige.

9. En troisième lieu, la société soutient que, contrairement à ce qu'a estimé le ministre du travail, elle a satisfait à son obligation de reclassement.

10. En ce qui concerne la période utile de recherches, il convient de prendre en compte les recherches poursuivies à compter de la date à laquelle la société a pris la décision de fermer le site de Condé sur Noireau, soit le 9 novembre 2011, date à laquelle cette perspective a été annoncée au comité d'entreprise. Par ailleurs le ministre chargé du travail qui, saisi d'un recours hiérarchique, avait annulé le refus de l'inspecteur du travail pouvait, contrairement à ce que soutient la requérante prendre en compte les recherches poursuivies par l'entreprise après le refus de l'inspecteur du travail pour apprécier le caractère sérieux et loyal.

11. D'une part la société ne produit pas les courriers adressés aux différentes filiales du groupe par lesquels elle les aurait interrogées sur les emplois disponibles susceptibles d'être proposés au titre de reclassement. Le seul affichage dans les locaux de l'entreprise de l'ensemble des postes disponibles au sein du groupe Honeywell ne peut davantage être assimilé à une recherche personnalisée de reclassement au profit de la requérante.

12. D'autre part la société, qui indique ne pas avoir initialement identifié de poste de reclassement interne en France à proposer à Mme D...fait valoir qu'elle lui a en définitive adressé deux offres à pourvoir en France, soit un poste de technicien itinérant et un poste d'Ingénieur Projet Vidéo-Sono-Electronique. Toutefois ces fiches de postes, dont l'adéquation avec ses compétences était contestée par l'intéressée, étaient communiquées avec la mention qu'elles étaient proposées simultanément à plusieurs salariés présentant des compétences semblables, et qu'en cas de pluralité de candidature à ce poste " il serait alors fait application d'un critère lié aux compétences requises pour déterminer le salarié prioritaire pour se voir attribuer le poste proposé ". De plus ces postes étaient à pourvoir immédiatement alors que les emplois étaient situés à Lyon et Ivry-sur-Seine. Ces propositions ne pouvaient, dans ces conditions, être regardées comme des offres fermes issues d'une recherche sérieuse et individualisée.

13. Par suite la société Honeywell Matériaux de Friction n'est pas fondée à soutenir que le ministre chargé du travail aurait commis une erreur d'appréciation en estimant qu'elle n'avait pas satisfait à l'obligation de reclassement qui lui incombait et en refusant pour ce motif l'autorisation de licenciement demandée.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 15 mai 2015 du ministre chargé du travail.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent d'une part Mme D...et d'autre part la société Honeywell Matériaux de Friction au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 16 mars 2017 du tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Honeywell Matériaux de Friction devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme D...et par la société Honeywell Matériaux de Friction au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...D..., à la société Honeywell Matériaux de Friction et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2018 à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er octobre 2018.

Le rapporteur,

J. FRANCFORTLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT01436


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01436
Date de la décision : 01/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Jérôme FRANCFORT
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : LBBA PARIS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-10-01;17nt01436 ?
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